Le projet est ambitieux et très porteur pour le copil dès le départ, et toutes les personnes concernées nous le partageront par la suite.
Une fois le projet « cadré », toutes les questions de mise en œuvre se sont posées :
- quelles équipes locales inviter ? comment les constituer ? Sur quels critères ?
- comment réussir à faire groupe à partir de différentes équipes locales qui ne se connaissent pas ?
- comment proposer un cadre souple dans la logistique locale, tout en permettant à chaque équipe de travailler sur les mêmes aspects ?
- comment transmettre un savoir développé sur 3 années : les 8 dimensions de la pauvreté + les 2 expériences transversales en quelques semaines ?
- sans oublier d’avoir quelques apports sur ce qu’est l’Insee, les statistiques, comment la pauvreté est mesurée aujourd’hui dans l’institution… ?
- comment créer les conditions pour que tout le monde soit à l’aise pour échanger et travailler ensemble la journée du 24 juin, lors de la rencontre avec les gens de l’Insee ?
En acceptant de ne pas savoir où cela nous mènerait, mais avec la conviction partagée que cela déboucherait sur quelque chose de fort pour toutes les personnes concernées, nous incluses.
En travaillant avec 2 organisations qui ont leur propre culture, notamment en termes d’organisation (au SCCF les accompagnant.es sont des animateur.trices salarié.es, chez ATD-QM, ce sont des bénévoles dans le cadre de ce projet ou « alliés », qui peuvent être « volontaires » pour d’autres projets) et de pédagogies d’intervention (croisement des savoirs chez ATD-QM, pédagogie de la rencontre et d’éveil à la solidarité au SCCF).
Nous partons sur le principe de parité : 2 membres de chaque organisation dans le copil, une dizaine de personnes en situation de précarité issues de chaque organisation, soit 3 équipes locales venant d’ATD-QM et 3 équipes locales venant du SCCF.
1. Le choix des équipes locales et des accompagnant.es (qui solliciter ?)
Entre l’esquisse du projet élaborée au mois de septembre, la note de cadrage finalisée deux mois plus tard, et le lancement du projet avec une rencontre en plénière sur Paris début février, le temps est très serré.
Nous faisons le choix de partir d’un terrain connu et de solliciter des équipes avec lesquelles nous avons déjà eu l’occasion de travailler, et plus précisément côté SCCF avec des animateur.trices avec lesquel.les Pascale ou moi avons déjà eu l’opportunité de collaborer : l’interconnaissance et la confiance sont des bases sur lesquelles nous allons pouvoir nous appuyer.
Ce sont des personnes qui portent la posture de facilitation recherchée, avec toute l’humilité que cela requiert : porter le projet, créer les conditions pour, accompagner l’émergence tout en restant en retrait. Nous leur demandons d’accompagner un sujet délicat : l’évocation de l’expérience de vie des personnes en situation de pauvreté, l’impact de la pauvreté dans leur vie et sur leur corps.
Nous nous reposons sur ces 3 personnes pour embarquer les personnes en galère qui sauront s’inscrire dans cette proposition. Pour ma part je sollicite Anne de Bourgogne et retrouve Jean-Yves : nous avons cheminé ensemble 1 an au cœur de la crise sanitaire. Pascale, qui a contribué à la recherche internationale pour la France retrouve Kaala, Martine, Saké et Aissata.
Acceptent d’embarquer dans l’aventure :
- Anne, Anita, Jean-Yves de la délégation SCCF de Bourgogne ;
- Anne, Emilia, Gérard, Saadia, Florence de la délégation SCCF du Rhône ;
- Kaala, Martine, Seka, Aissata, Adrien de l’antenne SCCF du Cèdre, centre d’entraide dédié aux personnes exilées ;
- Françoise et Sylvie d’ATD Auxerre ;
- Olivier, Edith, Gérard et Myriam d’ATD Beauvais ;
- Alice, Marie-Jo, Véréna et Murielle d’ATD Rennes.
Cela nous tient à cœur que le Cèdre participe à ce projet, d’une part parce que l’antenne a fait partie de la recherche internationale sur les dimensions de la pauvreté, et d’autre part parce que nous estimons important que les personnes exilées puissent être représentées dans ce travail.
2. Faire groupe, faire équipe (comment faire groupe quand les équipes sont dispatchées sur le territoire ?)
Cela induit donc différentes dynamiques de groupes, différentes modalités d’interconnaissance, différents enjeux et objectifs, donc de penser des modalités d’intervention ajustés à ces différents espaces.
- L’équipe Copil, personnes qui travaillent ensemble pour la 1ère fois, issues de 2 organisations qui ont une visée commune : la lutte contre la pauvreté et une identité pédagogique forte : le croisement des savoir et la pédagogie de la rencontre, croisée depuis 2016 avec l’approche développement du pouvoir d’agir.
Le Copil est renforcé régulièrement par des échanges avec Thomas L. et Agnès B.. La présence de Thomas L. se fera plus importante au fil du temps.
Le copil porte l’élaboration et le déploiement de toutes les étapes du projet.
- L’équipe locale, constituée d’un.e accompagnant.e et de 2 à 3 personnes en situation de pauvreté,
Elle va développer et acquérir un nouveau savoir en partant du vécu des personnes en situation de pauvreté ;
- Le groupe de personnes en situation de pauvreté, constitué de personnes réparties sur le territoire français,
Il a pour mission de produire un savoir collectif à partager avec les collaborateur.trices de l’Insee ;
- Le groupe des accompagnant.es
Ils et elles vont intervenir en solo dans les équipes locales et collectivement lors des rencontres en plénières ;
- Le groupe de toutes les personnes investies dans ce projet : membres du copil, accompagnan.tes, personnes en situation de précarité, Thomas L. et Agnès B..
Notre point d’attention sera, dès le démarrage du projet, de permettre aux personnes de se rencontrer, de faire connaissance entre elles et de repérer que leur équipe locale fait partie d’un tout plus grand.
Des temps spécifiques pour les accompagnant.es sont proposés (seul le 1er a eu lieu, les autres ont été annulés pour cause d’indisponibilité dans les agendas)
3. Le cadre proposé (comment permettre à chaque groupe de s’engager sur le travail proposé en tenant compte de leurs réalités de vie ?)
Nous prévoyons 3 rencontres en plénière sur Paris, qui viennent marquer des temps forts du programme :
- 05 fév. : journée de lancement : faire connaissance avec les acteur.trices du projet ; découvrir la recherche participative ayant abouti à la définition des 8 dimensions + 2 expériences transversales ; présentation de l’Insee et de ses missions ;
- 1er avril : journée point d’étape : se retrouver, restituer les travaux des groupes ayant permis l’appropriation des 8 dimensions + 2 expériences transversales ; découvrir les mesures de la pauvreté par l’Insee et les questions qui se posent ; tenter de définir ensemble les axes de travail pour la suite ;
- 23 juin : journée de préparation : se retrouver ; partager les productions des groupes sur les caractéristiques des dimensions retenues, « isolement » et « maltraitance institutionnelle » ; préparer les présentations pour la rencontre avec les collaborateur.trices de l’Insee le lendemain.
Entre chaque plénière les accompagnant.es reçoivent les consignes de travail à mener dans les équipes locales.
Phase 1 :
- Visée : construire un socle de connaissances et de repères communs pour définir la pauvreté
- Modalités : partir du vécu des personnes pour regarder la pauvreté et ses impacts de leur point de vue ; puis découvrir les 8 dimensions + 2 expériences transversales, toujours en les reliant au vécu des participant.es
Phase 2 :
- Visée : croiser les caractéristiques des dimensions retenues « isolement » et « maltraitance institutionnelle » avec les questionnaires de l’Insee associés à ces dimensions pour identifier des points communs, des divergences, ou les « trous dans la raquette ».
- Modalités : répartir la charge de travail : 3 équipes travaillent sur le « maltraitance institutionnelle » et 3 équipes travaillent sur la dimension « isolement » ; croiser les caractéristiques des dimensions avec le vécu des personnes, compléter ou amender ; étudier les questions et essayer d’y retrouver les caractéristiques ; élaborer des questions complémentaires si besoin.
4. Comment transmettre un savoir élaboré dans la durée en quelques semaines
Les personnes en situation de pauvreté ont souvent un quotidien remplit de stress et d’imprévus : les rendez-vous « convocation » à la préfecture, « chez l’assistante sociale » ; l’employeur au noir qui appelle la veille pour le lendemain et l’impossibilité de refuser de peur de perdre cette source de revenus ; la logeuse contre menus service qui contraint les sorties… ou parfois, aussi, Martine qui a repris ses études et doit se rendre à ses cours à l’université…
Aussi, l’aisance à s’inscrire dans des temps de travail n’est pas la même pour tou.tes : se retrouver assis.e dans la durée, réfléchir sur un sujet précis et totalement nouveau, le rapport à l’écrit…
Les accompagnant.es et équipier.ères doivent composer avec ces imprévus, ces réalités et doivent savoir s’ajuster, reporter, se retrouver le soir, le samedi matin, s’entraider…
Ce que nous leur demandons est ambitieux : s’approprier les fruits d’une recherche participative qui a duré 3 ans. Ambitieux en termes d’appropriation d’un nouveau savoir, mais aussi ambitieux parce que pour cela nous allons demander aux personnes de faire appel à leur vécu, qui n’est pas toujours facile à exprimer. Les sujets sur lesquels elles sont invitées à s’exprimer sont ceux de l’isolement social ou affectif, de la maltraitance sociale et institutionnelle, des peurs et souffrances, des relations de dépendance… Sujets que nous-même professionnel.es et bénévoles n’abordons pas avec facilité ni simplicité.
Pour les temps de travail dans les équipes locales, nous devons prendre compte ce besoin de souplesse dans nos propositions. En conséquences nous imaginons :
- Des temps de travail de 2 heures maximum,
- En moyenne tous les 15 jours,
- Sur un mode dynamique et interactif,
- Avec une prise de note par les accompagnant.es.
A partir de là les groupes organisent leur rythme de travail comme ils le souhaitent.
5. La place de l’Insee (comment créer les conditions d’un vrai dialogue le 24 juin ?)
Dans la construction du projet
Ce projet a pu voir le jour grâce à l’initiative de Thomas, directeur de projets statistiques sur l’analyse des pauvretés, accompagné d’Agnès, analyste développeuse.
Ce sont nos deux interlocuteurs, avec lesquels nous échangeons sur et co-construisons les contenus des plénières ; nous leur expliquons les temps de travail proposés aux équipes locales (même, il et elle jouent le jeu de réaliser le travail demandé sur les silhouettes : l’impact de la pauvreté sur et dans mon corps).
Thomas L. et Agnès B. nous aident à comprendre leurs enjeux du point de vue de la statistique, métier complexe, très technique, où « modifier la formulation d’une question n’est pas facile ».
Il et elle nous partagent aussi leurs enjeux par rapport à leur institution : s’il y a l’appui de leur directrice pour cette expérimentation, elle ne fait pas l’unanimité dans l’organisation.
Nous comprenons à ce moment-là qu’une relation de confiance s’est instaurée.
C’est avec Agnès B. et Thomas L. que se constitue un copil élargi qui prend ensemble les décisions sur les grandes orientations (exple : les 2 dimensions choisies pour la phase 2 ont été concertées à partir des retours des groupes, mais aussi de ce qui faisait sens pour l’Insee, au regard des questionnaires existants, qui pouvaient être reliés à l’une ou l’autre dimension).
Dans les rencontres
Agnès B. et Thomas L. nous rejoignent à la pause déjeuner de la 1ère journée en plénière sur Paris et toute la journée de la 2nde plénière.
Ainsi il et elle prennent part à la vie du groupe, les participant.es font leur connaissance dès le démarrage du programme, peuvent discuter avec eux lors des pauses… il et elle font partie du « grand groupe ».
Thomas L. et Agnès B. interviennent au cours de ces plénières, d’abord pour présenter l’Insee et ce que mesure l’Insee dans le quotidien des français. Puis pour présenter les manières de mesurer la pauvreté : pauvreté monétaire et pauvreté en condition de vie.
Sans que nous ayons à le demander, Il et elle font le choix de modalités d’intervention participatives, qui incluent les personnes présentes. Anita a été ravie d’être riche le temps d’une activité pour comprendre le revenu médian (chacun.e s’était vu.e remettre un bout de papier avec une somme inscrite dessus).
Ces modalités pédagogiques et les temps informels favorisent la création d’un lien entre les membres du groupe et les deux représentant.es de l’Insee. Ce lien permet de déconstruire les représentations que l’on peut se faire d’une institution et des personnes qui y travaillent, et de commencer à créer les conditions du dialogue pour la rencontre du 24 juin.
6. Se préparer pour le dialogue (comment créer les conditions d’un vrai dialogue le 24 juin ?) : le 23 juin
Le temps du matin est dédié aux restitutions des groupes sur les caractéristiques des dimensions retenues, créer un savoir partagé…
L’après-midi 3 groupes sont constitués pour préparer les présentations du lendemain :
- Une présentation du chemin parcouru
- Une présentation des caractéristiques de l’isolement, qui sera croisée avec une présentation de l’Insee sur la même thématique pour introduire un temps de travail en petit groupe constitués de personnes en situation de précarité et collaborateur.trices de l’Insee,
- Une présentation des caractéristiques de la maltraitance institutionnelle, qui sera croisée avec une présentation de l’Insee sur la même thématique pour introduire un temps de travail en petit groupe constitués de personnes en situation de précarité et collaborateur.trices de l’Insee,
Nous terminons la journée sur les bateaux-mouches !
Ce n’est pas anecdotique. Ces personnes sont venues 3 fois sur Paris, toujours pour se retrouver dans des espaces de travail avant de rentrer directement chez elles.
Or c’est grâce à elles si nous arrivons à mieux comprendre la pauvreté et peut-être un jour à encore mieux la mesurer. Cela dit, rien ne change dans leur vie de galère pour le moment.
7. La journée du 24 juin (que s’est-il passé, au final ?)
Des personnes fières de présenter le chemin parcouru en quelques mois, de ce qu’elles ont appris sur elles-mêmes et de leurs co-équipier.ères ;
qui ont su s’approprier les résultats d’une recherche participative et y confronter un autre point de vue ;
qui savent parler de leur vécu devant les collaborateur.trices de l’Insee, dans les locaux de l’Insee ( !)
Un auditoire attentif, qui a envie de mieux comprendre la pauvreté et le public auquel il s’adresse.
|