Congrès AIFRIS Juillet 2022
La prise en compte des personnes dans la formation des assistant.e.s social.e.s
En tant qu’enseignant et coordinateur pédagogique de la formation assistant.e social.e à l’HENALLUX, mon propos portera sur l’orientation donnée à la formation depuis cinq ans en vue notamment de revoir la place accordée aux personnes dans le travail social.
Cette réorientation trouve son origine dans des rencontres avec des professionnels de terrain, des jeunes diplômés, des chercheurs, … Elle se fonde sur une lecture critique du modèle dominant de nos sociétés qui se reflète dans le champ de l’action sociale et qui a tendance à assimiler les crises sociales à des crises individuelles en renonçant ainsi à agir sur les causes macrosociales. La domination de ce modèle peut aussi s’observer au travers des logiques de gestion inspirées du monde marchand et qui ont envahi les sphères dont le but n’est pas un but de profit.
Dans le travail social contemporain prévaut le modèle d’une intervention centrée sur l’individu induite par des politiques sociales qui, ces dernières années, mettent l’accent sur la responsabilité de l’individu et la nécessité d’une contractualisation individualisée dans toutes les formes d’accompagnement (Moine, Sorita 2015).
Pour les travailleurs sociaux, il en ressort parfois une perte de sens, un sentiment d’instrumentalisation et d’impuissance, des tensions identitaires, de l’épuisement professionnel, de la déviance pour faire mieux autrement.
Au cœur de ce questionnement, il y a comme enjeu la place de chacun.e, pris en tant que personne dans sa singularité et sa globalité, non seulement au travers de ses déficits, mais surtout de ses ressources, en prise avec des réalités sociales complexes et multifactorielles, appartenant à des groupes et communautés et membre d’une société.
Sur base de ces analyses, nous, les formateurs.trices, avons voulu faire apparaître plus clairement notre corpus idéologique et méthodologique au sein de la formation. Au modèle dominant, qualifié de libéral, nous avons voulu opposer un autre, appelé modèle solidaire, fondé sur le care. Berenice Fisher et Joan Tronto (cité dans Tronto, 2009) définissent le care comme « une dimension essentielle de la vie humaine pouvant apporter des réponses à la situation de vulnérabilité, une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Chacun est donneur et receveur de care. Nous avons toutes et tous les ressources minimales pour prendre soin de soi et des autres.
Ce modèle se caractérise par la notion d’interdépendance qui découle de la commune vulnérabilité inhérente à la condition humaine. La vulnérabilité qui, selon Marc-Henry Soulet (2014), est de nature relationnelle et revêt notamment une dimension structurelle. Elle est renforcée par l’asymétrie de la relation et les rapports de domination. À charge pour le travailleur social de rendre la relation moins asymétrique. Il y a, dans l’accompagnement, selon Maëlla Paul (2016), deux dimensions à conjuguer : une dimension instituée qui légitime le rapport professionnel (rôles établis et non permutables au sein du dispositif) et une dimension instituante constitutive du lien (la relation tend vers plus de symétrie).
Il s’agit davantage de faire alliance entre personnes, dont certaines, entre autres caractéristiques, sont des professionnel.le.s du travail social et d’autres, entre autres, vivent une période de fragilité. Nous préférons ce vocable à celui, plus étriqué et plus unilatéral, d’intervention sociale de la part d’assistants sociaux à l’égard d’usagers. L’alliance ne suppose pas seulement d’être avec les personnes, de les écouter, d’être à leur côté, mais aussi d’être de leur côté, d’entrer en résonnance avec elles, de faire équipe.
Nous nous situons dans le registre de la prise en compte -de l’autre en tant que sujet de droits - plutôt que de la prise en charge. « Présente dans certaines démarches citoyennes ou dans des tentatives de redéfinir les rapports entre professionnels et destinataires de services, la prise en compte devient une occasion de transformation des modalités de l’intervention » (Karsz 2011). La prise en compte, selon Karsz (2011), porte également la nécessité d’engagement du travailleur social, le constat d’une neutralité impossible et l’obligation implicite de prendre part et parti. Fondamentalement, la prise en compte redonne un statut de sujet social tant au travailleur social qu’à la personne, permettant à l’un comme à l’autre de manifester un engagement et de développer des stratégies.
Cette alliance passe par des pratiques, à la fois individuelles et collectives, telles que l’accompagnement, la participation et la promotion des droits qui permettent de réfléchir une projet politique démocratique (Roman, 2016). Elle invite à penser que la démocratie est garantie tout autant, si pas davantage, par les pratiques quotidiennes que par les institutions. Ces trois pratiques de travail social sont reprises comme socle de base durant tout le cursus. Accompagner, c’est se joindre à quelqu’un (mise en relation) pour aller où il va (mise en chemin) en même temps que lui (à son rythme) (Paul, 2016). Favoriser la participation individuelle et collective consiste à veiller en tant que travailleur social à ce que les personnes, les groupes, les communautés soient associés aux décisions qui les concernent. Promouvoir les droits, c’est lutter contre les inégalités et permettre à chacun.e d’entrevoir la possibilité de mener une vie digne.
D’un point de vue méthodologique, nous avons choisi de débuter la formation par l’analyse d’un territoire qui se fait en petits groupes. Ceux-ci s’immergent sur un territoire au choix dans l’idée d’approcher la complexité des réalités sociales et plus particulièrement des situations de vie en les reliant aux caractéristiques spatiales, sociales, temporelles, symboliques des lieux où elles s’observent. Une des plus-values est de répertorier l’ensemble des ressources, à différents niveaux, sur lesquelles il est possible de s’appuyer en vue d’élaborer ensemble un plan d’action à mettre en œuvre et à évaluer, que ce soit dans le cadre d’un travail social individuel, de groupe ou communautaire que nous tentons d’articuler à travers quatre étapes sur lesquelles je reviendrai ci-dessous.
L’analyse territoriale ouvre la possibilité pour les travailleurs sociaux de promouvoir des initiatives fédératives qui concernent le bien commun. Initiatives ou les personnes se déprennent des stigmates liés à la catégorisation « d’usagers de services sociaux », parce qu’ils sont acteurs du territoire et vivent des expériences ou ils développent des aptitudes à vivre avec d’autre sujets, à habiter de façon participative (Moine, Sorita, 2015).
Le processus en travail social que nous travaillons avec les étudiant.e.s, comprend donc, comme je l’ai signalé plus haut, quatre étapes, soit la problématisation, l’élaboration, l’action, et l’évaluation prospective. A l’image de la démarche de croissement des savoirs menée par ATD Quart-Monde, il nécessite d’impliquer les acteurs concernés aux quatre étapes. Ce faisant, nous questionnons la place, souvent centrale, de celui qui sait, occupée par le travailleur social lorsqu’il s’agit de définir le problème, d’envisager l’action, de la mettre en œuvre et de l’évaluer. L’idée est que ces étapes ne peuvent être menées que conjointement et pas de la part de l’intervenant pour l’usager. Le savoir est toujours parcellaire, c’est en mobilisant et croisant les expertises, qu’elles soient expérientielles, professionnelles, académiques, que le processus s’élabore.
Dès ses origines, comme l’écrit Michel Autès (2019), « le travail social n’a cessé de ressentir et d’énoncer la tension qui existe entre la résolution de problématiques individuelles au cœur de sa pratique et les causalités sociales qui les produisent et les alimentent. Entre travail social individuel et travail social collectif, le débat a toujours été ouvert, mais sans jamais rencontrer son issue. » Modestement, nous tentons de dépasser cette tension en articulant les différentes méthodologies en travail social au sein d’Unités d’Enseignement dans lesquelles les étudiant.e.s, au départ de réalités sociales complexes, envisagent du travail social individuel, groupal et communautaire qui se complètent et se renforcent mutuellement.
Au travers de cette façon d’opérationnaliser dans la formation la nécessaire coopération, même si elle est parfois conflictuelle, entre les différents acteurs, nous tentons de mettre au centre du processus les personnes souvent reléguées en périphérie dans nos sociétés. Ce faisant, nous espérons contribuer à rendre visible l’invisible.
Damien Bouchat, Coordinateur pédagogique département social HENALLUX, Conseiller à la formation FOPES-UCL
Bibliographie
Autès, Michel. (2019). Participation et démocratie dans le travail social. Dans Le Sociographe 2019/4 (n° 68), pages 33 à 42 https://www.cairn.info/revue-le-sociographe-2019-4-page-33.htm
KARSZ, Saül. (2011). Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique, Paris : Dunod.
Moine, A., Sorita, N. (2015). Travail social et territoire. Rennes : Presses de l’EHESP.
Paul, M. (2016). La démarche d’accompagnement. Louvain-La-Neuve : de boek supérieur.
Roman, D. (2016). Care et protection sociale. Regards, 50, (2), 23-34. https://www.cairn.info/revue-regards-2016-2-page-23.htm
Soulet, M.-H. (2014). Vulnérabilité et enfance en danger. Quels rapports, quels apports ? https://www.fondation-enfance.org/wp-content/uploads/2016/10/onpe_vulnerabilite_identification_risques_protection_enfance.pdf
Tronto, J. (2009). Un monde vulnérable. Pour une politique du care. Paris. France : La découverte.
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