Le « resto du cœur » des enfants de la rue de Yaoundé : Entre croisement des logiques d’intervention, besoins des bénéficiaires et dynamiques locales
Les Nations Unies à travers la Déclaration des Droits de l’Enfant et la Convention Internationale des Droits de l’Enfant déclarent que l’enfant est un sujet de droit, obligeant tous les Etats à garantir les droits et la protection de l’enfant. Ces cadres juridiques n’ont pas été suffisants car la précarité et l’instabilité dans les familles et les milieux de vie a fait apparaître au début des années 1980(*1) en Afrique en général et au Cameroun en particulier le phénomène des enfants de la rue. Face à ce phénomène, Gabriela MISTRAL affirme : « Nous sommes coupables de nombreuses erreurs et de quantité de fautes, mais notre crime le plus abominable, c’est d’abandonner les enfants, de négliger la source même de la vie. Nombre des choses dont nous avons besoin peuvent attendre, mais pas les enfants. »(*2) Le phénomène d’enfant de la rue révèle une société en « crise » qui n’a pas pu donner à tous ses membres un cadre approprié pour leur bien-être. Ils sont un véritable handicap social ou des « naufragés » d’un système social qui les a éjectés et constitue la base de la violence, de la rapinerie, de la misère et de la délinquance qui caractérisent leur vie(*3). Inquiets et à la quête d’un mieux-être, partir de la maison est la « solution » pour la plupart de ces enfants(*4). La rue s’est d’abord offerte à eux comme un lieu de liberté où est respiré un air différent. Mais dans le quotidien, elle est plutôt une jungle où la vie est basée sur le principe d’« œil pour œil, dent pour dent ». Chaque nouvelle personne se fait « baptiser par la consommation des drogues telles que la cigarette et la colle»(5), avant d’avoir droit à son nouveau statut de « nanga mboko » (6) Pour Bernard PIROT, « Si la seule pauvreté suffisait à rompre les liens entre un enfant et sa famille, ils seraient des centaines de milliers dans la rue, ce qui n’est pas le cas, nulle part. Notons à ce sujet qu’il existe (…) des enfants ou des jeunes issus de couches sociales qui ne sont pas particulièrement défavorisées »(7). Qu’ils viennent des familles défavorisées ou des couches sociales aisées, tous vivent une rupture avec leurs familles. Pour Marie MORELLE, « certains traitements ou politiques sociales condamnent les enfants par avance, en font des captifs, les enferment dans la rue et finissent par confirmer leur criminalisation. » (8) Le recadrage des actions en faveur de cette « enfance malheureuse »(9) est donc important afin d’éviter la chaîne de reproduction de l’exclusion et de la marginalité. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’initiative « Resto du cœur », entreprise depuis 2013 par la paroisse catholique de la Cité Verte de Yaoundé. Les enfants de la rue de Yaoundé sont les bénéficiaires de cette initiative mais celle-ci met en relation plusieurs catégories d’acteurs notamment les consacrées, les agents laïcs, les psychologues et les autorités publiques. Chaque catégorie arrive avec une logique propre qui s’additionne à celle du projet. Les enfants de la rue n’en sont épargnés car leurs préoccupations ne s’inscrivent pas toujours dans le même ordre de priorités que celles des autres acteurs. Le « resto du cœur » de Yaoundé est conçu pour être pour les enfants de la rue, « une maison » (10) ou un « espace qui réponde à leurs besoins alimentaires, récréatifs » (11) ou encore « un endroit qui a un effet miroir pour certains en ce sens qu’il les amène à se questionner sur eux, leur vie, leur évolution et leur situation. »(12) Mais cette vision été élaborée principalement par les promoteurs sans une véritable implication des autres parties d’où la question de savoir comment parvenir à l’efficacité d’une intervention sociale face à la confrontation entre les logiques d’intervention, les préoccupations des bénéficiaires et les dynamiques locales ? Dans une démarche inductive et à travers une enquête de terrain qui allie recherche documentaire, observation directe et entretiens semi-directifs effectués après la constitution d’un échantillonnage raisonné, constitué grâce à la prise en compte des différentes strates de l’échantillon, nous voulons analyser l’impact des systèmes de sens dans la réussite de cette initiative humanitaire.
1 - Cf. Bernard PIROT, Les enfants de la rue en Afrique Centrale, Karthala, Paris, 2004. 2 - Gabriela MISTRAL, « Citations pour la petite enfance », UNESCO, in https://knowledge.uclga.org/IMG/pdf/rapport_analyse_situation_enfants_des_rues-campagne_refela-cglu_afrique_1_.pdf. Gabriela MISTRAL est une enseignante, diplomate, féministe et poétesse chilienne. Son œuvre littéraire et sociale s’est couronnée par le prix Nobel de littérature en 1945. 3 - Jean NZHIE ENGONO et Estelle Marline NANA NJIKI, Les enfants de la rue au Cameroun : Itinérance, histoire et histoires de vie, L’Harmattan, 2017, Post face. 4 - Cf. Entretien avec un enfant de la rue de Yaoundé en novembre 2021. 5 - Entretien effectué avec un enfant de la rue en novembre 2021 6 - Nom avec lequel sont désignés les enfants de la rue à Yaoundé. 7 - Bernard PIROT, 2004, Op. Cit., p. 61. 8 - MORELLE Marie, Les enfants de la rue à Yaoundé (Cameroun) et Antananarivo (Madagascar) in Presses de Sciences Po, 2008, Vol.1, n° 45, p. 55. 9 - Jean NZHIE ENGONO et Estelle Marline NANA NJIKI, 2017, Op. Cit. 10, 11, 12 - Ibid
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