Fiche Documentaire n° 5737

Titre Au prisme de l’incertitude : appréhender les phénomènes psychotiques chez les Inuit du Nunavik et réfléchir à la pratique du travail social en santé mentale en contexte postcolonial

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Auteur(s) GAULIN dominique
MacDonald Sue-Ann
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Au prisme de l’incertitude : appréhender les phénomènes psychotiques chez les Inuit du Nunavik et réfléchir à la pratique du travail social en santé mentale en contexte postcolonial

Depuis plusieurs années, nous observons une professionnalisation du « care » (Stevenson, 2014; Trout & Wexler, 2012), une propension à sous-spécialiser les connaissances expérientielles, locales et culturelles, au profit des connaissances techno-professionnelles. Le domaine de la santé mentale n'est pas étranger à cette tendance, les savoirs autochtones - notamment ceux des Inuit - étant largement absents au sein des pratiques et de la recherche (Fraser, Gaulin & Fraser, 2021).

Cela dit, les théories critiques permettent de réfléchir les expériences en santé mentale en reconnaissant l’agentivité de l'autre culturellement différent, dépassant la fermeture conceptuelle. Il s’agit de reconnaître que dans le cadre des pratiques en santé mentale, les regards posés sous la lunette coloniale, de manière consciente et inconsciente (Fanon, 1952), peuvent limiter l’autodétermination des individus, en empêchant notamment leurs savoirs de prendre leur place, en limitant la possibilité pour des personnes de faire sens de leurs expériences. Cela dit, les conceptions dominantes, même lorsqu’informées par des cadres théoriques critiques, peuvent facilement venir teinter la recherche et la pratique, via des mécanismes insidieux et bien ancrés dans les discours (Brown & Strega, 2015; Foucault, 1994; 1997; Spivak, 1988).

Croisant les résultats préliminaires d’une recherche ethnographique sur les expériences psychotiques et le rétablissement chez les Inuit du Nunavik et les expériences de la première auteure à titre de travailleuse sociale au Nunavik dans le domaine de la santé mentale, l’objectif de cette présentation est de rendre compte des enjeux reliés à la recherche et la pratique en santé mentale en contexte inuk et aux incertitudes que peuvent vivre les chercheurs et praticiens, face à des épistémologies et des ontologies souvent bien différentes des leurs. Sachant que les concepts de santé mentale ont longtemps servi l’établissement et le maintien des intérêts coloniaux (Fanon, 1952; Nelson, 2013), cette présentation suggère de réfléchir aux injustices et au racisme épistémique (Fricker, 2007; Grosfoguel, 2010; Grosfoguel & Cohen, 2012; Medina, 2017; Mignolo, 2013) présents dans les institutions universitaires, de recherche et de santé et services sociaux afin d’offrir des services exempt de violence, respectueux de la culture, des savoirs et des croyances, le tout dans une perspective anti-oppressive (Lee, Fontaine, MacDonald & Caron, 2017).

Bibliographie

Brown, L. A. et Strega, S. (2015). Research as resistance: Critical, indigenous and anti-oppressive approaches. Canadian Scholars’ Press.

Fanon, F. (1952). Peau noire. Masques blancs. Éditions du Seuil.

Foucault, M. (1994). Dits et écrits, 1954-1988, Tome III: 1976-1979. Gallimard.

Foucault, M. (1997). The politics of truth. Semiotext.

Fraser, S. L., Gaulin, D., & Fraser, W. D. (2021). Dissecting systemic racism: policies, practices and epistemologies creating racialized systems of care for Indigenous peoples. International Journal for Equity in Health, 20(1), 1-5

Grosfoguel, R. (2010). Vers une décolonisation des «uni-versalismes» occidentaux: le «pluri-versalisme décolonial», d'Aimé Césaire aux zapatistes. Ruptures postcoloniales, 119-138.

Grosfoguel, R. et Cohen, J. (2012). Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos. Mouvements, (4), 42-53.

Lee, E., Fontaine, A., MacDonald, S.-A., et Caron, R. (2017). « Promouvoir une perspective anti-oppressive dans la formation en travail social ». Revue Intervention, numéro 145, p. 7-20.

Mignolo, W. (2013). Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé) colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique. Mouvements, (1), 181-190.

Nelson, S. (2013). Challenging hidden assumptions: colonial norms as determinants of Aboriginal mental health. National Collaborating Centre for Aboriginal Health.

Spivak, G. (1988). Can the Subaltern Speak? Dans C. Nelson et L. Grossberg (dir.), Marxism and the Interpretation of Culture(pp. 66– 111). Macmillan.
Stevenson, L. (2014). Life beside itself. University of California Press.

Trout, L., & Wexler, L. (2020). Arctic suicide, social medicine, and the purview of care in global mental health. Health and human rights, 22(1), 77

Présentation des auteurs

Dominique Gaulin : Candidate au doctorat en travail social à l’Université de Montréal, ma thèse porte sur les expériences des Inuit dans le domaine des phénomènes psychotiques et du rétablissement. Je suis également travailleuse sociale et formatrice en prévention du suicide au Nunavik et membre des équipes de recherche Pitutsimajut et Atautsikuk, qui oeuvrent dans le domaine de la santé mentale et du bien-être au Nunavik. Mes intérêts de recherche portent sur les questions de santé mentale en contexte transculturel et postcolonial, les approches décoloniales, la recherche participative, ainsi que les question de marginalité et d’itinérance, du point de vue des personnes concernées.

Sue-Ann MacDonald : Je suis professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal depuis 2011. J’ai travaillé pendant plus d'une décennie comme travailleuse sociale dans une équipe en santé mentale auprès de personnes en situation d’itinérance à Ottawa et à Toronto. Mes intérêts de recherche portent sur les expériences de populations marginalisées (personnes itinérantes – surtout les jeunes et les femmes, ainsi que des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie). Mes recherches sont ancrées dans la prise en compte du point de vue des personnes marginalisées afin de mieux comprendre leur réalité et améliorer les pratiques à leur endroit.

Communication complète

Axe 1: Favoriser le dialogue dans les pratiques d’intervention sociale, de formation et de recherche







Autrices : Dominique Gaulin et Sue-Ann MacDonald







Titre : Au prisme de l’incertitude : appréhender les phénomènes psychotiques chez les Inuit du Nunavik et réfléchir à la pratique du travail social en santé mentale en contexte colonial et à la décolonisation.







Depuis plusieurs années, nous observons une professionnalisation du « care » (Stevenson, 2014 ; Trout & Wexler, 2012), une propension à sous-spécialiser les connaissances expérientielles, locales et culturelles, au profit des connaissances techno-professionnelles. Le domaine de la santé mentale n'est pas étranger à cette tendance, les savoirs autochtones - notamment ceux des Inuit - étant largement absents au sein des pratiques et de la recherche.







En outre, le débat au sujet de l’universalité et la possibilité d’objectiver les concepts et catégories psychiatriques est depuis longtemps au cœur du domaine des discussions dans le domaine des sciences sociales, de l’anthropologie et de la psychiatrie transculturelle, plusieurs ayant remis en question l'applicabilité des catégories de diagnostic développées au sein des populations euroaméricaines (Adeponle, 2010 ; Biehl, Good, Kleinman, 2007 ; Corin, 2009 ; Devereux 1970). En Amérique du Nord, des recherches indiquent que les individus issus de minorités ethniques qui recherchent des services de santé mentale sont particulièrement à risque de mauvais diagnostic (ou l’on ne reconnaît pas la souffrance) ou de surdiagnostic (Good, 1993) « Over-diagnosis may occur, for example, when a clinician mistakes a cultural norm for psychopathology » (Adeponle, 2010, p. 9). Les allégations d'erreur de diagnostic sont les plus importantes en ce qui concerne le diagnostic interculturel de la schizophrénie et des expériences psychotiques (Adeponle, 2010).







Cela dit, les théories critiques permettent de réfléchir les expériences en santé mentale en reconnaissant l’agentivité et le pouvoir d’agir de l'« Autre ». Il s’agit de reconnaître que dans le cadre des pratiques en santé mentale, les regards posés sous la lunette coloniale, de manière consciente et inconsciente (Fanon, 1952), peuvent limiter l’autodétermination des individus, les plaçant dans la passivité, empêchant notamment la prise en compte de leur parcours de vie, de leurs savoirs, en limitant la possibilité pour des personnes de faire sens de leurs expériences. Néanmoins, les conceptions dominantes, même lorsqu’informées par des cadres théoriques critiques, peuvent facilement venir teinter la recherche et la pratique, assujettir ou essentialiser des voix, des expériences de vie, via des mécanismes insidieux et bien ancrés dans les discours, invisibilisant certains savoirs (Brown & Strega, 2015 ; Foucault, 1994 ; 1997 ; Spivak, 1988).







Croisant les résultats préliminaires d’une recherche ethnographique sur les expériences psychotiques et le rétablissement chez les Inuit du Nunavik et les expériences de la première auteure à titre de travailleuse sociale au Nunavik dans le domaine de la santé mentale, l’objectif de cette présentation est de rendre compte des enjeux reliés à la recherche et la pratique en santé mentale en contexte inuk et aux incertitudes que peuvent vivre les chercheurs et praticiens, face à des épistémologies et des ontologies souvent bien différentes des leurs. Sachant que les concepts de santé mentale ont longtemps servi l’établissement et le maintien des intérêts coloniaux (Fanon, 1952 ; Nelson, 2013), cette présentation suggère de réfléchir aux injustices et au racisme épistémique (Fricker, 2007 ; Grosfoguel, 2010 ; Grosfoguel & Cohen, 2012 ; Medina, 2017 ; Mignolo, 2013) présents dans les institutions universitaires, de recherche et de santé et services sociaux afin d’offrir une meilleure prise en compte des réalités plurielles en santé mentale, des services exempts de violence, respectueux et humbles de la culture, des savoirs et des croyances, le tout dans une perspective anti-oppressive (Lee, Fontaine, MacDonald & Caron, 2017). Il s’agit également de s’intéresser au concept de colonialité du pouvoir (Quijano, 2007), qui explique comment les anciennes puissances coloniales continuent de dominer en imposant notamment des modes de productions des connaissances, des modes de signification, des perspectives, images, etc., aux populations identifiées par des catégories ethniques et raciales, en autres aux populations dites colonisées. Elle est notamment présente dans nos systèmes de soins (Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics, 2019) à travers un racisme systémique se manifestant envers les peuples autochtones dans les services de santé et services sociaux.







Il est important de souligner que cette présentation, et le projet de recherche qui la sous-tend, ne cherche pas à donner des réponses et des explications précises sur ce que représentent les phénomènes psychotiques chez les Inuit, ce qui ouvrirait la porte au risque d’essentialiser et interpréter de manières erronée leurs expériences, mais davantage de réfléchir à des manières plurielles de faire, de penser et de conceptualiser ces phénomènes afin de faire des ponts et des meilleures prises en compte dans la pratiques et la recherche, dans une perspective d’appropriation du pouvoir d’agir, individuel et collectif.















Bibliographie







Adeponle, A. B. (2010). Use of Cultural Consultation to Resolve Uncertainty of Psychosis Diagnosis in Ethno-Cultural Minority and Immigrant Patients (Doctoral dissertation, McGill University Library).



Biehl, J., Good, B., & Kleinman, A. (Eds.). (2007). Subjectivity: ethnographic investigations (Vol. 7). Univ of California Press.



Brown, L. A. et Strega, S. (2015). Research as resistance: Critical, indigenous and anti-oppressive approaches. Canadian Scholars’ Press.



Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics ou Commission Viens. 2019. Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès : rapport final. Québec : Commission d'enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics. http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/les-commissions- d-enquete-au-quebec-depuis-1867/7738-commission-viens.



Corin, E. (2009). L’échappée de l’expérience dans la psychose. Sociologie et sociétés, 41(1), 99-124.



Devereux, G. (1970). Essais d’ethnopychiatrie générale [Essays of general ethnopsychiatry]. Paris : Gallimard



Fanon, F. (1952). Peau noire. Masques blancs. Éditions du Seuil.



Foucault, M. (1994). Dits et écrits, 1954-1988, Tome III: 1976-1979. Gallimard.



Foucault, M. (1997). The politics of truth. Semiotext.



Fraser, S. L., Gaulin, D., & Fraser, W. D. (2021). Dissecting systemic racism: policies, practices and epistemologies creating racialized systems of care for Indigenous peoples. International Journal for Equity in Health, 20(1), 1-5



Good B. J. (1993). Culture, diagnosis and comorbidity. Culture, Medicine and Psychiatry 16, 427-446.



Grosfoguel, R. (2010). Vers une décolonisation des «uni-versalismes» occidentaux: le «pluri-versalisme décolonial», d'Aimé Césaire aux zapatistes. Ruptures postcoloniales, 119-138.



Grosfoguel, R. et Cohen, J. (2012). Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos. Mouvements, (4), 42-53.



Lee, E., Fontaine, A., MacDonald, S.-A., et Caron, R. (2017). « Promouvoir une perspective anti-oppressive dans la formation en travail social ». Revue Intervention, numéro 145, p. 7-20.



Mignolo, W. (2013). Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé) colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique. Mouvements, (1), 181-190.



Nelson, S. (2013). Challenging hidden assumptions: colonial norms as determinants of Aboriginal mental health. National Collaborating Centre for Aboriginal Health.



Quijano, A. (2007). « Coloniality and modernity/rationality », Cultural studies, vol. 21, no 2-3, 168-178.



Spivak, G. (1988). Can the Subaltern Speak? Dans C. Nelson et L. Grossberg (dir.), Marxism and the Interpretation of Culture(pp. 66– 111). Macmillan.



Stevenson, L. (2014). Life beside itself. University of California Press.



Trout, L., & Wexler, L. (2020). Arctic suicide, social medicine, and the purview of care in global mental health. Health and human rights, 22(1), 77




Résumé en Anglais


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