Fiche Documentaire n° 6028

Titre Innovation sociojudiciaire en violence conjugale: évaluation de l'implantation d'une initiative rurale intersectorielle.

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Auteur(s) PAINCHAUD Esther
LALANDE célyne
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Innovation sociojudiciaire en violence conjugale: évaluation de l'implantation d'une initiative rurale intersectorielle.

L’intervention sociojudiciaire au Québec a été influencée par plusieurs crises sociales internationales, durant les dernières années. En effet, le mouvement #MeToo, les mouvements de dénonciation du profilage racial et de définancement des services policiers et l’augmentation considérable des féminicides en contexte de pandémie ont tous secoué la population, qui s’est mobilisée. S’en s’ont inspiré des réformes et rapports gouvernementaux, qui ont mené au financement de l’action sociale pour adresser ces enjeux (Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, 2021; Gouvernement du Québec, 2021; Institut national de santé publique, 2020). Les acteurs sociaux et politiques québécois ont donc créé un climat favorable à l’innovation dans les pratiques sociojudiciaires visant la thématique de la violence conjugale.

C’est dans ce contexte que les services policiers d’une MRC rurale québécoise ont monté et implanté leur propre programme en violence conjugale, intitulé MAINtenant ensemble. Il comporte neuf sous-projets, ayant tous comme objectif final de contrer la violence conjugale sur le vaste territoire. Les chargé.es de projet ont porté une attention particulière à l’innovation sociale dans la construction du programme. Ainsi, le service a créé une équipe spécialisée en violence conjugale au sein même du poste, impliquant l’embauche d’une intervenante sociale civile qui travaille en collaboration étroite avec une agente de la paix également spécialisée en la matière. S’y ajoute la création d’une équipe d’intervenantes mobiles, qui implique une collaboration étroite avec la maison d’hébergement pour femmes et enfants victimes du territoire. Ces intervenantes se déplacent sur appel lors des interventions policières en violence conjugale pour soutenir les femmes victimes durant la situation de crise, offrir des ressources et l’accompagner vers un lieu sécuritaire si nécessaire.
Une évaluation de l’implantation du programme a été réalisée après sa première année, en partenariat avec l’UQO. Le devis choisi est celui d’évaluation d’un cas (Yin, 2017), adoptant une méthodologie mixte intégrée (majeure qualitative complétée avec données quantitatives) (Creswell et Pano Clark, 2011). Les approches évaluatives adoptées sont la description du processus d’implantation et la mesure d’indicateurs d’implantation (Tougas et al. 2021). L’équipe de recherche s’est inspiré de deux modèles évaluatifs, celui de l’évaluation formative de Chen (2005, cité dans Joly, Touchette et Pauzé, 2010) et le modèle de Dane et Schneider (1998, cités dans Tougas et al., 2021).

Les résultats indiquent notamment que, malgré certaines réticences initiales au changement des pratiques au sein du poste, le projet est maintenant généralement apprécié, voir une source de fierté pour celui-ci. L’équipe de violence conjugale effectue un travail important de sensibilisation, se montrant disponible pour les questionnements de leurs collègues et les soutenant dans leurs interventions. Les défis du projet résident dans l’entretien des nombreuses relations de collaboration intersectorielles qui en découlent. Par exemple, les partenaires du projet ont dû s’investir rapidement et intensément pour respecter les échéances des bailleurs de fonds, mais ne sentent pas que leurs efforts sont reconnus. Malgré tout, la volonté des organisations collaborant, leur flexibilité dans l’adoption de nouvelles pratiques et leurs relations préexistantes favorisent la continuité et l’évolution du projet. Ces résultats seront discutés en termes de portée et limites de ce type d’innovation sociale et de leurs impacts sur le développement et l’autonomie des territoires ruraux.

Bibliographie

Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. (2021). Rebâtir la confiance. (p. 312). https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/education/publications-adm/SCF/publications/violences/Rapport-accompagnement-victimes-AG-VC.pdf?1619808458

Creswell, J. W. et Plano Clark, V. L. (2011). Designing and Conducting Mixed Methods Research, 2ième édition; Calif: SAGE Publications.

Gouvernement du Québec. (2021). Rapport final : Modernité, confiance, efficience. (p.490). Comité consultatif sur la réalité policière. https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/pratiques_policieres/rapport_ccrp_final.pdf

Joly, J., Touchette, L. et Pauzé, R. (2010). Les dimensions formative et sommative de l’évaluation d’implantation d’un programme. Dans M. Alain et D. Dessureault (dirs.), Élaborer et évaluer les programmes d’intervention psychosociale (pp. 118-145). Montréal : Presses de l’Université du Québec.

Institut national de santé publique. (2020). Violence conjugale dans un contexte de pandémie. https://www.inspq.qc.ca/violence-conjugale/comprendre/contexte-pandemie

Tougas, A.-M., Bérubé, A. et Kishuk, N. (2021). Évaluation de programme : de la réflexion à l’action. Presses de l’Université du Québec.

Yin, R. (2017). Case Studies Research and Application: Design and Methods, 6ième édition, SAGE Publications.

Présentation des auteurs

Esther Painchaud, étudiante à la maîtrise en travail social à l'Université du Québec en Outaouais sous la direction de Célyne Lalande.
Célyne Lalande, Ph.D., t.s., professeure au département de travail social de l'Université du Québec en Outaouais. Ses intérêts portent sur la collaboration professionnelle, la violence conjugale et l'intervention sociojudiciaire.

Communication complète

Le contexte québécois des dernières années a favorisé l’émergence d’un projet ayant un potentiel important de développement des communautés : le projet d’intervention sociojudiciaire spécialisé en contexte rural MAINtenant ensemble. Ce programme policier pour contrer la violence conjugale sur son territoire se démarque par la création d’une équipe spécialisée en la matière, composée d’une intervenante sociale civile et d’une policière spécialisée en violence conjugale. Le programme innove également par la création d’un service d’intervenantes qui se déplacent lors des interventions policières pour offrir un soutien psychosocial aux personnes victimes durant la crise. Cela implique une collaboration étroite avec la maison d’hébergement pour femmes et enfants victimes du territoire, qui est chargée de l’embauche et de la formation de ces intervenantes. En plus de ces deux volets, sept autres sous-projets composent MAINtenant ensemble (création d’une trousse d’intervention pour la patrouille, formation continue, programme de prévention en milieu scolaire, collaborations avec les partenaires de la communauté, etc.).



Notre équipe de recherche a été sollicitée afin d’évaluer l’implantation de ce projet au sein de la Sécurité publique de la MRC des Collines-de-l’Outaouais (SPMDC). Le projet s’est doté des objectifs suivants: documenter et décrire l’implantation du programme MAINtenant ensemble; mesurer son implantation et soutenir la SPMDC dans l’élaboration des outils d’évaluation de l’implantation en continu (monitoring) du programme. Il vise à répondre à deux questions directrices:



1) Comment est-ce que le projet MAINtenant ensemble a été implanté lors de l’an 1 de sa programmation dans la SMPDC?



2) Est-ce que le projet atteint ses cibles de déploiement quantitatives et qualitatives initiales?



Pour répondre à ces questions et atteindre les objectifs du projet, deux principales approches évaluatives ont été mobilisées. D’abord, une approche descriptive et formative a permis de rendre compte des phases et activités du processus d’implantation (Tougas et al., 2021). Pour ce faire, le modèle de Chen (2005, cité dans Joly, Touchette et Pauzé, 2010) a été mis en œuvre en se basant sur ses quatre étapes soit : 1) l’identification des éléments cruciaux au succès de l’implantation; 2) l’identification des problèmes et la recherche de leurs sources; 3) l’identification des solutions; et 4) le partage des résultats avec les parties prenantes.



Puis, la deuxième question visant la mesure d’indicateurs d’implantation (Tougas et al., 2021) a permis d’évaluer la fidélité au projet initial. Ce deuxième objectif évaluatif a été orienté par des indicateurs du modèle de Dane et Schneider (1998, cités dans Tougas et al., 2021) tels le dosage, la participation, la qualité, la différentiation et l’adaptation. L’évaluation sous forme d’étude de cas (Yin, 2012; 2017) a été le devis adopté pour cette recherche puisqu’elle permet de cerner le phénomène en profondeur. Une méthodologie mixte majoritairement qualitative, complétée par des données quantitatives (Creswell & Plano Clark, 2011) a été privilégiée pour répondre aux questions de recherche. L’analyse documentaire, l’observation non participative et la conduction d’entrevues de groupes semi-dirigées ont composé les outils de collecte de données.



Les résultats indiquent que plusieurs éléments ont été cruciaux pour le succès de l’implantation. Les individus qui se sont investis dans la création et le déploiement de MAINtenant ensemble constituent une des importantes forces du programme. Le choix d’implanter une agente désignée au sein de l’équipe spécialisée a été particulièrement favorable à l’acceptation du projet par le corps policier. Également, les outils, tels une trousse violence conjugale pour les policier.ères sur le terrain, les formations continues aux équipes et les nouvelles procédures ont facilité l’implantation du programme. Malgré la lourdeur qu’ils peuvent ajouter, ils permettent d’uniformiser et de systématiser les bonnes pratiques au sein du service. Aussi, les mécanismes de suivis formels et informels inhérents à MAINtenant ensemble favorisent la fidélité de l’implantation au plan cadre. Ainsi, même si certaines adaptations ont été nécessaires, les objectifs initiaux du programme n’ont pas été mis de côté et continuent d’orienter le déploiement du projet. Le processus d’évaluation scientifique a aussi été relevé comme un mécanisme de suivi ayant favorisé une implantation réussie. Finalement, le contexte sociopolitique où les préoccupations pour la problématique de la violence conjugale, et plus largement de la violence envers les femmes, sont omniprésentes dans le discours public et les médias ont contribué de façon importante à l’engagement des gestionnaires et décideurs envers le projet MAINtenant ensemble.



Certains enjeux ont toutefois été rencontrés lors de l’implantation du programme. Plusieurs acteur.rices du service de Sécurité publique de la MRC des Collines-de-l’Outaouais et certains partenaires se sont montrés réfractaires au projet au début de son implantation. Cette réticence était principalement associée à l’ajout de charge administrative liée aux nouvelles pratiques et à certaines attentes envers la prise en charge des situations de VC qui n’ont pas été rencontrées. Afin d’outrepasser ces résistances, l’équipe au cœur du projet a misé sur : la répétition des messages des gestionnaires, l’ouverture au progrès et à la critique, l’intérêt de la direction pour la problématique de la violence conjugale, le travail de sensibilisation effectué par l’équipe spécialisée et l’engagement des instigateurs du projet dès son avènement. Également, parce qu’il est ambitieux et novateur, le programme MAINtenant ensemble a accentué de façon importante les tâches des gestionnaires de la Sécurité publique de la MRC des Collines-de-l’Outaouais qui s’y investissent. De surcroit, l’équipe spécialisée s’est retrouvée rapidement en surcharge puisqu’elle a dû assumer simultanément les services directs à la population, le soutien aux effectifs policiers et le déploiement des différents sous-projets. Pour pallier cet enjeu, une des solutions mises en œuvre a été d’intégrer des stagiaires au sein de l’équipe spécialisée afin d’augmenter le nombre de ressources dédiées au projet. Sur le plan des collaborations avec les partenaires, certains éléments ont été relevés comme des enjeux lors du début de l’implantation : l’identification des personnes-ressources avec qui communiquer, les délais de production très courts, ainsi que le sentiment d’absence de reconnaissance publique pour le projet de la part des partenaires. Pour la majorité de ces enjeux toutefois, le cadre de pratique s’est délimité avec le temps, et les organisations partenaires soulignent que l’avancée vers un but commun de lutte contre la violence conjugale et une bonne communication, a grandement aidé la collaboration. En effet, on remarque depuis l’implantation une augmentation des collaborations informelles visant à optimiser les services offerts en matière de violence conjugale et ainsi, pallier les trous de services, lesquels sont fréquents en milieux ruraux.



Finalement, le déploiement du service d’intervenante mobile a requis plusieurs adaptations au plan initial. Des enjeux ont été soulevés autant en ce qui a trait à la coordination conjointe du projet par la maison d’hébergement et le service de Sécurité publique, ainsi que pour la mise en œuvre des interventions sur le terrain. Ces défis ont poussé les deux organisations impliquées à offrir un plus grand soutien aux intervenantes mobiles et à établir des canaux de communication plus efficaces entre elles. D’autres modifications ont dû être apportées pour les sous-projets connexes, dont une implication moindre que prévu à la cellule d’intervention rapide en prévention des situations à haut risque de la région et quelques modifications au sous-projet de prévention dans les écoles. La mise en œuvre du projet scolaire a en effet été assignée au policier communautaire en raison de la surcharge de travail de l’équipe spécialisée.



En survol, à la fin du processus d’évaluation de l’implantation de MAINtenant ensemble en février 2023, environ 78 % des tâches et activités du programme avaient été implantées comme prévu lors de la création du projet. Les membres de la Sécurité publique et leurs partenaires rapportent un taux de satisfaction relative à l’implantation variant entre 75 % et 90 %, ce qui témoigne d’une qualité élevée du processus évalué. On remarque que ces groupes d’acteurs, particulièrement l’équipe spécialisée en VC, leurs supérieurs et les partenaires, ont maintenu un engagement marqué tout au long du processus, par leur enthousiasme et leur disponibilité malgré leur charge de travail.



Ces résultats démontrent un engouement et une volonté d’action importante de la communauté à l’étude, s’inscrivant dans un contexte social et politique favorable à l’action et au changement social. Le processus d’évaluation a été accueilli avec enthousiasme par les organismes, qui souhaitaient pouvoir diffuser le projet et utiliser le produit dans un cadre d’ajustement continu.



Un enjeu important sur lequel l’évaluation de l’implantation pourrait avoir une incidence relève de pressions politiques provinciales (top-down). On remarque au Québec une tendance vers l’agglomération des services policiers par la Sureté du Québec (SQ) dans les services policiers plus petits. C’est d’ailleurs un objectif de la réforme des pratiques policières, qui énonce que la centralisation des services policiers pourra permettre une meilleure réponse à la diversification de la criminalité (Gouvernement du Québec, 2021). Toutefois, cela menace la réponse aux réalités particulières territoriales. Un parallèle intéressant existe en lien avec la création des Centres de santé et de services sociaux (CSSS) des années 2000 et des modifications des services offerts par les Centres de services locaux communautaires (CLSC), qui desservaient des territoires locaux ou sous-régionaux. Malgré une intention de promouvoir les collaborations locales et les partenariats intersectoriels, la création des CSSS a parfois entraîné un effritement de certains liens avec le milieu communautaire (Bourque et al., 2011; Richard et al., 2007). En effet, les structures imposantes des CSSS et la complexification des instances de gestion ont pu créer une certaine distance et méfiance de la part des acteurs communautaires locaux, qui avaient des liens de proximité avec les CLSC (Richard et al., 2007). La SPMDC a établi des partenariats locaux de proximité et est reconnue pour son implication dans sa communauté. Les relations de collaboration avec la maison Libère-Elles remontent au début des années 2000, et le service s’implique dans plusieurs activités de la maison. L’agglomération avec la SQ pourrait mettre à risque les liens développés avec la communauté locale et le sentiment de confiance que la population a développé envers son service de police.



Pour conclure, les initiatives telles le projet MAINtenant ensemble ont un potentiel important en matière de développement des communautés. Leur diffusion, visant à ce qu’ils soient mieux reconnus et financés, est nécessaire afin d’assurer qu’elles puissent perdurer. Notre enthousiasme vers l’innovation doit prendre en compte les formules existantes qui sont soucieuses et reflètent les réalités territoriales. Notre société doit apprendre de son histoire, et transposer ses apprentissages afin d’éviter de nouvelles crises sociales. Ceci passe par la reconnaissance de l’expertise des communautés dans leur territoire et leurs besoins.

Résumé en Anglais


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