En Fédération Wallonie–Bruxelles (FWB), l’Administration générale de l’Aide à la jeunesse (AGAJ) intervient pour apporter une aide spécialisée lorsque des mineurs et leur famille se trouvent en situation de danger ou de difficulté. L’AGAJ comporte des institutions mandatées, dans lesquelles un mandat régit le cadre de travail afin d’accompagner le jeune concerné, et d’autres non mandatées. Parmi ces dernières, figurent les services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO) qui ont pour missions « d’apporter aux enfants et aux jeunes une aide préventive, dans leur milieu de vie et dans leurs rapports avec l'environnement social et familial. » (FWB, 2014, p.23). Elle représente un lieu d’accueil, d’information, d’orientation, d’écoute, de soutien et d’accompagnement (Gilles & Vanhaverbeke, s.d.). L’AMO peut être sollicitée par le jeune, sa famille ou une personne proche (FWB, 2014). Cette institution propose un accompagnement totalement libre et non contraignant qui est opérationnalisé par de l’aide individuelle et des actions collectives, tout en soutenant l’expression des usagers, leurs besoins et leurs difficultés auprès des instances sociales, administratives et politiques (Onkelinx, 2014). Chaque action est proposée de manière confidentielle, anonyme et vise à rendre la citoyenneté accessible à tous, en ayant recours au volontariat comme outil d’inclusion ( Feulien, 2009 ; Davagle et al., s.d.).
Étant un service non mandaté, l’AMO implique une démarche totalement volontaire de la part du jeune. En ce sens, le fait "d’aller vers" l’institution exprime un véritable besoin et une réelle volonté de la part de ce dernier, ces deux éléments étant perçus comme la pierre angulaire à la mise en place d’un accompagnement (Alaoui, 2012). Cette volonté de s’insérer dans la vie sociale requiert une certaine participation et une expression de la part des usagers concernés (Anesm, 2008). De plus, chaque intervention sociale se doit d’être développée à partir des attentes et des besoins du public, de sorte qu’elle facilite la relation entre l’usager et la société (Polère, 2015). Les savoirs expérientiels et les compétences des usagers doivent être pris en compte afin qu’ils soient considérés comme de véritables acteurs de leur projet (Fourdignier, 2016). Selon De Robertis (2007), il s’agit de transformer la position passive des usagers en une position d’acteur, et ce, en transformant les difficultés en de véritables ressources.
Néanmoins, Barissat et al. (2005) mentionnent que la participation n’est jamais acquise et doit être constamment améliorée et actualisée. Il s’agit d’un processus de développement individuel qui doit se coconstruire de manière collective avec l’entourage et les personnes en mesure d’apporter de l’aide (Brett, 2003). Il s’agit du fondement de tout projet d’accompagnement ou d’éducation, le fait d’apprendre à un individu en difficulté à ne pas seulement obéir et exécuter, mais bien de donner son avis et de participer pleinement en se mobilisant pour son projet. Par ailleurs, une participation relève de l’exercice d’un droit, et non pas d’une obligation (Anesm, 2014).
La participation et la mobilisation des usagers d’un service social agit comme un levier de changement opérant. D’une part, la personne accueillie se dirige vers une valorisation personnelle, une affirmation et une confiance en soi grâce à une prise en compte de ses attentes et de ses besoins. D’autre part, l’intervenant social s’oriente vers une meilleure adéquation entre les objectifs et les actions mises en place au sein de son établissement (Ducrettet, 2016). Dès lors, la participation des usagers de l’action sociale est un processus qui se construit progressivement, allant de la simple information jusqu’aux pratiques de codécision (Haut Conseil du Travail Social, 2017).
Dans ce contexte, cette étude propose de mettre en évidence les processus de participation sociale observés au sein des AMO, les leviers et freins qui interviennent dans leurs développement ainsi que les effets produits sur les usagers. Pour ce faire, une méthode mixte a été employée selon le modèle Convergent Parallel Design (Creswell & Plano-Clark, 2011). Ce type de recherche permet de croiser des analyses qualitatives et quantitatives dans une perspective d’interprétation globale enrichie par les spécificités de ces deux types de données.
L’analyse qualitative a été réalisée à l'aide d'entretiens semi-directifs, auprès d’un échantillon d’intervenants sociaux (N=12) recruté selon une méthode empirique caractérisée par des critères d’inclusion (Berthier, 2010). Le guide d’entretien est basé sur une revue de la littérature ciblée sur les différents aspects de la participation sociale. Une analyse thématique a été effectuée sur les entretiens réalisés. Il s’agit d’une forme d’analyse qui permet le traitement de données qualitatives à travers un processus systématique de réduction de données opéréé grâce à la création de thèmes identifiés dans le corpus et leur regroupement (Paillé & Mucchielli, 2016). Cette première analyse a pour but le recueil des représentations et du vécu des intervenants sociaux des AMO vis-à-vis de leurs pratiques et des facteurs favorisant la participation de leurs usagers.
L’analyse quantitative a été menée à l’aide de questionnaires en ligne permettant aux usagers des AMO de répondre de façon auto-administrée (Berthier, 2010). Les items du questionnaire ont été créés sur le même principe que le guide d’entretien de la première analyse. L’échantillon se compose de jeunes étant ou ayant été usagers d’une AMO (N=54). Les résultats ont fait l’objet d’une analyse statistique descriptive. Cette seconde étude poursuit l’objectif d’investiguer le point de vue des usagers sur l’accompagnement dont ils ont fait l’objet et sur leur représentation de la participation sociale.
Le croisement de ces deux analyses a été réalisé sur base de la méthodologie de l’approche réaliste permettant d’identifier les mécanismes sous-jacents d’un processus d’action, les contextes par lesquels ils sont activés et les effets qu’ils produisent (Robert & Ridde, 2013).
Les résultats de cette étude mixte mettent en évidence les facteurs intrinsèques et extrinsèques qui déterminent les participation active des usagers des AMO. Parmi ceux-ci, se retoruvent la motivation, les besoins fondamentaux, la relation de confiance, le sentiment d’appartenance, la réflexivité, l’écoute active, la confiance en soi, etc. De plus, les facteurs qui entravent l’implication du public sont également identifiés à travers la représentation négative des services sociaux, la divergence entre la demande et les besoins, la temporalité de la prise en charge, l’instrumentalisation du service, le lien de dépendance entre l’usager et l’intervenant social, la fracture numérique, etc.
Tous ces facteurs s’insèrent dans différentes configurations illustrant les liens dynamiques entre les contextes des usagers, les mécanismes mis en œuvre et les effets produits. Les résultats d’analyses semblent démontrer que l’implication des usagers des AMO dans un processus de participation dépend de plusieurs variables. Il est notamment essentiel d’identifier clairement les besoins de l’usager et qu’il ait une réelle volonté d’améliorer ses conditions de vie afin de favoriser une participation active. De plus, toute action devrait permettre l’implication active du public dans l’accompagnement à travers l’application d’un mécanisme de co-construction, la mobilisation et la valorisation des ressources individuelles, la mise en place d’activités collectives et individuelles ainsi que le développement du pouvoir d’agir. Enfin, l’interaction avec l’acteur social, son positionnement et la place laissée à l’usager jouent un rôle essentiel dans cette dynamique.
Cette recherche donne un éclairage alimenté par le point de vue des intervenants et des usagers sur les dynamiques de participation et d’implication de ce public au sein les institutions non mandatées de l’aide à la jeunesse en FWB. Elle ouvre des perspectives de compréhension sur les leviers activables par les professionnels de l’action sociale dans leur pratique afin de susciter la participation des usagers.
Bibliographie :
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Ducrettet, G. (2016). La participation des usagers dans la construction des politiques sociales : un chambardement dans un jeu d’acteurs ?. Empan, 2(2), 130-134. https://doi.org/10.3917/empa.102.0130
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Feulien, C. (2009, juin). Au coeur du travail des Services d’Aide en Milieu Ouvert. Consulté à l’adresse https://educationsante.be/au-coeur-du-travail-des-services-daide-en-milieu-ouvert/
Fourdrignier, M. (2016). Les coopérations, de nouvelles transactions dans le travail social?. Pensée plurielle, 3(3), 23-35. https://doi.org/10.3917/pp.043.0023
Gilles, M., & Vanhaverbeke, J. (s.d.). Aide à la jeunesse. Consulté à l’adresse http://www.educ.be/carnets/aaj/contexte.pdf
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Onkelinx, L. (2014). Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif aux conditions particulières d'agrément et d'octroi des subventions pour les services d'aide en milieu ouvert. Consulté à l’adresse https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/23078_002.pdf
Paillé, P. & Mucchielli, A. (2016). L’analyse qualitative en Sciences Humaines et Sociales (4e éd.), Domont : Armand Colin.
Polère, C. (2015). L’action sociale & les usagers quelles relations ? Quelles perspectives ? Tour d'horizon d'enquêtes & d'expérimentations en France. Consulté à l’adresse http://www.millenaire3.com/content/download/8740/187016/version/8/file/Action%20sociale%20et%20usagers_W
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