Fiche Documentaire n° 5998

Titre La présence à distance

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Auteur(s) GREBERT Jacqueline  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

La présence à distance

Une crise impacte les formations en travail social, elles sont devenues multimodales en accéléré, entrainant des inquiétudes sur les formations réalisées à distance.
La formation à distance en France existe depuis 1939, l’évolution de la technologie numérique, l’a transformée en profondeur, avec une amélioration de la qualité d’image et de son. Depuis 1990, dans l’enseignement supérieur les expériences se multiplient avec de nombreux programmes européens. Les cours réalisés à distance ont été massivement développés pendant la pandémie et ils persistent aujourd’hui. Le distanciel, « dérange, exacerbe, bouleverse », selon Geneviève Jacquinot-Delaunay (2010). Les formateurs et les étudiants, ont souvent des réactions négatives sur cette expérience. Les apprenants occupent une place différente, plus auteurs qu'acteurs de leurs parcours. Ils sont confrontés à un problème d’acculturation et de gestion des freins aux changements. J'entends souvent dans le cadre de mes fonctions de coordinatrice de formation : « les cours à distance sont moins bien que le face à face ».
Dans le cadre d’un mémoire de master 2, pendant trois ans, j’ai interrogé des étudiants en formation Assistant de Service Social sur leur vécu des cours à distance. Les retours se cristallisaient autour du sentiment de manque de présence. Les différents acteurs opposent la présence physique et à la distance géographique.
Il y a souvent une dichotomie concernant les cours en distanciel : l’humain, d’un côté et la machine de l’autre. Néanmoins selon Choplin (2009), le média a des « propriétés sémio cognitives propres qui ont un impact en tant que système de représentations sur les processus d’apprentissages ». Il y a ici, quelque chose à explorer sur « l'enjambement » (Latour), qui évoque des changements de « modes opératoires », entre le présentiel et le distanciel. Il apparait une présence idéale et une distance connotée négativement dans les représentations communes.
J-L Weissberg (2000) précise « entre la présence en face à face et l’absence, se construisent…des graduations … qui incitent à repenser nos conceptions héritées, relatives au partage du commun de l’ici et maintenant ». Les notions n'apparaissent pas de façon opposée mais plutôt imbriquées l’une à l’autre avec différents niveaux.
Il semble donc nécessaire de s’approprier les différentes présences identifiées qui ont toutes pour objectifs d’initier un « sentiment de présence » central en formation à distance selon G Jacquinot, afin « d’apprivoiser » cette distance lorsque les cours ne sont pas réalisés en face à face.
D.Paquelin (2011) précise : « la présence dans la distance apparaît de plus en plus comme l’une des composantes de l'efficience des dispositifs ». Obtenir un sentiment de présence par l’ensemble des acteurs est souligné comme un axe majeur de la réussite des cours en distanciel Mais « L’apprentissage ne peut se réaliser sans lien social » (Piaget et Vygotski). Tout l’enjeu est donc de restituer de la présence, pour permettre des liens sociaux à distance.
Dans le cadre de la formation, se déroulent des interactions entre les apprenants, les formateurs et entre pairs. Elles vont aider à la création d’un « lien de participation organique » (Paugam 2022). Ce lien se tisse entre les acteurs et les apprenants qui vont pouvoir « compter sur » les formateurs et leurs collègues. Mais aussi « compter pour être un membre actif et reconnu de cette communauté d’apprentissage » (Jacob et Rivens Mompean 2020). Effectivement si l’apprenant est en distanciel, sans interaction, il ne peut construire ces liens, ni compter pour ou sur quiconque. La mise en place de différents niveaux de présence semble pouvoir, au moins partiellement, combler ce manque.
En conclusion, la maitrise des outils numériques est un prérequis indispensable pour les formateurs, mais cela doit être complété par des connaissances afin de pouvoir recréer de la présence à distance, pour rendre cette pratique efficiente.

Bibliographie

Blandin, B. (s.d.). La relation pédagogique à distance : que nous apprend Goffman ? Distances et savoir. Récupéré sur https://doi.org/10.3166/ds.2.357-381
Jacquinot-Delaunay, G. (2010). Entre présence et absence : La FAD comme principe de provocation. Distances et savoirs, 8, 153-165. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-- 2010-2-page-153.htm
Jacob, M. & Mompean, A. R. (2020). Construire le lien social à distance : Un des défis au sein d’une formation hybride. K@iros [En ligne], n°3. Récupéré sur https://revues msh.uca.fr/kairos/docannexe/file/163/jacob_mompean.pdf
Jézégou. (2022). La présence à distance en e-formation, Enjeux et repères pour la recherche et l’ingénierie. (P. Universitaires, Éd.)
Paquelin, D. (2011). La distance : questions de proximités. Distances et savoirs. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2011-4-page-565.ht
Paugam, S. (2022). Le lien social. (Puf, Éd.)
Peraya, D., & Fiévez, A. (2022). Stratégies numériques des institutions d’enseignement supérieur : quelques reflets du terrain. Présentation des premières interventions au débat. Distances et médiations des savoirs, n°22. Récupéré sur https://doi.org/10.4000/dms.7989

Présentation des auteurs

Jacqueline Victor-Baptiste épouse Grebert.
Ma formation en communication et mon expérience dans le secteur social, s'articule avec de l'auto-formation
et de la formation continue, particulièrement dans le domaine du numérique, de la victimologie et des
méthodologies d'intervention sociale individuelle et collective.
Actuellement je suis coordinatrice d'une filière de formation en travail social à l'Institut Méditerranéen de Formation Recherche et Intervention Sociale à Marseille.
En 2022 j'ai obtenu un master 2 en Ingénierie Pédagogique Numérique, cela m'a permis de questionner l'évolution des pratiques en lien avec l'utilisation du numérique.

Communication complète

Une crise impacte les formations en travail social, elles sont devenues multimodales en accéléré, entrainant des inquiétudes sur les formations réalisées à distance.



La formation à distance en France existe depuis 1939, l’évolution de la technologie numérique, l’a transformée en profondeur, avec une amélioration de la qualité d’image et de son. Depuis 1990, dans l’enseignement supérieur les expériences se multiplient avec de nombreux programmes européens. Les cours réalisés à distance ont été massivement développés pendant la pandémie et ils persistent aujourd’hui. Le distanciel, « dérange, exacerbe, bouleverse », selon Geneviève Jacquinot-Delaunay (2010). Les formateurs et les étudiants, ont souvent des réactions négatives sur cette expérience. Les apprenants occupent une place différente, plus auteurs qu'acteurs de leurs parcours. Ils sont confrontés à un problème d’acculturation et de gestion des freins aux changements. J'entends souvent dans le cadre de mes fonctions de coordinatrice de formation : « les cours à distance sont moins bien que le face à face ».



Dans le cadre d’un mémoire de master 2, pendant trois ans, j’ai interrogé des étudiants en formation Assistant de Service Social sur leur vécu des cours à distance. Les retours se cristallisaient autour du sentiment de manque de présence. Les différents acteurs opposent la présence physique et à la distance géographique.



Il y a souvent une dichotomie concernant les cours en distanciel : l’humain, d’un côté et la machine de l’autre. Néanmoins selon Choplin (2009), le média a des « propriétés sémio cognitives propres qui ont un impact en tant que système de représentations sur les processus d’apprentissages ». Il y a ici, quelque chose à explorer sur « l'enjambement » (Latour), qui évoque des changements de « modes opératoires », entre le présentiel et le distanciel. Il apparait une présence idéale et une distance connotée négativement dans les représentations communes.



J-L Weissberg (2000) précise « entre la présence en face à face et l’absence, se construisent…des graduations … qui incitent à repenser nos conceptions héritées, relatives au partage du commun de l’ici et maintenant ». Les notions n'apparaissent pas de façon opposée mais plutôt imbriquées l’une à l’autre avec différents niveaux.



Il semble donc nécessaire de s’approprier les différentes présences identifiées qui ont toutes pour objectifs d’initier un « sentiment de présence » central en formation à distance selon G Jacquinot, afin « d’apprivoiser » cette distance lorsque les cours ne sont pas réalisés en face à face.



D.Paquelin (2011) précise : « la présence dans la distance apparaît de plus en plus comme l’une des composantes de l'efficience des dispositifs ». Obtenir un sentiment de présence par l’ensemble des acteurs est souligné comme un axe majeur de la réussite des cours en distanciel Mais « L’apprentissage ne peut se réaliser sans lien social » (Piaget et Vygotski). Tout l’enjeu est donc de restituer de la présence, pour permettre des liens sociaux à distance.



Dans le cadre de la formation, se déroulent des interactions entre les apprenants, les formateurs et entre pairs. Elles vont aider à la création d’un « lien de participation organique » (Paugam 2022). Ce lien se tisse entre les acteurs et les apprenants qui vont pouvoir « compter sur » les formateurs et leurs collègues. Mais aussi « compter pour être un membre actif et reconnu de cette communauté d’apprentissage » (Jacob et Rivens Mompean 2020). Effectivement si l’apprenant est en distanciel, sans interaction, il ne peut construire ces liens, ni compter pour ou sur quiconque. La mise en place de différents niveaux de présence semble pouvoir, au moins partiellement, combler ce manque.







J’ai donc effectué une recherche qui a mis en exergue trois schèmes dont les contenus vont permettre de développer un sentiment de présence à distance : « favoriser la participation, compenser l’absence de non verbal, présence d’aménité ». Les compétences antérieures mobilisées en présentiel sont transférées dans les cours en distanciel. De plus les « compétences de régulation socio-affective » et de « médiation pédagogique » (Guichon 2009) sont bien visibles. On perçoit aussi que les usages de l’outil ne sont pas pleinement maitrisés ce qui pourrait demander aux acteurs d’établir des moyens de compenser. J’ai été surprise car les actions réalisées semblent demander plus d’efforts aux formatrices, que j’ai pu observer. Elles doivent accentuer leurs actions issues de leurs pratiques habituelles. J’ai trouvé une notion de saillance pour illustrer cette accroche des étudiants au cours en distanciel, afin que la situation d’apprentissage soit la plus efficiente possible. Ils semblent que les formatrices s’appuient sur des savoirs êtres professionnels décuplés, comme la patience et la bienveillance que l’on va retrouver dans la présence socio affective. La formation à l’outil permettrait-elle de révéler les atouts de la formation médiatisée tout en diminuant les efforts déployés ? La mise en place d’un degré de saillance pourrait être travaillé pour devenir une compétence spécifique afin de réaliser des cours en distanciel.



Le formateur doit mobiliser des compétences spécifiques, pour Guichon (2009) trois compétences sont précisées : « Compétences techno-sémio-pédagogiques » (utiliser de façon adaptée des outils pour échanger du son, de l’image, du texte). « Compétences de régulation socio-affective » (mise en place d’un contexte de formation favorable en incitant les apprenants à participer). « Compétences de médiation pédagogique : Provoquer des interactions dans l’espace numérique de formation et développer l’engagement des apprenants » (Guichon et Tellier 2017). Nous pouvons associer la deuxième compétence au développement du sentiment de présence sociale qui peut se traduire ainsi « les étudiants apprécient davantage un formateur qui reconnaît leur contribution, personnalise ses messages en utilisant leurs prénoms, utilise des expressions laissant transparaître son sens de la communauté et exprime de la gratitude à leur égard » (Ladyshewsky 2013). Ces résultats montrent l’importance pour les formateurs de « modeler des interventions assurant une présence sociale » (Deaudelin, Petit et Brouillette 2016). Il semble qu’il existe bien des compétences spécifiques à travailler pour développer des cours à distance avec une attention particulière sur les interactions pour les transformer en leviers à l’apprentissage.







Un autre courant qui sert de fondement à la didactique professionnelle a pu m’aider à construire cette recherche. La psychologie du développement, dans lequel Vygotski propose une « zone de proche développement » (1997) c’est à dire la marge dans laquelle l’apprenant ne peut pas réussir sans aide, marge dont le formateur va pouvoir se saisir. Il amène aussi le concept de « médiation de tutelle », le formateur sachant intervenir au moment le plus adapté. Ce cadre théorique m’a permis d’observer des savoirs-agir des formateurs et de mettre en exergue les processus mise en œuvre pour les élaborer. Des « concepts pragmatiques » ont pu émerger, ils appartiennent à chaque formateur et rendre leurs activités spécifiques



Dans les différentes captations de cours, il est visible que les formatrices identifient, sans la nommer cette « zone proche de développement » ou les étudiants ne peuvent pas réussir sans aide, elles impliquent les pairs dans les échanges. Le degré d'engagement de chacun est ainsi perceptible et porteur pour mobiliser les acteurs. La présence pédagogique est visible, les formatrices utilisent leurs savoirs expérientiels issus de leurs pratiques en présentiel pour initier une bonne qualité de relation entre tous les acteurs concernés. Les compétences de médiation pédagogique sont clairement présentes, mais « coûtent » aux formatrices, comme relevé lors des auto-confrontation.



J’ai pu trouver, par exemple, la notion de présence socio-affective très marquée au niveau « des interactions sociales de symétrie de la relation et d’aménité », au profit d’un climat de sécurité, mis en place par les formatrices pour soutenir l’apprentissage. De même la notion d’aménité que l’on retrouve dans les définitions de la présence sociale est bien présente avec la mise en place d’espace d’échange. Espace ou les jugements ne sont pas acceptés, marqué par la bienveillance des formatrices dans un souci d’humaniser la relation. Les compétences de régulation socio-affective, sont clairement présentes, elles demandent une grande implication et un changement de postures de la part des formateurs



Un des étudiants m’a dit cette phrase : « Le numérique en formation, c’est comme un poisson fugu, un animal avec des qualités gustatives, mais dangereux pour le consommateur s’il est mal préparé »



Cela a fait écho à cette parole de formateur : « En distanciel, l’outil rend plus mauvais même si on maîtrise le contenu, être un bon orateur ne suffit pas. ».



C’est très juste, il y a une question de maitrise technique et une question d’usage. Contrairement à ce que l’on peut penser « les outils numériques représentent des exigences cognitives supplémentaires, ils ne constituent en rien une facilité » (Amadieu et Tricot 2020). En effet, après avoir déconstruit mes représentations, et être convaincue que la présence ne s’oppose pas à la distance. Il a fallu, comme le dit Mme Jézégou que, à mon tour, « j'apprivoise la présence à distance », sujet plus complexe qu’il n’y paraissait au départ. Je me suis particulièrement appuyée sur les cadres théoriques proposés par Jézégou (2012) et Whiteside (2015) en adhérant à leurs idées, d’une présence sociale comme une méta présence, qui regroupe les présences pédagogiques, cognitives, socio cognitives, éducatives et affectives. Cette présence sociale, lors des cours à distance, se traduit pour les acteurs par un sentiment de présence sociale qui me semble, aujourd’hui correspondre aux manques identifiés par les étudiants et les formateurs dans les constats.







En conclusion, la maitrise des outils numériques est un prérequis indispensable pour les formateurs, mais cela doit être complété par des connaissances afin de pouvoir recréer de la présence à distance, pour rendre cette pratique efficiente.




Résumé en Anglais

A crisis is impacting training, leading to concerns about training carried out remotely.

The distance, “disturbs, exacerbates, upsets”, according to Jacquinot-Delaunay (2010). Trainers and students often have negative reactions around the feeling of lack of presence. There appears an ideal presence and a negatively connoted distance in common representations.

The concepts appear intertwined with each other at different levels.

It is necessary to appropriate the different presences which aim to initiate a “feeling of presence”.

Obtaining a feeling of presence by all the actors is underlined as a major axis of the success of distance learning courses. But “Learning cannot be achieved without social ties” (Piaget and Vygotski). The challenge is therefore to restore presence, to allow social links at a distance.

As part of the training, interactions take place between learners, trainers and between peers. They will help create an “organic participation link” (Paugam 2022). This link is woven between the actors and the learners who will be able to “rely on” the trainers and their colleagues. But also “count to be an active and recognized member of this learning community” (Jacob and Rivens Mompean 2020).

In conclusion, mastering digital tools is an essential prerequisite for trainers, but this must be supplemented by knowledge in order to be able to recreate presence remotely.