Je veux apprendre en fait pour que je puisse savoir moi le faire (Résidente de l’ESAT, 2021)
Introduction
Historiquement, les évolutions du secteur médico-social tendent à toujours mieux considérer la personne en situation de handicap. Ainsi, au début des années 2000, est formulée l’ambition de mettre l’usager au centre d’un dispositif à rénover . Quelques années plus tard, le registre de l’assistance fait place à une loi en faveur de la personne handicapée, lui garantissant l’accès à la citoyenneté . Malgré divers organismes qui édictent des « bonnes pratiques » pour aider les structures sociales ou médico-sociales et les professionnels de terrain, l’objectif de « placer l’usager au cœur du dispositif » comme partie prenante de son projet de citoyen reste encore assez incantatoire. Dès lors, la place et la considération de la personne en situation de handicap dans notre société nécessitent, encore aujourd’hui, d’être questionnée. Partie prenante de cette société, ni trop visible, ni trop cachée, la personne en situation de handicap, dite aussi usager , tend à y être incluse dans le sens premier du terme. Petit à petit, les formations des travailleurs sociaux évoluent et les traductions opératoires des lois du secteur médico-social se configurent autour de la notion d’inclusion dans la société. Il ne s’agit plus alors de décider, de penser, ou même de faire pour, ni avec, mais bien d’accompagner l’usager dans le faire par. L’épigraphe proposé supra, mêle parfaitement la dimension du faire par et la notion de handicap. Se former pour apprendre et apprendre pour savoir-faire, est l’idée force que défend la mise en place d’un dispositif de formation pour des usagers d’établissements sociaux et médico-sociaux auquel est consacré cette communication. Elle vise à proposer un cadre d’analyse, un accompagnement dans l’appréciation de l’articulation entre missions médico-sociales d’accompagnement et mise en œuvre effective des lois sur le terrain. Pour cela, elle présente une recherche, réalisée avec un pôle d’établissements et services sociaux et médico-sociaux, portant sur un dispositif de formations non-professionnalisantes à destination des adultes en situation de handicap. Après avoir présenté les principaux changements du contexte socio-politique du handicap, il cible le cas particulier de l’Arseaa . À partir du modèle écologique de l’évaluation, en nous appuyant sur des entretiens conduits auprès des usagers du pôle, nous proposons une évaluation du dispositif de formation, en mobilisant une démarche qualitative.
1. Éléments de problématisation
Notre problématisation, en trois étapes, ancre tout d’abord notre recherche au sein du secteur médico-social (dont l’analyse met au jour un changement de paradigme) puis au sein d’une association régionale (l’Arseaa) qui, en s’appuyant sur des pratiques « innovantes et inspirantes », inscrit l’association au sein de ce nouveau paradigme. Elle cible, enfin, le dispositif de formations des adultes en situation de handicap, mis en place par l’Arseaa dans ce cadre, en répondant à une demande d’évaluation de ce dispositif.
1.1. Un changement de paradigme
Tout au long de l’histoire, la considération et la prise en charge de la personne en situation de handicap n’ont cessé d’évoluer au sein de notre société, considérant tantôt cette dernière comme exclue de la cité, tantôt comme relevant d’une responsabilité collective. Aujourd’hui, les changements dans l’accompagnement et la considération de la personne dite handicapée sont à mettre en lien avec les différentes lois du secteur social et médico-social (SMS). Nous situerons leur démarrage avec les lois de juin 1975 qui marquent en France le début d’une politique publique du handicap. Elles défendent, pour les usagers, l’idée de sortir de l’exclusion et d’avoir des droits et des devoirs. Ainsi, il ne s’agit plus d’adapter les individus à une norme, mais bien de changer l’environnement et la façon de penser pour prendre en compte chaque individualité. Pourtant, ce n’est qu’à partir de la loi du 2 janvier 2002 que seront fixées les nouvelles règles relatives aux droits des personnes en situation de handicap, replaçant ainsi l’usager au centre du dispositif. Bien que la notion de handicap soit apparue très tôt, il aura alors fallu attendre la loi du 11 février 2005 pour qu’apparaisse pour la première fois une définition de la notion de handicap. Ces différentes étapes inscrivent progressivement dans la loi les notions de participation, d’engagement, d’usager au cœur du projet, d’inscription et d’inclusion dans la vie sociale et ouvrent la voie à un nouveau paradigme. Il s’agit de passer de démarches traditionnelles d’élaboration de savoirs sur le public à celles d’élaboration de savoir avec le public. Les enjeux de ce changement, dont la mise en œuvre est encore balbutiante, sont multiples, en particulier l’adaptation des accompagnements à l’évolution des besoins des publics accompagnés et aux divers contextes socio-politiques.
1.2. Les « pratiques innovantes et inspirantes » de l’Arseaa
C’est dans ce contexte socio-politique que l’Arseaa a initié, au travers de sa Commission Recherche et Formation (désormais CR&F), une réflexion et un travail d’articulation des lois, des accompagnements et des transmissions de savoirs. Dans une volonté de veille prospective sur les enjeux du secteur SMS, la CR&F propose des pratiques « innovantes et inspirantes » en encourageant l’élaboration et le partage de projets entre personnels de direction, professionnels de terrain et chercheurs, au sein des différents pôles et secteurs territoriaux de l’association. Afin de mieux comprendre la genèse axiologique de la formation de la personne accueillie, en lien avec le nouveau paradigme, il convient d’interroger le lien étroit entre les termes usager, acteur et citoyen. Dans le prolongement de la loi 2002-2, la loi du 11 février 2005 nous invite à envisager ces trois termes comme complémentaires. Elle réaffirme la nécessité pour les personnes en situation de handicap d’avoir accès aux droits fondamentaux reconnus à tout citoyen ainsi que le plein exercice de leur citoyenneté. L’Arseaa inscrit donc l’accès simultané à la connaissance et à la compréhension des droits et devoirs de la personne en situation de handicap, tant au sein de notre société qu’au sein de ses déclinaisons opérationnelles (établissements et services sociaux et médico-sociaux) comme une première étape de la construction de cette citoyenneté. Elle défend l’idée que cet accès à la compréhension et l’exercice de ces droits et devoirs nécessite une formation appropriée et adaptée.
1.3. Un dispositif de formation au sein d’un pôle d’établissements
C’est dans ce cadre qu’un pôle d’établissements et service, le Pôle Adultes Henri Cros (désormais PAHC), a proposé des journées de formations aux nouveaux élus des CVS . Au départ, il s’agissait principalement d’une information destinée à mieux connaître et à préciser le rôle de cette instance et des résidents élus. Puis, le PAHC va choisir de diversifier son offre de formation et d’insister plus largement sur l’accompagnement de l’usager dans le rôle d’acteur de son projet de vie et dans celui de citoyen. De plus, pour positionner ce choix comme une déclinaison opératoire des lois du secteur SMS, l’Arseaa l’inscrit à la fois dans les orientations du projet de Pôle et dans celle du rapport Plan Stratégique Politiques Transversales . Nous pourrions les résumer ainsi : l’accès à la formation pour les personnes accueillies contribue et renforce l’effectivité de leur participation citoyenne et permet d’assurer, à travers un parcours de formation, la reconnaissance et le développement de compétences sociales et citoyennes de chacune d’entre elles. Cette orientation reconfigure et agrandit l’empan de la formation de la personne accueillie en dépassant une simple visée professionnalisante et en l’ouvrant, dès 2015, à une formation de la personne : une formation à l’ensemble des apprentissages nécessaires au vivre ensemble et à l’accès à ses droits communs, une formation à l’autonomie et à la citoyenneté. De multiples thématiques sont alors proposées et choisies avec et par les usagers afin de répondre à des besoins exprimés et/ou identifiés. Dans le cadre de notre recherche, en réponse à une demande du pôle, nous étudions la façon dont ce dispositif de formation pour les usagers contribue à opérationnaliser les grandes lois du secteur, au sein de l’Arseaa. Ainsi, notre recherche s’articule autour d’un double objectif :
a) Produire et développer des connaissances sur le dispositif de formation et ses effets (la façon dont ce dispositif est vécu et les apports, tant en termes d’apprentissages que de socialisation ;
b) Produire des savoirs permettant d’accompagner le PAHC à la décision politique pour permettre la diffusion du dispositif
2. Méthodologie de la recherche
Pour mettre en œuvre cette évaluation, menée sur deux ans, et afin de rester cohérents avec les fondements axiologiques du dispositif de formation, nous mobilisons une démarche de recherche qualitative et quantitative, compréhensive et participative. Elle articule un volet recherche et un volet intervention au service de deux visées principales (Marcel, 2020 ; Gnädig, 2021) : l’une, heuristique et compréhensive, de production de savoirs sur le dispositif de formation, en nous appuyant sur les expériences des usagers, leur vécu, les transformations produites, du point de vue de l’acquisition de connaissances, de savoir-être et savoir-faire, et du point de vue de l’émancipation sur le plan social.
L’autre, praxéologique, accompagne les évolutions du dispositif et, plus précisément, contribue à stabiliser un dispositif d’évaluation participative mobilisable à une échelle plus importante au sein du PAHC et de l’Arseaa.
Elle a été initiée par une demande du PAHC adressée aux chercheurs de l’UMR EFTS via la CR&F. Cette demande, portée par le directeur de pôle, cible l’évaluation du dispositif de formation pour et par les usagers.
Le cadre théorique de cette recherche mobilise l’évaluation dite écologique (Younes, 2010 ; Younes, Grémion & Sylvestre, 2020) qui se caractérise par la mise en synergie de trois modèles (Bonniol & Vial, 1997, p.16) :
• le modèle de la valeur, qui privilégie le vécu et le sens des acteurs
• le modèle de la gestion, qui cible les transformations, tant au niveau des acteurs (apprentissages, développement, émancipation, socialisation) qu’au niveau organisationnel (nouvelles pratiques, nouveaux dispositifs),
• le modèle de la mesure, qui, à l’aide d’approches plutôt quantitatives, met l’accent sur les résultats plutôt que sur le processus.
L’objectif de notre recherche est l’évaluation d’un dispositif, à travers une visée heuristique et une visée praxéologique. Afin de saisir au mieux la complexité de l’évaluation du dispositif de formation, nous avons mobilisé la triangulation des outils de collecte et des méthodes de traitement.
Durant la première année d’étude, nous avons élaboré une campagne d’entretiens semi-directifs, dans lesquels nous avons investi l’appropriation de la formation par les usagers formés, la manière dont ils ont vécu la formation, les transformations produites sur ces usagers et celles envisageables pour faire évoluer les formations proposées. Les éléments recueillis ont donné lieu à une analyse thématique de contenu, traduite en dendrogrammes et les résultats ont été présentés aux représentants du PAHC et de la CRF de l’Arseaa. Cette phase exploratoire de la recherche nous a permis, à partir d’un échantillon de sept usagers formés, de développer les avancées de la visée heuristique de notre recherche, celle de la production de savoirs contextualisés sur le dispositif.
En ce qui concerne la continuité de la recherche, elle se poursuit cette année, d’une part en accentuant l’articulation entre méthodologie qualitative et quantitative (au travers du modèle de la mesure) et, d’autre part, en diversifiant et renforçant la dimension participative. L’évaluation a donc été étendue à l’ensemble des formations, de manière systématique, engageant des outils capables de couvrir l’ensemble des usagers et professionnels des établissements et services du PAHC.
Ainsi, nous avons mené des entretiens de groupe (selon des conditions particulières) auprès d’usagers ayant a ayant participé aux formations, déployé une campagne de questionnaires auprès des professionnels, des usagers et des formateurs et enfin, nous avons proposé des grilles d’auto-évaluation. Ces outils ont été construits et préparés avec le directeur du pôle et les membres du groupe de travail de la recherche (usagers, professionnels et formateurs). La diversité des méthodes et de la population-cible témoigne de la diversité des modalités appelées.
3. Les résultats de l’évaluation du dispositif de formation
Les apports permis par la mobilisation du modèle de la valeur puis ceux qu’a autorisé le modèle de la gestion se sont dessinés dès la fin de la phase exploratoire. En effet, les modèles ont tous deux généré deux catégories d’analyse, respectivement le vécu de la formation et le sentiment d’appropriation de la formation ; et les transformations constatées et les transformations envisagées. Le traitement et l’analyse des apports de la recherche menée cette année sont en cours. Dès lors, le système d’indicateurs d’évaluation sera renforcé et diversifié pour alimenter un tableau de bord des dispositifs qui sera intégré à un dispositif plus global et plus ambitieux : un observatoire de la formation des usagers. La co-élaboration et la mise en place de cet observatoire au sein et avec le PAHC (direction, professionnels de terrain, usagers, formateurs, etc.) mobiliseront une démarche participative, plus précisément une recherche-intervention (Marcel, 2020). Il semble important de rappeler que, dans une période où les questionnements liés à l’accompagnement des personnes en situation de handicap sont de plus en plus pressants, cet outil permettra de capitaliser des informations et de les rendre disponibles pour les instances de gouvernance de l’Arseaa (Commission formation du PAHC, CR&F) et constituera un outil stratégique précieux d’aide à la décision et à l’accompagnement au changement de la formation.
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