Fiche Documentaire n° 5892

Titre L’expertise québécoise en intervention collective révélée par ses acteurs

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Auteur(s) BOURQUE Denis  
     
Thème Éthique et pratiques d'accompagnement de l'action collective  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

L’expertise québécoise en intervention collective révélée par ses acteurs

Cette proposition de communication s’inscrit dans l’axe 1 soit Favoriser le dialogue dans les pratiques d’intervention sociale, de formation et de recherche. Elle s’appuie sur une recherche participative portant sur l’intervention collective définie comme 1- intervention salariée avec un groupe, une ou plusieurs associations, ou une collectivité; 2- intervention pratiquée selon un processus par lequel ce groupe, cette association ou cette collectivité identifie des problèmes, mobilise des ressources et développe une action collective pour y répondre; 3-intervention orientée vers la solidarité et la participation sociale au moyen de pratiques démocratiques (Comeau, Bourque et Lachapelle, 2018). Le projet visait à documenter une pratique complexe et peu codifiée, faisant appel à une diversité de formations et d’expertises, et réalisée dans une grande variété d’organisations et de domaines d’intervention (Lachapelle, 2017). Par-delà la diversité de ces pratiques qu’au Québec et en France on qualifie parfois de « métiers du développement » (Robitaille, 2016), celles-ci ont comme objet commun des problématiques de pauvreté et d’inégalités sociales.

La recherche été réalisée en s’appuyant sur l’expérience de 12 intervenant.e.s chevronné.e.s qui ont accepté de se livrer à une démarche interactive narrateur-chercheur d’introspection et d’analyse critique, non seulement de leur pratique professionnelle mais aussi de leur histoire personnelle et familiale. En faisant appel à l’expérience et à la réflexion critique de ces intervenant.e.s, nous présumions que par-delà les modèles classiques reconnus en intervention collective, que nous pourrions qualifier de méta-modèles, les intervenant.e.s ont dans leur pratique expérimenté ou développé d'autres modèles peu connus ou reconnus, de plus ou moins grande portée, à mettre en valeur et situer dans le vaste champ de l'intervention collective.

Des 3 modèles de l’approche biographique (Guay et Thibault, 2012) soit autobiographique (issue de l'acteur), biographique (reconstituée par le chercheur), et dialectique (collaboration entre chercheur et acteur), nous avons retenu ce dernier. L’acteur narrateur devient alors producteur de connaissances par sa démarche d'expression et de compréhension de sa propre expérience dont il permet de dégager le sens qu’il lui reconnaît et le savoir qu’elle contient à partir de l’exercice de reconstitution de son parcours professionnel enraciné dans son histoire personnelle. L’approche biographique ainsi abordée sous un angle constructiviste, rejoint certaines dimensions de l’approche narrative développée en intervention clinique (Gusew, 2017). Le processus de construction de récits repose sur une posture de partage d’expertises de savoirs, le chercheur devenant accompagnateur du sujet-acteur à qui il fournit par ses propositions sur le processus et le contenu le cadre lui permettant de reconstituer son histoire et réaliser la meilleure objectivation possible de son expérience. Cette « posture clinique » implicite a permis de nous définir comme co-chercheur, le sujet demeurant le producteur et la source première des données que le chercheur aide à repérer, en même temps que le sujet contribue à leur analyse par le retour et le bilan qu’il fait des composantes de sa pratique ou le bilan d’ensemble de son parcours. Ce qui soulève, pour le chercheur, le risque de guider la collecte selon ses perceptions et interprétations du vécu du sujet, basées sur son propre vécu de chercheur, et sur son schéma « implicite » d’analyse de la pratique qu’il veut mettre en valeur. Nous expliciterons la nature des rapports que la démarche nous a amenés à développer avec les sujets, et les enjeux méthodologiques et éthiques inhérents à la « posture clinique » que nous avions choisie à travers l’approche biographique. En conclusion, nous livrerons quelques réflexions sur les contributions et les limites de cette approche pour le développement des connaissances en intervention collective.

Bibliographie

Bertaux, D., 2005. Le récit de vie, Armand Colin, Paris.
Comeau, Y., Bourque, D., et Lachapelle, R., (dir.), 2018, L’intervention collective. Convergences, transformations et enjeux, Québec, PUQ, 172 p.
Desmarais, D., 2009, L'approche biographique, (chap. 14), dans Gauthier, B. (dir.),. Recherche sociale, de la problématique à la collecte des données, PUQ.
Guay, C., 2011, La rencontre des savoirs à Uashat mak Utenam : regards des intervenants sociaux sur leur pratique, Thèse de doctorat, UQO, Gatineau.
Guay, C. et Thibault, M., 2012. « Libérer les mots : pour une utilisation éthique de l’approche biographique en contexte autochtone », Revue Éthique publique, vol. 14, n° 1 (Peuples autochtones et enjeux d'éthique publique).
Gusew, A., 2017, L’utilisation de l’approche narrative dans l’intervention individuelle en travail social, dans Méthodologie de l’intervention social personnelle, 2’ édition, PUL
Jeannot, G., 2011. Les métiers flous. Travail et action publique, Octarès Éditions, Toulouse.
Lachapelle, R. et Bourque, D., 2020, Intervenir en développement des territoires, PUQ
Lachapelle, R., 2017 Être passeur. La fonction de liaison en organisation communautaire (Presses de l’Université du Québec)
Mayer, R., Ouellet, F., et al., 2000, Méthodes de recherche en intervention sociale, Gaétan Morin éditeur
Mercier, C., 2020, Participation citoyenne et développement des communautés au Québec: enjeux, défis et conditions d’actualisation. ARUC-ISDC, UQO
Robitaille, M., 2016, Les métiers du développement territorial au Québec, Être un agent de développement aujourd’hui, Québec, PUQ, 156 p.

Présentation des auteurs

Denis Bourque, Ph. D. en service social, est professeur titulaire au Département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais. Il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire de 2007 à 2017. Ses recherches ciblent l’action et l’intervention collectives.

Communication complète

L’expertise québécoise en intervention collective révélée par ses acteurs











Denis Bourque, professeur, Département de travail social, Université du Québec en Outaouais











Introduction







Cette communication expose sommairement les principaux résultats d’une recherche participative portant sur l’intervention collective telle qu’elle est décrite et analysée dans 12 récits biographiques d’intervenantes et d’intervenants collectifs (IC) publiés de 2015 à 2020 par la Chaire de recherche du Canada en organisation communautaire. Un ouvrage sur le sujet a été publié en 2021 qui constitue un essai de compréhension de la structuration de pratiques avancées d’intervention collective au Québec (Mercier et Bourque, 2021).







Méthodologie et thèmes de recherche 







La démarche de recherche s’est appuyée sur la méthodologie générale de l'approche biographique telle que développée en recherche qualitative dans le champ des sciences humaines (Bertaux, 2005, Desmarais, 2009). En étant impliqués comme partenaires actifs du processus de recherche, les participants d’une telle démarche deviennent les sources premières de données par leur capacité à fournir ou à reconstituer les éléments-clés de leur pratique. Nous assumons avec Guay et Thibault (2012) que de telles pratiques professionnelles ne sont pas guidées uniquement par une base théorique prédéterminée ni seulement par les savoir-faire dominants, mais elles sont aussi fondées sur les connaissances dérivées de l’apprentissage expérientiel et en grande partie par le processus de socialisation (Guay, 2011). Ces différents processus d’apprentissage constituent le lien entre la personne et la culture, et fondent, en fait, l’identité du narrateur.







Par cette approche, les dimensions du parcours personnel qui ont pu influencer la pratique professionnelle de l'acteur-sujet nous intéressent dans la mesure où celles-ci permettent de dépasser la narration ou l'énonciation de ce parcours et de cette pratique et de remonter aux éléments analytiques et théoriques sur lesquels son expérience s'est appuyée ou qu'elle recèle de façon implicite. Il devient alors producteur de connaissances en contribuant à travers une démarche interactive avec le chercheur à dégager du sens et du savoir à travers l’exercice de mémoire et d’analyse de son parcours professionnel aussi bien que personnel. 







Précisons qu’à travers les douze récits réalisés dans notre recherche, nous ne prétendons pas avoir répertorié l’ensemble de la pratique d’intervention collective. Suivant la méthodologie de la théorie ancrée (Glaser, 1992), nous aurions pu fixer le nombre de « cas » à couvrir d'après l'atteinte de l'effet de saturation des données produit à travers la démarche progressive de cueillette. Mais s'agissant d'un premier exercice du genre, mené à titre exploratoire, et compte tenu des contenus recherchés et des moyens disponibles, nous avons considéré justifié de procéder non pas par souci d'exhaustivité et représentativité des pratiques possibles, mais par l’exploration approfondie de pratiques exemplaires, au sens de significatives par la durée, l'ampleur et l'originalité. Selon notre connaissance des types et des champs de pratique, les récits retenus nous paraissent fournir une base de données permettant une exploration adéquate et quand même relativement fidèle de l'état actuel des pratiques d'intervention collective. 







Ces récits ont été abordés sous 2 grands axes, le premier au contenu principalement descriptif et narratif et le second sous l’angle de thèmes qui nous semblaient centraux comme objets de ces pratiques. Outre le volet de la trajectoire familiale, académique et professionnelle, l'axe informatif portait sur les réalisations les plus significatives et structurantes au plan des pratiques (nature des projets ou démarches réalisées, leurs effets, les conditions de réalisation et de succès, les rôles et fonctions exercées) de même que les différents référents (normatifs, théoriques, méthodologiques, personnels, etc.) qui ont guidé ou étaient présents dans l’ensemble de leur pratique. L'axe thématique transversal visait à dégager de l'expérience générale de l'IC sa lecture des enjeux et défis que présente la pratique d’intervention collective dans ses dimensions déterminantes, soit la place faite aux citoyens comme premiers concernés, les représentations de la dimension territoriale comme cadre de l’intervention collective, les rapports avec les élus et avec le leadership politique, les interactions avec les autres « agents de développement » présents sur le territoire et la prise en compte des communautés culturelles. Nous avons aussi exploré les liens de leur pratique avec la fonction de liaison développée par Lachapelle (2017) ainsi que l’exercice du leadership de processus, la gestion des conflits d’allégeance, les rapports à l’éthique dans la fonction d’accompagnement, notamment le respect de l’autonomie, du rythme, des rôles et des valeurs des accompagnés et les modes de gestion des rapports de pouvoir et des conflits éthiques. 







Les récits biographiques témoignent que l’accompagnement des processus d’action collective et de développement des communautés (DC) constitue la dimension la plus significative de l’intervention collective. Cette fonction d’accompagnement fait partie des cinq rôles en organisation communautaire selon le Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire (RQIIAC), qui la décrit ainsi:







Agir à titre de personne-ressource en offrant un soutien à différentes étapes de mise en œuvre d’un projet, en guidant l’élaboration, en facilitant le déploiement des activités et en soutenant le processus d’évaluation, en cohérence avec les besoins constatés et dans le respect de la mission du groupe visé. (RQIIAC, 2020, p. 76)







Les récits biographiques nous permettent d’aller plus en profondeur dans la description et la compréhension de l’accompagnement. À partir de la typologie de Paul (2003), l’accompagnement peut se concevoir selon trois rôle-type soit : Conduire/Initier (animer-impulser) ; Guider/Soutenir (inspirer-faciliter-outiller) ; Escorter/Agencer (orchestrer-architecturer). Ces rôle-type peuvent se succéder ou se croiser dans une même intervention selon les exigences de chacune des situations.  







Conduire ou assumer une posture d’initiative en intervention collective







Le premier rôle-type qui définit la fonction d’accompagnement consiste à assumer une posture d’initiative sous un mode d’exploration, de sensibilisation, de proposition, de validation, mais jamais d’imposition. Cette posture d’initiative se déploie lors du démarrage d’une action collective qui devient l’objet de l’intervention collective, surtout si elle découle d’une décision de l’intervenant collectif (IC) ou de son organisation, ou lors de situations de blocage d’une action collective en cours. Dans ce rôle-type de Conduire, l’IC compte sur ses capacités de rassembleur qui viennent de dispositions personnelles (leadership, empathie, habiletés d’animation, etc.) permettant de bien lire et de pouvoir saisir les occasions de mobilisation et d’action dans une situation donnée, mais dans la perspective stratégique du développement du pouvoir d’agir des personnes et des communautés. 







Adopter le rôle-type de Conduire/Initier peut induire des risques d’appropriation ou de directivité de l’action collective par l’IC. C’est pourquoi, le rôle de Conduire/Initier est toujours joué de manière transitoire, car la perspective stratégique de l’IC est de développer la capacité d'autodétermination des acteurs de l'action collective.







2e rôle-type: Guider ou le soutien actif en intervention collective







Le rôle-type de Guider/Soutenir renvoie au registre du conseil, de la « guidance » et de l’orientation. Les récits biographiques en fournissent des exemples concrets, comme l’animation des réunions et le soutien au processus de décisions collectives, le pilotage de démarches de planification d’action collective, le soutien dans l’évaluation participative comme stratégie propice aux apprentissages, l’apport d’informations et d’analyses afin que les acteurs collectifs prennent des orientations mieux éclairées quant aux conjonctures, occasions, disponibilités de ressources, enjeux, intérêts et défis en cause.







L’accompagnement du changement dans le rôle de Guider/Soutenir s’articule principalement autour de quatre notions: 1) savoir (prise de conscience de la situation problématique dans toutes ses composantes); 2) vouloir (déterminer la ou les réponses pertinentes et efficaces); 3) pouvoir (se donner les moyens du changement); 4) évaluer (apprentissages réinvestis dans l’action collective). 







Quand l’IC doit émettre des conseils ou exprimer un point de vue, il utilise son jugement pour choisir le bon moment et la bonne manière afin d’éviter d’être intrusif, en ayant entre autres recours aux questions ouvertes qui amènent le groupe à se préciser pour lui-même. 







Si dans le premier rôle-type de Conduire/Initier, l’action collective est l’objet de l’intervention collective, le rôle de Guider/Soutenir est résolument orienté vers l’actualisation des premiers concernées et des parties prenantes en tant que sujets et maîtres d’œuvre de l’action collective.







3e rôle-type: Escorter ou l’agencement des conditions favorables







Le troisième rôle-type dans la fonction d’accompagnement consiste essentiellement à orchestrer l’agencement de conditions favorables à l’action collective à trois niveaux: dans la communauté territoriale, dans son organisation, et entre les autres IC.







Dans la communauté territoriale







Les IC accompagnent des processus d’action collective qui sont souvent en interaction entre eux et qui évoluent sur un même territoire qui constitue une sorte d’écosystème local d’action concertée. Il ne suffit pas d’initier, accompagner ou développer l’action collective, il faut aussi assumer une posture d’accompagnatrices de communautés. À ce titre, il s’agit ici de contribuer à rendre visibles et lisibles les initiatives d’action collective afin que l’environnement social et politique dans lequel elles se déploient leur soit plus réceptif, dont les acteurs politiques et institutionnels, afin qu’ils en reconnaissent la valeur et l’intérêt de les soutenir. Il s’agit également de favoriser, sur le territoire, l’arrimage des initiatives des actions collectives et des concertations, voire leur cohérence.







Auprès des organismes employeurs des intervenants collectifs







Les IC interviennent également dans leur propre organisation afin de contribuer à en faire des acteurs organisationnels du DC en faisant la promotion d’une conception de leur mission qui s’appuie sur l’action collective et le DC, ainsi que sur la valeur des expertises citoyenne et communautaire. Cela appelle une conception renouvelée du rapport entre organisations et partenaires dans la production du DC dont l’appropriation par les acteurs collectifs est une condition de succès et d’efficacité. 







Entre les intervenants collectifs d’un territoire 







Partout au Québec, on dénombre sur un même territoire plusieurs IC relevant de différents employeurs (Comeau et al., 2018). Pour la pluralité des IC des récits biographiques, accompagner le milieu implique aussi de se coordonner entre IC de diverses provenances. L’exercice vise la coconstruction d’une cohésion et d’une efficacité plus grandes de l’intervention collective sur un même territoire.







Les pratiques de développement des communautés territoriales exigent de la part des IC de nouvelles compétences qui peuvent être développées collectivement et même réparties selon les forces et les profils de chacun. Le développement de ces compétences, et le travail collaboratif permettant de les déployer, peuvent prendre la forme d’un regroupement plus ou moins formel d’IC organisé autour du partage d’informations et de coordination des tâches dans leurs interventions auprès des communautés.







L’essence du rôle Escorter ou agir sur les conditions favorables est donc de combiner plusieurs niveaux de soutien au développement collectif: celui des communautés territoriales vu comme un écosystème, celui des organismes, institutions et décideurs à stimuler dans leur rôle d’acteurs de changement, et enfin celui des IC eux-mêmes appelés à se réseauter pour mieux soutenir l’action collective et le DC. 







Conclusion







L’accompagnement se situe ici dans un ordre de finalités de changement social à rechercher dans l’action collective et le DC, et dans un ordre de moyens et de stratégies de renforcement de la société civile, d’une part, et de transformation des organisations et des systèmes locaux d’action collective, d’autre part. 







Cette fonction d’accompagnement appelle un savoir-faire basé sur la réflexivité à partir de la pratique, la capacité à gérer l’ambiguïté et la complexité, la capacité d’analyse systémique, de jugement, de communication et de traduction des besoins et des enjeux collectifs, et de mobilisation/engagement des concernés et autres parties prenantes. L’IC se définit comme une accompagnatrice engagée de l’action collective et du développement des communautés, dont la qualité et l’efficacité sont corrélées avec leur appropriation par les acteurs et les parties prenantes. 







Références



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Résumé en Anglais


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