L’adoption de la Loi sur les Indiens de 1876 (Acte des sauvages) fut le point de départ d’une prise en charge étatique des Autochtones (Sinclair, 2004) créant ainsi une crise sociale ayant encore des répercussions. Cette prise en charge s’incarnant, entre autres, par les pensionnats a contribué à déstructurer les communautés en privant leurs membres de leur culture, ainsi qu’en invalidant leurs savoirs et leurs modes de transmission créant ainsi une expérience traumatique intergénérationnelle (CAPRES, 2018 ; CCNSA, 2017). Cette crise a toujours des effets sur les écarts entre les étudiants autochtones et allochtones, car ils sont moins susceptibles d’obtenir un diplôme collégial ou un grade universitaire (Gouvernement du Québec, 2021 ; Ratel et Pilote, 2021). Devant cette crise structurelle et identitaire vécue à l’échelle nationale, plusieurs actions ont été enclenchées afin d’assurer un accès équitable aux services d’enseignement supérieur, mais plusieurs défis demeurent afin de soutenir la réussite éducative des Autochtones et répondre adéquatement à leurs besoins (RCAAQ, 2020), notamment lors des transitions. Cependant, peu d’études documentent cette réalité (CAPRES, 2018 ; Dufour, 2017, 2019 ; RCAAQ, 2020).
Cet article présente les résultats d’une recherche-action regroupant les établissements d’enseignement supérieur (cégeps et une université) de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean ([SLSJ] Québec, Canada). Il expose les facteurs qui influencent les transitions scolaires ainsi que les pratiques émergentes d’accompagnement soutenant ou non ces dernières. Des étudiants autochtones (n=29) fréquentant un établissement d’enseignement supérieur au SLSJ ont été interrogés lors de cercles de parole, alors que les propos des intervenants (n=25) ont été récoltés lors de groupes de discussion réflexifs à visée formative. Une analyse de contenu qualitatif a fait ressortir les facteurs influençant les transitions, ainsi que six dimensions essentielles à l’accompagnement.
Les résultats révèlent que la majorité des étudiants (n=21) a vécu un processus de transition difficile au postsecondaire induit par plusieurs facteurs ayant des effets contraignants sur leur expérience. Inversement, certains facteurs s’avèrent facilitant. Il est possible de les classifier en quatre catégories soit : les facteurs relatifs à l’étudiant, les facteurs liés à son entourage immédiat, les facteurs associés aux établissements postsecondaires et les facteurs sociocommunautaires.
En ce qui concerne les facteurs relatifs à l’étudiant, le fait d’avoir déjà vécu une transition favorise celles subséquentes en conférant de nouvelles capacités d’adaptation. De plus, le désir d’obtenir une formation permettant de travailler dans leur communauté constitue une source de motivation qui favorise une transition harmonieuse. À l’inverse, un étudiant qui se sent isolé en raison de l’éloignement de sa famille et de sa communauté, qui rencontre des difficultés à demander de l’aide ou qui vit des problèmes relatifs à sa santé mentale ou physique, aura davantage l’impression de vivre une transition difficile.
Au sujet de l’entourage immédiat de l’étudiant, les répondants identifient l’importance de la présence, ainsi que du soutien des pairs et de la famille. En encourageant les étudiants, ainsi qu’en offrant de l’écoute, ceux-ci ont le pouvoir d’atténuer l’isolement vécu durant la transition. Le fait d’avoir complété des études supérieures pour l’entourage leur permet d’offrir à l’étudiant un modèle pouvant le guider. À l’inverse, les difficultés de la conciliation travail-études-familles s’avèrent être un obstacle puisqu’elles limitent le temps disponible à consacrer à ses études. De plus, le fait d’avoir des enfants augmente la charge financière et peut accroitre le taux d’absentéisme. Ces étudiants parents se sentent d’ailleurs incompris des milieux scolaires, ce qui joue un rôle négatif sur leur transition.
Quant aux facteurs relatifs aux établissements postsecondaires, les étudiants expliquent que les exigences académiques élevées en milieu allochtone, ainsi que les difficultés de compréhension de la langue compliquent les transitions. À cela s’ajoute un manque de contenu culturel autochtone dans les cours, ce qui entraîne un sentiment de ne pas avoir une place dans son milieu d’étude. Le personnel enseignant peut atténuer ces obstacles en encourageant et en offrant du soutien dans les apprentissages. Enfin, les établissements qui offrent des ressources et des activités dédiées aux Autochtones contribuent à améliorer l’expérience de transition.
Des facteurs sociocommunautaires, mentionnons la présence de préjugés et de comportement discriminatoires pouvant entraîner des défis pour les étudiants autochtones à trouver un emploi et à se loger. Les étudiants doivent composer avec ces obstacles en étant éloignés de leur communauté et de leur réseau de soutien habituel, ce qui peut augmenter leur sentiment d’isolement.
Afin de pallier à ces obstacles, les établissements postsecondaires du SLSJ déploient des mesures d’accompagnements avec l’aide d’intervenants dédiés au soutien des étudiants autochtones. Selon le rapport de recherche produit par le Comité de recherche sur les transitions aux études supérieures des étudiants.es autochtones (2023), il est possible d’identifier six dimensions regroupant ces mesures :
1) La valorisation culturelle dont les activités sont destinées à rendre visible la culture autochtone afin que l’étudiant puisse développer un sentiment d’appartenance à sa culture et à l’établissement d’enseignement (affichage d’œuvre d’art, conférences, livres ou documents autochtones, etc.) ;
2) Les services d’accueil soutenant les transitions favorisant l’intégration des nouveaux étudiants (visite des lieux, présentation des services, etc.) ;
3) Les activités favorisant le rapprochement entre les cultures autochtone et allochtone (dîners-causeries, activités culturelles, etc.) ;
4) L’accompagnement holistique qui répond aux besoins des étudiants et de leur famille dans les différentes sphères de leur vie (recherche de logement ou de garderie, etc.) ;
5) Le soutien à l’apprentissage destiné à favoriser les transitions, la réussite et la persévérance (tutorat, aide en français, cours d’appoint, etc.) ;
6) La sécurisation culturelle par des lieux et des actions où les étudiants peuvent s’identifier et se reconnaitre (locaux d’appartenance, contenu culturel dans les cours, etc.).
Malgré tout, les répondants s’accordent sur le fait que des défis d'accompagnement subsistent par des difficultés des établissements à offrir un accompagnement personnalisé, à développer un sentiment d’appartenance à l’établissement scolaire, à développer un sentiment de confiance, à valoriser la culture autochtone, à assurer la pérennité des ressources et à favoriser la mise à niveau des acquis, ainsi que le développement des compétences des étudiants. En somme, les résultats de cette étude mettent en lumière l’importance d’avoir une vision plus globale qui intègre tous les acteurs clés impliqués dans la réussite éducative des étudiants autochtones, notamment lors de moments cruciaux caractérisés par les effets des transitions sur les trajectoires de scolarisation. La réussite des Autochtones au postsecondaire est étroitement liée à l'autodétermination des communautés. Ces membres, éduqués, constituent d’ailleurs des piliers essentiels au développement de leur communauté (CCNSA, 2017).
Références
Centre de collaboration nationale de la santé autochtone [CCNSA]. (2017). L’éducation : un déterminant social de la santé des Premières Nations, des Inuit et des Métis. https://www.ccnsa-nccah.ca/docs/determinants/FS-Education-SDOH-2017-FR.pdf
Commission royale sur les peuples autochtones [CRPA] (1996). Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Ministère des Approvisionnement et Services Canada, Ottawa.
Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur [CAPRES]. (2018). Étudiants des Premiers Peuples en enseignement supérieur. https://www.capres.ca/wp-content/uploads/2018/12/Dossier_CAPRES_Notion_Cle.pdf
Comité de recherche sur les transitions aux études supérieures des étudiants.es autochtones. (2023). Favoriser les transitions afin de soutenir la persévérance scolaire des étudiants.es des Premières Nations au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Université du Québec à Chicoutimi; ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.
Dufour, E. (2017). Du Collège Manitou de La Macaza à l’Institution Kiuna d’Odanak: la genèse des établissements postsecondaires par et pour les Premières Nations au Québec. Revue d’histoire de l’Amérique française, 70(4), 5-33. https://doi.org/10.7202/1040572ar
Dufour, E. (2019). La sécurisation culturelle des étudiants autochtones : Une avenue prometteuse pour l’ensemble de la communauté collégiale. Revue de pédagogie collégiale, 32(3), 14-24. https://eduq.info/xmlui/bitstream/handle/11515/38023/dufour-32-3-19.pdf?sequence=2&isAllowed=y
Gouvernement du Québec. (2021). Commission d'enquête sur les relations entre les
Autochtones et certains services publics au Québec: écoute, réconciliation et progrès. www.cerp.gouv.qc.ca.
Ratel, J. L. et Pilote, A. (2021). Métamorphoses de l’université et parcours d’étudiants autochtones au Québec: enjeux d’accessibilité aux études et de persévérance scolaire dans une perspective de décolonisation de l’éducation. Recherches en éducation, 44.
Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec [RCAAQ]. (2020). Favoriser la persévérance et la réussite éducative des étudiants autochtones au postsecondaire. www.rcaaq.info
Sinclair, R. (2004). Aboriginal social work education in Canada: Decolonizing pedagogy for the seventh generation. First Peoples Child & Family review, 1(1), 49-61.
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