Fiche Documentaire n° 5805

Titre Violence de la part d'un partenaire intime et itinérance cachée – Qu’en est-il des femmes en situation de handicap au Québec?

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Auteur(s) GODIN julie
FLYNN Catherine
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Violence de la part d'un partenaire intime et itinérance cachée – Qu’en est-il des femmes en situation de handicap au Québec?

Malgré les nombreuses études montrant la précarité économique des femmes en situation de handicap ou faisant état des différentes violences auxquelles celles-ci sont susceptibles d’être confrontées dans leur parcours de vie (Cohen et al., 2005 ; Pinto, 2016), le vécu de ces femmes n’est que très peu rendu visible dans le champ de l’itinérance, encore moins au moment documenter les liens complexes entre cette problématique sociale et les violences perpétrées de la part de partenaires intimes (VPI).
Cette communication présente une analyse de données secondaires effectuée à partir de deux recherches féministes menées en partenariat. Au total, ces deux projets ont permis d’entendre 68 femmes par l’entremise d’entretiens de type récit de vie, réalisés dans dix régions de la province de Québec (Canada). Bien qu’il ne fût pas prévu au départ d’analyser l’expérience spécifique des femmes en situation de handicap, il s’est avéré que près de la moitié des femmes de notre échantillon ont nommé avoir vécu, de manière temporaire ou permanente, des problèmes de santé physique. Cette analyse porte plus particulièrement sur l’expérience de 17 de ces femmes ayant abordé plus largement avec l’équipe de recherche comment leurs conditions de santé ont complexifié leur processus de sortie d’un contexte de violence ou ont été associés à des conditions de vie précaires. Elle révèle que 1) la situation de handicap et les barrières qui en découle sont un levier de contrôle important utilisé par le partenaire intime 2) le manque de ressource adaptée pour les femmes en situation de handicap pour surmonter la violence subie se conjugue aux barrières systémiques rencontrées par celles-ci pour produire de la précarité et des situations d’itinérance et 3) la précarité et l’itinérance des femmes en situation de handicap représentent un important facteur de maintien ou de retour au sein d’une relation intime violente. L’enchevêtrement complexe du handicap, de l’itinérance et de la VPI dans les parcours de vie de ces femmes illustre comment des violences interpersonnelles et structurelles patriarcale et capacitistes opèrent ensemble pour retenir ces femmes dans la sphère privée et limiter leurs possibilités de participation sociale, les maintenant du même coup dans la pauvreté. Il s’avère ainsi primordial de mettre en place des mécanismes permettant d’entendre ces femmes au sein des milieux de pratiques et de recherches afin d’assurer le développement et la consolidation de réponses sociales adaptées facilitant leur inclusion et leur offrant des alternatives sécuritaires à la violence .

Bibliographie

Cohen, M.M., Forte, T., Du Mont, J., Hyman, I. et Romans, S. (2005). Intimate partner violence among Canadian women with activity limitations. Journal of Epidemiology and Community Health, 59(10), 834–839. http://dx.doi.org/10.1136/jech.2004.022467

Pinto, P.C. (2016). Out of the shadows: Violence against girls and women with disabilities in Portugal. Alter, European Journal of disability Research, 10, 137-147. https://doi.org/10.1016/j.alter.2016.03.009

Présentation des auteurs

Julie Godin est étudiante-chercheure à la maîtrise en travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle s’intéresse particulièrement à l’expérience des femmes en situation de handicap lié à la douleur dans une perspective féministe intersectionnelle. Son projet de mémoire porte sur la perception des femmes atteintes de fibromyalgie des conditions nécessaires à leur participation sociale au sein d’une région périphérique du Québec. Elle est récipiendaire de deux bourses de recherche à la maîtrise offerte par le FRQSC et le CRSH.

Catherine Flynn, Ph. D. est professeure agrégée au Département des sciences humaines et sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi. Elle est responsable scientifique du Pôle violence du Réseau québécois en études féministes (ReQEF), membre de l’équipe SAS-Femmes (Santé, autonomie et sécurité financée par le FRQSC (2020-2024) et chercheure au Centre intersectoriel en santé durable.

Communication complète

Pour saisir la complexité du vécu des femmes en situation de handicap qui vivent à la fois de la violence conjugale et situation d’itinérance, il faut comprendre que le handicap est une construction sociale. Ce n’est pas une caractéristique personnelle, mais le résultat de l’interaction entre une personne qui a des différences sur le plan corporel et fonctionnel ou qui a des incapacités et un environnement social spécifique. C’est quand l’organisation de cet environnement-là qui limite la personne dans sa participation et ses habitudes de vie qu’on parle d’une situation de handicap ? Ce que la littérature nous dit c’est qu’une personne en situation de handicap est plus susceptible de vivre diverses violences. Ceci est d’autant plus vrai pour les femmes le genre ayant un impact particulier. Ces violences-là vont se perpétrer sous plusieurs formes, sur de plus longues périodes et avoir davantage de conséquences que femmes de la population générale. Cette violence va provenir de plusieurs agresseurs. Mais il est reconnu que le partenaire intime le plus souvent reconnut comme l’auteur des violences. Ici on parle autant des violences en tant que telles que le menace et privation de libertés.

On sait que d’avoir une incapacité augmente la probabilité de subir des violences. Mais inversement quel est l’impact de la violence sur les incapacités ? Les conséquences de la VC sont bien documentées : on parle d’impacts importants sur plusieurs plans de la santé. Plus spécifiquement au niveau physique : apparition douleur chronique / incapacités ou l’aggravation problème déjà présente.

De par les structures capacitistes et sexiste de nos institutions, les femmes en situation de handicap font face à plusieurs barrières tout au long de leur parcours, en lien avec manque d’accès, de flexibilité ou les discriminations. On peut parler ici principalement de l’emploi et éducation. Celles-ci ont avoir des conséquences sur la participation et les conditions financières et de vie. En plus d’avoir davantage de difficulté à accéder à un revenu décent, elles font face à un double désavantage, ce qui renforce leur précarité. Bien que l'on connait les liens entre la santé, la violence et l’impact sur les conditions de vie des femmes. Peu d’études ont abordé le vécu sous l’angle de l’itinérance.

Méthodologie

Il s’agit d’une analyse secondaire des données de deux projets de recherche. Ceux-ci visaient à documenter les liens entre les trajectoires d’itinérance des femmes et les violences qu’elles ont vécues depuis l’enfance. Ceux-ci problématisent l’itinérance vécue par les femmes comme le produit du continuum des violences perpétrées envers elles. Couvrant dix régions administratives du Québec, ils ont permis d’entendre le récit de 68 femmes âgées de 21 à 81 ans. Ils visent à analyser sous une grille intersectionnelle : Parcours familial, intime, amoureux, scolaire et d’emploi, trajectoire de maternité, de logement, de séjours dans les ressources, les stratégies utilisées, états de santé, consommation de substance psychoactive, etc. Plus spécifiquement, une importante proportion des participantes a nommé avoir des enjeux sur le plan de la santé (N=56). De ce nombre, 17 femmes ont abordé les liens entre leurs incapacités physiques et leur parcours de violence et d’itinérance

Résultats

11 participantes ont nommé avoir vu leurs incapacités apparaitre après l’expérience de VC. Parmi elles, 5 nomment le lien direct avec la violence vécue, comme c’est le cas de Danie. Ce qu’on voit chez nos participantes c’est comment les violences ont des conséquences sur la santé et comment ultimement ça va avoir des impacts sur leur vie sociale et professionnelle. Fanny le nomme bien, la violence physique à eu des impacts sur la santé et les incapacités, et ultimement à des conséquences sur l’emploi. La nature insidieuse des violences a rendu difficile la reconnaissance par les professionnels et donc a limité son accès à des mécanismes de soutien.

Pour certaines, l’apparition ou l’aggravation d’une incapacité égale à l’augmentation de la VC déjà présente. Elles vivent des violences en lien avec leur genre, mais aussi en lien avec leur condition de santé. Par exemple limiter l’accès au dispositif de marche ou soins apporté. Comme pour Lina, ces gestes ne seraient pas nécessairement considérés comme de la violence pour une femme sans incapacités, mais vraiment nuisible pour elles. Cela vient fragiliser encore plus en accentuant les barrières déjà présentes dans l’environnement.

Les partenaires ont utilisé énormément de stratégies de contrôle pendant la relation et même après pour maintenir une relation de pouvoir inégal. Ces violences et ce contrôle s’inscrivent dans un contexte social excluant déjà les femmes en situation de handicap, ce qui facilite le contrôle. L’un des premiers leviers utilisés est la dépendance. L’incapacité peut amener un besoin soutien financier ou au niveau des soins. Quand la violence vient de la personne qui aide à combler les besoins de base, encore plus difficile de quitter, ce qui influence le maintien de la relation. Jacinthe nous éclaire un peu plus sur le contrôle face à sa possibilité d’avoir un emploi et donc de maintenir son autonomie financière. Même DANIE nous parle du long chemin pour retrouver son indépendance. Ces situations peuvent amener sentiment négatif et de la culpabilité sur lesquels les conjoints se sont appuyés pour négocier la relation comme nous le décrit Rolande.

De par la nature insidieuse des violences, difficile de reconnaitre par les proches et certains professionnels les attitudes et gestes du conjoint comme étant de la violence. Ce qui contribue à son invisibilisation. Comme pour Rolande, parfois même l’entourage banalise la violence, car considère le conjoint de façon positive vu qu’il apporte des soins et s’occupe d’elle. Parfois, ils vont considérer la conjointe comme étant difficile et exigeante. C’est parlant de notre façon de socialiser les femmes en situation de handicap a être reconnaissante malgré les impacts négatifs. On le voit ici avec Rolande et France comment la famille peut repositionner les femmes dans des dynamiques de pouvoir et de contrôle. L’invisibilisation de la situation est renforcé par l’isolement, souvent déjà présent vu l’incapacité, mais renforcé par la violence conjugale. La peur de ne pas être cru ou de voir sa situation banalisée peut faire en sorte que les femmes n’iront pas chercher d’aide quand elles en auront besoin.

Un autre levier que l’on peut remarquer est l’estime de soi, souvent déjà un enjeu pour nos participantes, mais accentué par la violence conjugale, comme France. L’estime va être influencée par les stéréotypes sociaux comme quoi elles ne seraient pas de bonnes mères, pas attirantes. Peut amener nos participantes à baisser leurs standards et attentes envers la relation et rester de peur de ne pas retrouver de relation intime ailleurs.

Les incapacités mais surtout les réactions sociales vont être des barrières à une participation pleine et entière pour les femmes de notre échantillon. Il s’agit d’un important facteur de maintien de la relation, fragilise les conditions de vie quand elles ont tenté de quitter en les plaçant dans des situations de grande précarité. Le marché locatif est l’un de ces milieux. Il est déjà difficile pour une femme seule de se trouver logement, c’est encore plus vrai quand, comme Anne quand il faut qu’il soit adapté. C’est pourquoi des participantes ont fait le choix de maintenir la relation afin de conserver un logement.

Pour les participantes, il est difficile de trouver un emploi et de le conserver en lien avec les incapacités, mais surtout des biais et discriminations. Claudine indique que sa situation n'est pas reconnue, donc a des difficultés d’accès aux programmes sociaux et à l’emploi. Pour celles avec un emploi, celui-ci comporte souvent peu de conditions, ce qui contribue à la diminution de l’autonomie et l’augmentation dépendance.

Trouver une ressource d’aide ou d’hébergement et s’y rendre peut-être complexe et risqué comme ce fut le cas pour Lina. Cela entraine des coûts importants, et se déroule dans un contexte avec peu de soutien. Une fois dans la ressource, ce n’est pas garanti que ça se passe bien, certaines ont nommées ne pas se sentir à leur place. En plus, peu de ressources répondaient à l’ensemble de leur besoin.

Discussion

Leurs récits nous permettent de voir la complexité de leur vécue à l’intersection du classisme, sexisme et capacitisme. Elles ont fait face peu d’alternative pour assurer leur bien-être et leur sécurité en vue des structures sociales qui limitent leur possibilité d’émancipation en invisibilisant leur vécu et en les maintenant dans des situations précaires.

Comme on la vue tout au long de la présentation, plusieurs éléments qui vont influencer le maintien de la relation malgré les violences en vue des bénéfices encontre. Elles vont consentir à un certain niveau jusqu’au point de rupture. Cela peut se solder par : aller-retour au sein de la relation (et voir violence apparaitre plus vite), nouvelle relation. Ce sont ces allers et retours la qui vont précariser leur condition de vie et accentuer davantage leur appauvrissement les mettant à risque de situation d’itinérance, vu qu’elles n’ont pas de milieu stable à elle.

Le concept d’entrapment nous aide à comprendre leur vécu à la lumière du contrôle coercitif vécu. La dynamique de contrôle comprise comme étant le fruit d’un historique de contrôle et de coercition au sein du couple. Il s’agirait d’un pattern relationnel renforcé par le contexte social. Qu’est-ce que ça veut dire ? La peur de quitter une relation peut être comprise comme l’effet cumulé : 1) des différentes tactiques de contrôle présent et passé 2) de la dépendance entrainée par la condition de santé et 3) du contexte social et culturel capacitiste et sexiste.

Le cadre intersectionnel nous offre une lunette d’analyse nous permettant de voir comment l’intersection entre le genre et condition de santé et toutes autres identités structure les inégalités qu’elles vont vivre. La VC vécue par ces femmes est ancrée dans un contexte social et historique discriminatoire qui va renforcer les dynamiques de pouvoir. D’où la pertinence d’analyser leur parcours sous l’angle des racines profondes des oppressions vécues.

Certaines parmi ces femmes ont pu accéder à des éléments facilitants. Rolande a bénéficié d’une ressource en hébergement qui lui offrait un milieu stable, en lui garantissant une place entre ses nombreux déplacements hors région pour ses rendez-vous médicaux. Bien que cette participante se considère toujours en relation avec son conjoint, l’accès garanti à cette ressource contribue à son émancipation progressive. Malheureusement, cette ressource n’étant pas gratuite, il s’agit d’un milieu inaccessible pour plusieurs participantes de l’étude, compte tenu de leur précarité financière. Anne a eu accès à un logement social adapté qui lui permettait de vivre dans un milieu stable et sécuritaire. Cependant, lors de notre entrevue, les travaux prévus pour adapter sa salle de bains n’avaient toujours pas été entrepris, près de deux ans après son emménagement. Cette situation entraîne des coûts supplémentaires en transport vers la ville voisine pour prendre un bain hebdomadaire. Un autre élément apprécié par Lina est les services de défense des droits pour les personnes handicapées. Ceux-ci l’ont guidée à travers ses difficultés et lui ont pointé les ressources disponibles, prenant en compte à la fois sa réalité de femme vivant de la violence et de femme ayant un handicap. Ces services permettent de répondre aux besoins des femmes ayant de multiples problématiques. Plus largement, il est nécessaire de mettre sur pied des dispositifs d’inclusion au niveau social et économique pour permettre aux femmes en situation de handicap d’avoir des alternatives sécuritaires à la violence. Elles ont nommé le manque de ressources et de soutien adaptés à leurs besoins comme étant un véritable frein à leur sécurité et pour stabiliser leurs conditions de vie. Il est primordial de consolider les services pour les femmes vivant de multiples problématiques sociales, de manière à garantir leur accès à des milieux d’hébergement adéquat, tout en favorisant l’accès au logement adapté et accessible.

Résumé en Anglais


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