Fiche Documentaire n° 5949

Titre « J’ai des situations difficiles, mais pas du genre à subir de l’itinérance en tant que tel » : L’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes – réfléchir les notions dominantes d’itinérance, de risque et la désaffiliation sociale.

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Auteur(s) GAULIN dominique
MacDonald Sue-Ann
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

« J’ai des situations difficiles, mais pas du genre à subir de l’itinérance en tant que tel » : L’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes – réfléchir les notions dominantes d’itinérance, de risque et la désaffiliation sociale.

Depuis une quinzaine d’années s’opère une transition vers une « invisibilisation » de l’itinérance chez les jeunes, contrairement aux années 1980 où ils occupaient de façon plus visible les centres-villes (Bellot et Sylvestre, 2017). Alors que le courant néolibéralisme met l’accent sur les responsabilités individuelles, l’État serait davantage porté à produire des mécanismes de sécurité et d’ordre public qu’à mettre en place des mécanismes de solidarité et de protection sociale, qui correspondent à une logique de responsabilité collective. On mise davantage sur des logiques de judiciarisation, qui prennent alors le relais des politiques sociales, au sens strict, et visent davantage la répression que la protection des populations qualifiées de groupes à « risque » (Bellot et Sylvestre, 2017). Par crainte qu’ils dérangent, causent du désordre ou se compromettent, on limite leurs accès aux espaces communs (Parazelli, 2010). Cette judiciarisation de la jeunesse précaire et/ou errante génère un fardeau supplémentaire chez les jeunes, leur appose un stigmate. Ce stigmate peut avoir des effets dévastateurs et les priver d’opportunités. Dans les cas des jeunes appartenant à ce qu’au Québec on appelle les « minorités visibles », les dynamiques de la gouvernance néolibérale se combinent à des phénomènes de ségrégation ethnique, spatiale ou de genre, ce qui donne lieu à des tensions sociales particulièrement importantes (Bejarano, 2007 ; Deville, 2007 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011). Combinés aux politiques de la ville sécuritaire, ces phénomènes de ségrégation se traduisent facilement par des formes de stigmatisation qui associent les jeunes appartenant aux minorités visibles aux problèmes que la gouvernance sécuritaire de la Ville cherche à contrôler (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015).

Cette réalité a été exacerbé par la pandémie de COVID-19, qui outre le fait d’augmenter le risque de contracter le COVID-19 chez les jeunes en situation d’itinérance et de domiciliation précaire (Culhane et coll., 2020; Perri et coll., 2020), est venue à la fois invisibiliser et rendre supra-visible la situation de ces jeunes au sein des villes, notamment dans les quartiers dits défavorisés (MacDonald et Gaulin, 2022). Les réponses du Gouvernement à la COVID-19, en particulier en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé, n'ont pas été vécues de la même manière par tous les groupes sociaux, notamment en raison des différences dans les possibilités matérielles et structurelles des différents groupes (accès à un ordinateur, au transport, à l’éducation, à l’espace domicilier pour les études, etc.) (Frohlich et coll., 2022; MacDonald et Gaulin, 2022). C’est dans ce contexte que notre équipe de recherche a réalisé un projet de recherche-action en partenariat avec le Centre des jeunes l’Escale, un organisme de milieu qui travaille auprès des jeunes âgés de 15-25 ans, afin de documenter et qualifier le phénomène de l’itinérance et de la domiciliation précaire à Montréal-Nord, Québec, Canada, l’un des arrondissements les plus défavorisés de Montréal (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015). Il est également un quartier à fortes tendances multiculturelles, plus du tiers de la communauté provenant de l’immigration, notamment haïtienne (Ville de Montréal, 2018). Les jeunes du quartier font face à des défis de taille en ce qui concerne l’éducation, les possibilités de réalisations, l’emploi, le logement et la judiciarisation (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015 ; Tichit, Aubert et Baril, 2011).

L’objectif de cette présentation est de rendre compte des perceptions et enjeux reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes. Les entrevues réalisées font état d’un subtil processus de désaffiliation sociale et d’une absence de « chez-soi » (et non pas nécessairement de « toit ») sécuritaire et sécurisant. Elles soulèvent des trajectoires de vie fragilisées, notamment par la COVID-19, et caractérisée par de multiples défis, ruptures et contraintes. On observe également un refus de s’identifier à l’itinérance ou de se victimiser. En outre, les programmes et les services reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire relèvent du champ social et de ses contours normatifs, ancrés dans une idéologie dominante néolibérale, et semblent être en décalage avec la réalité psychique et sociale des jeunes à qui ils s’adressent. Cette présentation ouvre également la porte à des réflexions méthodologiques, éthiques et épistémologiques, de notre expérience, sur notre posture d’universitaire blanches, réalisant une recherche sur l’itinérance en contexte interculturel. Les entrevues réalisées amènent à remettre en question le concept même d’itinérance et la lunette par laquelle ce phénomène est analysé et mettent en lumière la complexité des situations des jeunes, ainsi que de leurs oppressions et de leur histoire. Elle souligne l’importance d’analyser l’itinérance au croisement des différentes dimensions (culturelles, sociales, économiques, religieuses, etc.) qui composent les réalités des jeunes concernés (Roy et Grimard, 2015) afin d’éviter une nouvelle stigmatisation.

Bibliographie

Bellot, C., & Sylvestre, M. È. (2017). La judiciarisation de l’itinérance à Montréal : les dérives sécuritaires de la gestion pénale de la pauvreté. Revue générale de droit, 47 (1), 11-44.
Bejarano, C. (2007). ¿Qué onda ? : Urban Youth Culture and Border Identity. Tucson, AZ : University of Arizona Press.
CDPDJ. (2011). Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences.
Culhane, D., Treglia, D., Steif, K., Kuhn, R., & Byrne, T. (2020). Estimated emergency and observational/quarantine capacity need for the US homeless population related to COVID-19 exposure by county; projected hospitalizations, intensive care units and mortality.
Deville, J. (2007). Jeunes filles «invisibles» dans les quartiers populaires. Espaces et sociétés, (1), 39-53.
Frohlich, K. L., Thompson, J. A., Fraser, S. L., Dupéré, V., & Beauregard, N. (2022). “It reflects the society in which we live, except now everything is accentuated”: youth, social inequities, and the COVID-19 pandemic. Canadian Journal of Public Health, 1-11.
González Castillo, E., & Goyette, M. (2015). Gouvernance urbaine et rassemblements de jeunes à Montréal-Nord. Autour de la notion de gang de rue. Criminologie, 48 (2), 105-124.
MacDonald, S.-A & Gaulin, D. (2021). Portrait d’un phénomène émergeant et méconnu : l’itinérance cachée et la domiciliation précaire chez les jeunes de Montréal — Nord. Rapport préliminaire. Rapport présentée au comité d'itinérance Montréal-Nord.
Parazelli, M. (2010). Une gestion écosanitaire de l’urbanité? Le cas des jeunes de la rue à Montréal. Les enfants et les jeunes dans les espaces du quotidien, 205-220.
Perri, M., Dosani, N., & Hwang, S. W. (2020). COVID-19 and people experiencing homelessness: challenges and mitigation strategies. Cmaj, 192(26), E716-E719
Roy, S., & Grimard, C. (2015). L’aide aux personnes à la rue: cohérence et failles d’un système. Regards croisés sur l’itinérance, 13-31.
Tichit, L., Aubert, L., & Baril, D. E. (2011). L’animation du milieu urbain à Montréal-Nord : Le point de vue des jeunes. Ville de Montréal.
Ville de Montréal (2018). « Pré-consultation sur le racisme et la discrimination sytémtiques – État de la situation à Montréal Nord». Rapport présenté à la ville de Montréal le 13 juin 2018.

Présentation des auteurs

Dominique Gaulin : Candidate au doctorat en travail social à l’Université de Montréal, ma thèse porte sur les expériences des Inuit dans le domaine des phénomènes psychotiques et du rétablissement. Je suis également travailleuse sociale dans le domaine de la santé mentale et de la prévention du suicide. Mes intérêts de recherche portent sur les questions de santé mentale en contexte transculturel et postcolonial, les approches décoloniales, la recherche participative, ainsi que les questions de marginalité et d’itinérance, du point de vue des personnes concernées.

Sue-Ann MacDonald : Professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal depuis 2011. J’ai travaillé pendant plus d'une décennie comme travailleuse sociale dans une équipe en santé mentale auprès de personnes en situation d’itinérance à Ottawa et à Toronto. Mes intérêts de recherche portent sur les expériences de populations marginalisées (surtout les jeunes et les femmes, ainsi que des personnes aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie). Mes recherches sont ancrées dans la prise en compte du point de vue des personnes marginalisées afin de mieux comprendre leur réalité et améliorer les pratiques à leur endroit.

Communication complète



Titre : « J’ai des situations difficiles, mais pas du genre à subir de l’itinérance en tant que tel » : L’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes – réfléchir les notions dominantes d’itinérance, de risque et la désaffiliation sociale.



Auteures :

Dominique Gaulin, candidate au doctorat, École de travail social, Université de Montréal

Sue-Ann MacDonald, Professeure agrégée, École de travail social, Université de Montréal





Résumé

Depuis une quinzaine d’années s’opère une transition vers une « invisibilisation » de l’itinérance chez les jeunes, contrairement aux années 1980 où ils occupaient de façon plus visible les centres-villes (Bellot et Sylvestre, 2017). Alors que le courant néolibéralisme met l’accent sur les responsabilités individuelles, l’État serait davantage porté à produire des mécanismes de sécurité et d’ordre public qu’à mettre en place des mécanismes de solidarité et de protection sociale, qui correspondent à une logique de responsabilité collective. On mise davantage sur des logiques de judiciarisation, qui prennent alors le relais des politiques sociales, au sens strict, et visent davantage la répression que la protection des populations qualifiées de groupes considérés risque (Bellot et Sylvestre, 2017, p.14). Par crainte qu’ils dérangent, causent du désordre sur la place publique ou se compromettent, on limite leurs accès aux espaces communs, sans nécessairement leur offrir d’alternative (Hyatt et Reed, 2015 ; Parazelli, 2010). Cette judiciarisation de la jeunesse précaire et/ou errante génère un fardeau supplémentaire chez les jeunes, leur appose un stigmate. Ce stigmate peut avoir des effets dévastateurs et les priver d’opportunités.



Dans les cas des jeunes appartenant à ce qu’au Québec on appelle les « minorités visibles » (les gens issus de l’immigration non européenne), les dynamiques de la gouvernance néolibérale se combinent à des phénomènes de ségrégation ethnique, spatiale ou de genre, ce qui donne lieu à des tensions sociales particulièrement importantes (Bejarano, 2007 ; Deville, 2007 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ], 2011). Combinés aux politiques de la ville sécuritaire, ces phénomènes de ségrégation se traduisent facilement par des formes de stigmatisation qui associent les jeunes appartenant aux minorités visibles aux problèmes que la gouvernance sécuritaire de la ville cherche à contrôler (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015, p. 113).



Cette réalité a été exacerbé par la pandémie de COVID-19, qui outre le fait d’augmenter le risque de contracter le COVID-19 chez les jeunes en situation d’itinérance et de domiciliation précaire (Culhane et coll., 2020; Perri et coll., 2020), est venue à la fois invisibilisé et rendre supra-visible la situation de ces jeunes au sein des villes, notamment les jeunes des quartiers dits défavorisés (MacDonald et Gaulin, 2022). Les réponses du gouvernement à la COVID-19, en particulier en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé, n'ont pas vécues de la même manière par tous les groupes sociaux, notamment en raison des différences dans les possibilités matérielles et structurelles des différents groupes (accès à un ordinateur, au transport, à l’éducation, à l’espace domicilier pour les études, etc.) (Frohlich et coll., 2022; MacDonald et Gaulin, 2022). C’est dans ce contexte que notre équipe de recherche a réalisé un projet de recherche-action en partenariat avec le Centre des jeunes l’Escale, un organisme de milieu qui travaille auprès des jeunes âgés de 15-25 ans, afin de documenter et qualifier le phénomène de l’itinérance et de la domiciliation précaire à Montréal-Nord, Québec, Canada, l’un des arrondissements les plus défavorisés de Montréal (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015). Il est également un quartier à fortes tendances multiculturelles, plus du tiers de la communauté provenant de l’immigration, notamment haïtienne (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015 ; Ville de Montréal, 2018). Les jeunes du quartier font face à des défis de taille en ce qui concerne l’éducation, les possibilités de réalisations, l’emploi, le logement et la judiciarisation (Gonzalez-Castillo et Goyette, 2015 ; Heck, René et Castonguay, 2015 ; Tichit, Aubert et Baril, 2011).



L’objectif de cette présentation est de rendre compte des perceptions et enjeux reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire chez les jeunes. Les entrevues réalisées font état d’un long et subtil processus de désaffiliation sociale et d’une absence de « chez-soi » (et non pas nécessairement de « toit ») sécuritaire et sécurisant. Elles soulèvent des trajectoires de vie fragilisées, notamment par la COVID-19, et des trajectoires de vie caractérisée par de multiples défis, ruptures et contraintes. On observe également un refus de s’identifier à l’itinérance ou de se victimiser. En outre, les programmes et les services reliés à l’itinérance et la domiciliation précaire relèvent du champ social et de ses contours normatifs, ancrés dans une idéologie dominante néolibérale, et semblent être en décalage avec la réalité psychique et sociale des jeunes en situation d’itinérance à Montréal-Nord à qui ils s’adressent.



Cette présentation ouvre également la porte à des réflexions méthodologiques, éthiques et épistémologiques, de notre expérience, notamment sur notre posture d’universitaire blanches, réalisant une recherche sur l’itinérance, notamment en milieu interculturel. Les entrevues réalisées amènent à remettre en question le concept même d’itinérance et la lunette par laquelle ce phénomène est analysé et mettent en lumière la complexité de la situation de ces jeunes, ainsi que de leurs oppressions et de leur histoire. Elle souligne l’importance d’adopter une vision qui sache rendre central le point de vue des jeunes concernés, d’analyser l’itinérance au croisement des différentes dimensions (culturelles, sociales, économiques, religieuses, etc.) qui composent leurs réalités (Roy et Grimard, 2015) afin d’éviter une nouvelle stigmatisation.







Bibliographie



Bellot, C., & Sylvestre, M. È. (2017). La judiciarisation de l’itinérance à Montréal : les dérives sécuritaires de la gestion pénale de la pauvreté. Revue générale de droit, 47 (1), 11-44.



Bejarano, C. (2007). ¿Qué onda ? : Urban Youth Culture and Border Identity. Tucson, AZ : University of Arizona Press.



Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ]. (2011). Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences. Repéré à www.cdpdj. qc.ca/publications/profilage_rapport_fr.pdf.



Cochran, B. N., Stewart, A. J., Ginzler, J. A., & Cauce, A. M. (2002). Challenges faced by homeless sexual minorities: Comparison of gay, lesbian, bisexual, and transgender homeless adolescents with their heterosexual counterparts. American Journal of Public Health, 92(5), 773-777.



Culhane, D., Treglia, D., Steif, K., Kuhn, R., & Byrne, T. (2020). Estimated emergency and observational/quarantine capacity need for the US homeless population related to COVID-19 exposure by county; projected hospitalizations, intensive care units and mortality.



Deville, J. (2007). Jeunes filles «invisibles» dans les quartiers populaires. Espaces et sociétés, (1), 39-53.



Frohlich, K. L., Thompson, J. A., Fraser, S. L., Dupéré, V., & Beauregard, N. (2022). “It reflects the society in which we live, except now everything is accentuated”: youth, social inequities, and the COVID-19 pandemic. Canadian Journal of Public Health, 1-11



González Castillo, E., & Goyette, M. (2015). Gouvernance urbaine et rassemblements de jeunes à Montréal-Nord. Autour de la notion de gang de rue. Criminologie, 48 (2), 105-124.



Heck, I., René, J. F., & Castonguay, C. (2015). Étude sur les besoins et aspirations des citoyens du Nord-Est de Montréal-Nord. CRISES.



MacDonald, S.-A & Gaulin, D. (2021). Portrait d’un phénomène émergeant et méconnu : l’itinérance cachée et la domiciliation précaire chez les jeunes de Montréal — Nord. Rapport préliminaire. Rapport présentée au comité d'itinérance Montréal-Nord.



Parazelli, M. (2010). Une gestion écosanitaire de l’urbanité? Le cas des jeunes de la rue à Montréal. Les enfants et les jeunes dans les espaces du quotidien, 205-220.



Perri, M., Dosani, N., & Hwang, S. W. (2020). COVID-19 and people experiencing homelessness: challenges and mitigation strategies. Cmaj, 192(26), E716-E719



Roy, S., & Grimard, C. (2015). L’aide aux personnes à la rue: cohérence et failles d’un système. Regards croisés sur l’itinérance, 13-31



Tichit, L., Aubert, L., & Baril, D. E. (2011). L’animation du milieu urbain à Montréal-Nord : Le point de vue des jeunes. Ville de Montréal.



Ville de Montréal (2018). « Pré-consultation sur le racisme et la discrimination sytémtiques – État de la situation à Montréal Nord». Rapport présenté à la ville de Montréal le 13 juin 2018.

Résumé en Anglais


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