« Les dynamiques de la participation, de l’injonction à la co-construction »,
Une étude sur les instances de participation au sein des secteurs sanitaire, médico-social et social sur le territoire ouest de l’île de La Réunion.
Irène Albert, Céline Canu et Natacha Grimaud
La notion de participation de la personne accompagnée n’est pas nouvelle mais connaît un nouvel élan depuis la promulgation de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
I/ LE CONTEXTE DE L’ÉTUDE
Le cadre législatif dans lequel s’inscrit la participation actuellement
La stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté 2018-2022 affirme que « la mise en œuvre de cette stratégie pauvreté sera l’occasion d’un choc de la participation afin d'acter l’obligation de porter les politiques sociales avec les personnes concernées » . Avec la loi d'orientation de 1998 relative à la lutte contre les exclusions, l'accès aux droits fondamentaux a été affirmé et cela permet d’associer pour la première fois les plus démunis à la définition des politiques qui les concernent.
L'injonction participative s'est manifestée dans les politiques sociales dans le cadre réglementaire des établissements et des services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) avec la loi 2002-2 rénovant l'action sociale et médico-sociale. Dernièrement, les Etats généraux du travail social de 2015 ont débouché sur un plan d'action en faveur du travail social et de l'intervention sociale. Un de ses objectifs phares est de faire participer les personnes concernées et de mieux les accompagner.
L’Ile de La Réunion et la participation
L’île de La Réunion, département français depuis 1946, est soumise au même cadre législatif que la France, notamment concernant l’ensemble des politiques sociales. Seize chantiers thématiques portant sur l’enfance, l’insertion et le travail social ont été établi dans l’objectif de construire et de mettre en œuvre des mesures au plus proche des réalités territoriales. Parmi ces seize chantiers, existe un groupe consacré à la thématique « participation ». Le département de La Réunion a été choisi pour travailler sur la thématique de « la participation ». C’est la Fédération des Acteurs de la Solidarité Océan Indien (FAS-OI) qui a été choisi pour animer aux côtés du CRPA Réunion (Conseil régional des Personnes accueillies et accompagnées) le groupe de travail sur la participation.
Notre étude, menée dans le cadre de la formation DEIS à l’IRTS Réunion, consacrée aux dynamiques de participation sur notre île a été commanditée par cette association.
Une étude sur la « participation » commandité par la FAS-OI
La Fédération des Acteurs de la Solidarité nationale, créée en 2016 est un réseau d'associations de solidarité et d’organismes qui accueillent et accompagnent les personnes les plus démunies. Cette étude permettra d’évaluer le niveau de participation des personnes concernées dans les instances de participation existantes sur le territoire de La Réunion en lien avec le plan de lutte contre la pauvreté. La participation est alors pensée comme un facteur de réussite de la stratégie promue par ce plan. Ainsi, les résultats permettront de valoriser l’existant et d’établir des préconisations afin d’élargir la mise en œuvre de la participation sur l’ensemble du territoire réunionnais et d’atteindre les pouvoirs publics.
La problématique traitée dans le cadre de cette étude était la suivante : : « En quoi les dynamiques de participation influent-t-elles sur la démocratie participative au sein des instances de participation des secteurs sanitaire, social et médico-social ? » Nous avons tenté de répondre à cette question en recherchant le statut de partenaire attribué ou pas à la personne concernée dans le cadre l’instance de participation, le degré d’implication et l’adaptation dont fait preuve celle-ci, ainsi que les responsabilités individuelles mis en jeu dans le cadre du « pouvoir d’agir ».
II/ LES RÉSULTATS DE L’ÉTUDE
L’instance type
À l'issue de l’étude quantitative réalisée auprès de 42 instances de participation, un profil type d’instance de participation ressort. Elle se nomme autrement qu’une dénomination instituée et encadrée par une loi. Elle ne relève pas d’un cadre légal précis et ni d’une loi. L’instance type se réunit suivant les besoins et de façon formelle. Elle se compose de personnes concernées, de professionnels, de familles et de cadres. Sur l’échelle de la participation de Sherry Einstein , elle se situe au niveau information.
Les freins et leviers à la participation
Pour analyser les résultats qualitatifs issus de 25 entretiens semi-directifs menés auprès de personnes concernées, de professionnels de terrain et de cadres, nous avons procédé à une analyse thématique permettant de révéler des freins et leviers à la participation sur l’appui de trois thèmes : le fonctionnement des instances, les représentations des personnes et l’effectivité de la participation.
Dans les témoignages, le manque d'accessibilité sur les résultats de la participation a été souligné comme un frein. L'absence de retour sur la plus-value de la participation conduit les personnes vers un sentiment de lassitude et de découragement. Aussi, la manière de communiquer, l’identification d’un lieu repéré et l’adaptation des horaires sont des fondamentaux pour faciliter la participation des personnes. L'absence de support technique pour faciliter la compréhension des personnes, ainsi que l'absence de transport pour venir les instances sont révélées comme des freins à la participation. Aussi, les témoignages ont permis de révéler des problématiques liées à la défiance des personnes envers les institutions et au manque de délégation de pouvoir par les pouvoirs publics. La crise sanitaire a été identifiée comme un frein car elle a mis des projets en suspens et engranger une baisse ou une cessation d'activité. Dans les discours, le besoin de considération est décrit comme un levier de la participation. Placer la personne comme experte de sa situation permettrait de développer ses capacités à être force de proposition dans les instances. Sur les pistes de d'amélioration proposées par les personnes interviewées liées à des enjeux techniques notamment sur l’adaptation de la communication et des supports, l’animation des instances, l’anticipation et l’organisation des rencontres. (5850 ENC)
Les enjeux de la participation
L'analyse des résultats a permis de dégager les enjeux de la participation sur les territoires ouest de l'île de La Réunion. Pour être effective, la participation doit être pensée avec et par l'ensemble des acteurs, en permettant à la personne concernée d'acquérir un statut de partenaire. La considération et la reconnaissance dans les instances des participations sont des besoins auxquels il est nécessaire d'apporter une réponse aux personnes. Pour permettre leur implication dans les instances, la mise en valeur et l'évaluation des effets de la participation doivent faire l'objet d'un partage. Aussi, l’un des enjeux de la participation est d’amener les pouvoirs publics et les personnes elles-mêmes à conscientiser les effets et l’importance de leur pouvoir d'agir. Enfin, la question du sens, « pourquoi participons-nous ? » relève d'un axe essentiel à travailler pour la rendre effective.
III/ LES PRÉCONISATIONS
Pour ce faire, il s’agit véritablement de mettre à contribution l’expérience, l’expertise d’usage des personnes concernées avec celles des professionnels au service de la collectivité. Pour donner suite concrètement aux éléments mis en avant ci-dessus, il est important de partir des besoins et attentes de l’ensemble des acteurs de la participation pour proposer des pistes d’amélioration réalistes et crédibles. Cette co-construction a abouti aux propositions d’actions suivantes, répertoriés selon deux axes :
Légitimer l’expérience des personnes concernées
1. Création d’une certification du savoir expérientiel
Pour modifier les représentations de l’ensemble des acteurs et renforcer l’estime de soi des personnes concernées souhaitant valoriser leurs expériences et développer leurs compétences ; cette certification pourrait déboucher sur la délivrance d’un titre professionnel.
En 2021, ce partenariat construit ente l’IRTS de La réunion et La FAS-Océan Indien a permis de mettre en œuvre deux formations à destination de futurs professionnels.
2. Accompagner la reconnaissance du travail-pair et de la pair aidance
Le travailleur-pair auprès des professionnels permettra à la personne concernée de bénéficier du rôle de facilitateur, de médiateur pour construire un climat de confiance et sensibiliser les professionnels aux réalités de vies des personnes qu’elles accompagnent. La « pair aidance », statut associée au bénévolat, peut participer à l’enrichissement personnel et au bien-fondé d’une action pour la collectivité.
3. Créer un module de formation composé de cadres et de personnes concernées
Pour réduire l’écart entre les réalités de gestion auxquels les cadres sont soumis et les réalités de terrain qui font partie du quotidien des personnes concernées et de certains professionnel(le)s. ce module permettra de faire des personnes concernées, des partenaires et des co-décisionnaires
Favoriser l’intégration de la démarche de participation dans la culture sanitaire, sociale et médico-sociale
4. Créer une maison de la participation
Une structure d’appui, experte du sujet de la participation où se retrouveraient toutes les personnes intéressées par cette thématique dans les 3 champs (social, médico-social et sanitaire). Elle se matérialiserait sous la forme d’un bus itinérant afin d’aller-vers la population et favoriser la participation. Ce bus répondrait à la problématique de la mobilité soulevée par les personnes concernées.
5. Mettre en œuvre un accompagnement de tous à la participation
En 2021, la « Charte de la Participation » a été créée par l’ensemble des acteurs pour favoriser l’intégration de tous dans tous types d’instances à partir de l’expérience de participation de chacun. Cette charte a pour objectif d'outiller aussi bien les personnes concernées que les professionnels et institutionnels en vue d’appliquer de bonnes pratiques pour favoriser et pérenniser la participation des personnes concernées.
Des ateliers de participation pour « mettre en action » la participation ont été mis en place sur tout le territoire par la FAS-OI dans des structures d’hébergement, d’insertion, des maisons de quartier, etc. pour initier le développement de l'Aller-Vers et favoriser ainsi la participation en identifiant les freins, les leviers et les préconisations. Ces échanges sont collectés et compilés afin de servir de bases de plaidoyer.
La participation a des finalités plurielles, avec des portées individuelles et collectives. Pour assurer son existence et sa survie, celle-ci est vouée à s’inscrire dans le cadre d’une véritable culture de la participation.
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