Comment intégrer à la formation d’assistant de service social les pratiques émergentes autour de l’aller vers ?
Les pratiques innovantes sont venues interroger les fonctionnements habituels de l’assistant de service social dans son instauration de la relation d’aide. En ce sens, elles doivent désormais trouver place au sein de la formation initiale.
C’est pourquoi en tant que cadre pédagogique au sein d’un institut de formation, j’ai pu élaborer un module de formation sur l’aller vers pour les étudiants de 1ère année. Dans cette communication, je présenterai d’abord la construction de ce module, puis sa mise en œuvre et enfin les premiers retours faits contribuant à une première évaluation de celui-ci et les questionnements s’y référant.
Dès la rentrée 2021, il a semblé important à l’équipe de pouvoir intégrer dans le projet pédagogique des enseignements sur les pratiques de l’aller vers. A cet égard, des modules ont pu trouver place dans la nouvelle maquette autour des notions : de non recours, non demande et d’aller vers, de participation et d’implication des personnes. Ces liens faits entre ces différents concepts viennent ici souligner la précaution à avoir concernant le concours possible de la personne. Cela rejoint le propos de Yann le BOSSE qui explique que « ce n’est pas l’activité en elle-même qui est garante du développement du pouvoir d’agir, c’est la façon dont elle est faite qui contribue ou ne contribue pas à permettre aux personnes d’avoir du contrôle sur ce qui est important pour elles ».
Ce premier propos est celui qui est venu guider la manière de vouloir aborder ce module dans son entièreté au service du développement du pouvoir d’agir des personnes et dans l’abord relationnel de l’autre. En effet, la tentation est parfois grande d’installer la pratique professionnelle dans le faire par des moyens déployés mais n’est-ce pas parfois au détriment de la finalité de l’intervention et de la contribution possible de la personne ? Il nous a paru pertinent de pouvoir proposer ces enseignements aux étudiants de première année afin de pouvoir les sensibiliser précocement sur ces nouvelles modalités d’accompagnement et permettre alors une appropriation progressive de celles-ci.
Tout d’abord, je dus me résoudre à ce que l’aller vers fasse face à « l’absence de définition conventionnellement stabilisée » (PARISSE, PORTE 2022). Cyprien AVENEL décrit que « ces démarches désignent, de manière générique, le fait de sortir d’une logique de guichet pour aller au-devant des personnes » (AVENEL 2021). Ainsi furent posés les premiers jalons de définitions.
Mon point d’appui suivant fut la définition du groupe de travail qui a édité la note de cadrage sur la formation aller vers. Celle-ci énonce, que l’aller vers s’entend au-delà de toute intervention sociale habituelle et qui fait suite à une demande exprimée. « Elle permet d’intégrer dans les pratiques les situations de non demande de certains publics et engage les acteurs à se situer dans une pratique proactive, pour entrer en relation avec ces publics. » Celle-ci me semble amener les éléments principaux sur la posture attendue du travailleur social dans ces nouvelles modalités d’intervention. Elle engage aussi un questionnement autour de la mise en œuvre possible de cette posture avec les contraintes à l’œuvre (budgétaires, d’organisation, de performance …) dans le secteur. En outre, cela pose également une question prégnante : les étudiants en début de cursus de formation sont-ils assez coutumiers de ces injonctions parfois paradoxales afin de pouvoir se situer ? En effet, si l’on fait ici référence aux dynamiques institutionnelles telles que décrites par René LOURAU les étudiants vont-ils pouvoir mesurer ici que « l’institution est considérée comme un mouvement dialectique à trois moments : l’institué, l’instituant et l’institutionnalisation » (LOURAU 1970) dans lequel ils sont eux-mêmes pris ?
Ensuite, la Stratégie Nationale de Prévention et de lutte contre la Pauvreté constitua mon deuxième point d’appui dans la construction de ce nouveau contenu. En effet, elle vient ainsi poser un cadre national autour de pratiques d’aller vers. Et là, une question est venue : une pratique innovante peut-elle s’institutionnaliser alors même qu’elle n’est pas totalement conceptualisée ? Son institutionnalisation ne va-t-elle pas tendre vers sa rationalisation et sa standardisation ? Ce propos vint rejoindre mes questionnements précédents et ce courant parfois contraire dans lequel le professionnel doit évoluer.
Je m’interrogeais alors sur les fondements de ce mouvement : l’aller vers n’était-il pas déjà à l’œuvre dans des pratiques éducatives de rue ? N’est-ce pas situer son intervention dans le préventif davantage que le curatif ? Les logiques de rationalité financière n’ont-elles pas parfois tari ces modalités d’intervention ?
La lecture des articles de Didier DUBASQUE vint également enrichir ma réflexion. Ainsi, Il énonce qu’il s’agira d’opérer une déconstruction afin de ne pas rester dans la logique de déplacement mais d’entendre ce process comme une philosophie de l’action et une démarche proactive. Cela a constitué mon leitmotiv inspirant puisque je suis attachée à situer les étudiants dans une posture réflexive et non comme des pourvoyeurs de dispositifs. En cela, il était alors important de rapidement déconstruire les représentations qui peuvent amener une approche réductrice des pratiques d’aller vers comme un déplacement physique.
La définition rédigée par M. DUBASQUE avec des travailleurs sociaux contribua également à ma réflexion en insistant sur des aspects fondamentaux : la mise à portée de la personne, la vigilance sur le début de la relation et l’acceptation par le travailleur social de l’incertitude et d’un certain inconfort.
En outre, Roland JANVIER m’amena à me questionner sur la posture à adopter afin de se situer dans l’aller vers. En effet, les questions posées dans sa communication « aller vers pour aller où ? » témoignent des écueils possibles et des impondérables. Ces derniers doivent être identifiés par le professionnel et reposent sur son propre rapport à l’altérité, son acceptation du pas de côté, sa facilité à sortir de sa zone de confort constituée par les murs institutionnels et sa volonté de favoriser ainsi le lien social. De même, il nous amène à pouvoir interroger les figures héroïques que le travailleur social peut incarner et qui sont alors un risque patent : tantôt Tarzan, Superman ou James Bond !
Ces différents auteurs et essais de définitions m’ont alors fourni les fondements essentiels à la construction de ce module et surtout la philosophie dans laquelle je souhaitais inscrire mon propos. Certaine de ce que je souhaitais distiller, l’enjeu était la faisabilité du module auprès des étudiants. Il fut intrinsèquement lié à l’abord d’autres notions telles que la non demande.
Le choix opéré fut de débuter le module par une approche assez philosophique avec des essais de définitions. Cette première séquence permettait alors aux étudiants d’avoir une base conceptuelle mais aussi de pouvoir questionner et se questionner sur les conditions liminaires de mise en œuvre d’une pratique d’aller vers. Il s’agissait aussi de pouvoir poser les représentations sur ce terme en les dégageant ainsi du seul mouvement physique. En outre, il y eut ensuite une présentation de la stratégie Nationale de lutte contre la pauvreté qui intègre l’aller vers contre une réponse possible afin d’accéder aux publics non-demandeurs et de favoriser ainsi leurs recours aux droits. La diversité des parcours antérieurs des apprenants a permis dès lors de pouvoir engager un échange autour de ces premiers apports. En effet, certains avaient déjà pu expérimenter l’accès à des dispositifs en position de stagiaire ou de personne concernée parfois en difficulté pour faire valoir ses droits. Ensuite, des questions ouvertes ont été distillées autour de leurs savoirs expérientiels et ont ainsi amené une réflexion collective et individuelle particulièrement autour de l’abord par le travailleur social de l’incertitude et de l’altérité. En effet, l’inconfort est une position souvent délicate à aborder et il était important de pouvoir permettre à chacun de l’éprouver. Cela a semblé faire sens et a été ensuite mis à profit à travers l’étude de situations fictives présentées sous forme de données factuelles et questionnant la manière dont pourrait être envisagée une intervention sociale auprès de la personne. Comment aborder l’autre quand en première intention il ne se situe pas dans une démarche de demande ? Quelle place faire à cet autre ? Comment concilier un regard sociétal souvent jugeant et pourvoyeur de normes porté sur cette personne et son abord dans le respect de son altérité ? C’est ici quelques exemples de questions ouvertes sur lesquelles nous avons pu échanger, débattre en convenant aussi qu’une réponse type serait inenvisageable.
Enfin, cette séquence amenait à la proactivité comme notion prégnante, cela a commencé par celles des étudiants sur la réflexion, la construction et l’organisation de la table ronde venant conclure ce module. Celle-ci s’est érigée au fil des séquences, un temps étant prévu systématiquement pour faire le point sur sa progression. Chacun a pu exprimer des souhaits de services ou domaines d’intervention à convier. Des choix collégiaux ont pu s’opérer afin de pouvoir tendre au maximum vers une variété de publics et une représentativité de services ou collectivités. Ainsi, des institutions œuvrant autour de l’accès à la santé, à la vie professionnelle, à l’accompagnement de publics en situation d’exclusion, de ruralité et de précarité ont été conviés. Suite à ces choix, les étudiants ont pu par groupe chercher des informations sur ces services, leurs missions, financements afin de pouvoir comprendre les contextes d’intervention de ces divers acteurs. Très rapidement, la question de la participation des personnes accompagnées à cette table ronde est venue se poser. En effet, comment évoquer les modalités d’intervention sans que les personnes concernées puissent s’y adjoindre ? Après réflexion collective, elle a pu se concrétiser sur un autre temps. Effectivement, cette place des personnes nous a semblé essentielle et a donné lieu en liminaire à un travail des étudiants autour de l’écrit PAROLES SANS FILTRE édité par le Conseil National des Personnes Accompagnées (CNPA) et à une rencontre avec une personne accompagnée désormais déléguée au CRPA. Celle-ci a pu donner aux étudiants des éléments précieux dans l’accompagnement qui vont ainsi favoriser la place de l’autre : la reconnaissance de sa citoyenneté et de son altérité.
Nous avons aussi lu différents textes d’auteurs tels que Marcel JAEGGER ou CRISTINA DE ROBERTIS amenant une réflexion sur les notions de participation et d’implication. Assurément, il paraissait essentiel d’avoir une approche de ces notions avant de réfléchir plus avant sur la façon de pouvoir aller vers l’autre.
Nourris de ces apports variés qu’ils soient conceptuels, réflexifs ou pratiques les étudiants ont pu contribuer et assister à la table ronde qui est venue finaliser ainsi ce module. Six partenaires ont participé à celle-ci, contextualisé leurs interventions et présenté leurs actions qu’ils qualifient d’aller vers. De nombreuses questions, réflexions ont émané des étudiants qui ont pu ainsi confronter leurs premiers apports en centre de formation sur ce thème avec la réalité des pratiques de terrain. Ils ont alors pu mesurer la diversité des actions menées et nommées aller vers. Ils ont aussi veillé à porter la parole des personnes à travers le travail antérieur mené. En effet, la lecture de l’écrit du CNPA avait engagé une réflexion sur la perception des personnes de leurs accompagnements. Une question est restée en suspens pour les étudiants et moi-même aurions-nous pu concilier sur ce temps de table ronde la présence des acteurs et des personnes ? Elle va donner lieu au sein de l’équipe à une réflexion à laquelle des partenaires (ATD Quart Monde par exemple) et les apprenants vont s’associer.
L’évaluation faite en première intention par l’ensemble des protagonistes démontre un intérêt certain à aborder ce module précocement dans le parcours formatif. En effet, dès le premier stage (débutant la semaine suivant la table ronde) beaucoup d’étudiants ont pu être au contact de pratiques s’inscrivant dans l’aller vers. La réalisation de ce module en amont a facilité leur capacité à pouvoir s’inscrire dans cette réalité. Elle amène aussi ces derniers à pouvoir porter un regard interrogatif et parfois critique sur les pratiques rencontrées. Cela constitue ainsi un atout majeur dans la construction de leur identité professionnelle.
L’évaluation devra se faire tout au long de la formation afin de pouvoir mesurer la compréhension puis l’appropriation de ce mode d’intervention et également la capacité à conserver une analyse parfois critique de sa surutilisation. Concernant les modalités pédagogiques, celles-ci demeurent perfectibles et la définition non stabilisée de l’aller vers amènera à faire évoluer ce contenu. En outre, des termes majeurs me semblent devoir donner lieu à une approche plus importante lors de ce module et certainement plus conceptuelle. Ainsi, la proactivité demeure peu perceptible dans la construction du module et demanderait à être favorisée par un contenu propre s’y référant. En effet, elle demeure posée comme une évidence et devrait certainement donner lieu à une approche étymologique et conceptuelle afin que les étudiants puissent saisir le sens de celle-ci. En effet, « la notion de proactivité sous-tend que le travailleur social suggère à la personne en face de lui de « prendre la propre responsabilité de sa vie » » (PUAUD 2013), en cela elle situe la personne accompagnée dans une démarche de responsabilisation de sa vie, de ses choix. De même, la question de l’inconfort reste aussi abordée de manière très théorique alors que chaque travailleur social a pu souvent la rencontrer dans sa pratique et ce d’autant plus dans la mise en œuvre de modalités d’intervention qui diffèrent de celles usitées habituellement.
En outre, une question plus générale subsiste au-delà de ce module, comment permettre aux étudiants de faire davantage de liens entre les divers modules et domaines de compétences ? L’abord de la formation peut en effet paraitre parfois morcelée et situe les apprenants dans des savoirs qu’ils vont cloisonner alors même qu’ils sont transversaux et en premier lieu au service de l’autre dans le développement de ses propres compétences et ressources pour définir son projet de vie.
Pour conclure ce module avait une ambition à la fois modeste dans le contenu conceptuel transmis et immense dans la construction de la posture réflexive et éthique de chaque étudiant.
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