AIFRIS Paris 2023 : proposition d’une contribution
Pour l’axe 4 : Acteurs de l’action sociale, de la recherche et de la formation autour des pratiques émergentes, expériences et mises en savoirs
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Titre : Former par immersion ou « in situ » des assistants de service social à l’ISL
Sous-titre : un nouvel accompagnement pédagogique vers la professionnalisation pour des postures et identités professionnelles plus inclusives
Mots clés : immersion, co-construction site qualifiant et centre de formation, pédagogie expérientielle et inversée, compétence de coopération et de réflexivité
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Pourquoi l’émergence de nouvelles pratiques de formation en travail social est-elle nécessaire aujourd’hui ?
· Parce que dès les 1ères années d’expérience professionnelle nous observons de plus en plus des arrêts pour burn-out ou pour perte de sens, parce que la FIAS se doit donc de préparer davantage nos étudiants aux épreuves du métier
· Parce que la formation en travail social fait face à une crise des vocations avec moins de candidatures et plus d’abandons d’étudiants en cours de parcours
Susciter et soutenir la motivation de nos étudiants pour apprendre et surtout pour apprendre à apprendre est la préoccupation principale de l’ISL
En référence au courant pédagogique du socio-constructivisme, nous invitons les étudiants à construire ensemble leur propre savoir en mettant à leur disposition des ressources théoriques et pratiques à exploiter.
En nous appuyant sur les courants pédagogiques expérientiels et alternatifs, nous leur proposons d’apprendre de leur expérience (Dewey), de mobiliser tous leurs sens pour apprendre (Montessori), de s’engager dans la vraie vie (Freinet) et de s’immerger dans les lieux ressources des usagers pour mesurer combien ils ont à apprendre d’eux aussi (la pédagogie sociale de Ott inspirée de l’éducation populaire).
Entre les stages et les cours une autre alternative pédagogique est possible : c’est la formation « in situ »
Présentation du module de formation « Enquête à Magdala »
J’ai été inspirée par une expérience de formation portée par l’EPAP, un organisme de formation en travail social de la Réunion (article de 2018)
En 2023, c’est la 3ème fois que nous proposons cette formation « in situ » pour accompagner différemment la professionnalisation de nos étudiants assistant de service social. A ce jour, elle se présente sous la forme d’une option de 15h et concerne 12 étudiants(es) de 2ème année.
L’objectif
« Le travail social n’est pas le monopole des travailleurs sociaux ! » J’ai été marquée par cette phrase prononcée par un responsable associatif en colère qui dénonçait clairement le sentiment de supériorité des travailleurs sociaux concernant leur expertise. Et en effet moi qui ai été formée il y a maintenant plus de 30 ans, je me surprends encore malheureusement à penser qu’il y a « eux » (les aidés) et qu’il y a « nous » (les aidants professionnels). Pourtant comme le disent Bigflo et Oli dans leur dernier album de Rap : « les autres c’est nous ! »
Fort de cette envie de faire bouger les lignes et les rapports de pouvoir, j’ai conçu ce module de formation avec l’objectif de développer chez les étudiants de nouvelles compétences : celle de s’articuler avec les bénévoles et celle de s’inscrire dans un travail social communautaire. Le travailleur social y occupe un rôle de facilitateur des solidarités de proximité autour et avec la personne accompagnée qui devient à son tour personne ressource pour la communauté.
Le contexte législatif nous incite à prendre ce tournant dans nos pratiques professionnelles : « Les orientations du plan d’action gouvernemental sur le travail social de 2015 visent à soutenir la place des bénévoles sur l’échiquier de l’action sociale et à promouvoir la complémentarité de tous les acteurs »
Il s’agira donc pour les étudiants de s’intéresser à la place des bénévoles dans le travail social, à mieux identifier les différences et similitudes entre les interventions bénévoles et celles des professionnels.
Il s’agira aussi de s’intéresser à la place des « usagers bénévoles », des « usagers entraineurs » comme on dit au Québec, à l’entraide entre pairs, parce que « le travail social vise s’exerce dans le cadre des principes de solidarité, de justice sociale » (Article D142-1-1 du CASF)
Ceci rejoint l’idéal de complémentarité dans la triade : bénévole-travailleur social-personne accompagnée. Néanmoins cela ne va pas de soi ! Ça s’interroge, ça s’expérimente, ça s’apprend…
MAGDALA est une association sur Lille qui accompagne des personnes en situation de grande précarité. On parle de la « communauté Magdala ». Elle apparait pour nos étudiants comme l’université idéale pour les ouvrir à de nouvelles formes d’accompagnement plus inclusives.
Les moyens pour y parvenir passent par un changement de regard des étudiants sur le bénévolat et la personne accompagnée. Il entraine un changement de posture professionnelle en faisant l’expérience de notre commune humanité et de notre propre vulnérabilité. Il permet de mieux travailler ensemble en renversant les dichotomies habituelles sachant/non sachant, aidant/aidé
Les modalités consistent en une alternance de temps d’immersion sur Magdala et de cours à l’ISL avec 2 formatrices et 2 représentants du site qualifiant
L’immersion apparait comme la 1ère motivation des étudiants pour cette option : ils apprécient de sortir des murs de l’école souvent perçue comme décalée par rapport au métier (« le musée du métier »)
Les étudiants arrivent à Magdala sans savoir qui est qui (salarié, bénévole, personne accompagnée). En théorie les personnes qui les accueillent ne savent pas non-plus qui sont les étudiants. Cette stratégie pédagogique a pour but de limiter l’impact des statuts sur la rencontre, de la représentation que chacun se fait du statut de l’autre
Les étudiants sont attendus comme participants à l’activité (accueil de jour, atelier cuisine, atelier développement durable). L’apprentissage expérientiel nécessite de leur part des capacités d’observation, de réflexion et d’adaptation. Ils sont tour à tour observateurs et acteurs. Ils se regardent et s’interrogent sur leur action
Partenariat
Les 2 ères années, la coopération s’est établie entre 2 acteurs : ISL (centre de formation) et Magdala (site qualifiant). L’année 2023 a été l’occasion de l’ouvrir à un 3ème partenaire « le Service-Learning » de l’université catholique de Lille. Ce nouveau partenariat nous amène à aller plus loin avec les étudiants dans la réflexion sur l’expérience vécue via l’écrit et sur la dimension holistique de l’apprentissage en nous rappelant qu’on apprend et on exerce le métier de travailleur social avec sa tête mais aussi avec ses mains et son cœur
Le service-Learning guide notre démarche pédagogique avec un outil de relecture/reliure de l’expérience vécue
La démarche se décompose en 4 étapes même si cette année nous nous sommes arrêtés aux 3 ères
1. Qu’est ce qui s’est passé ?
2. Qu’est-ce que ça m’a fait ? comment je suis surpris/déstabilisé/heureux/… de cette exposition à un terrain ?
3. Comment je fais le lien avec des savoirs et des compétences métiers ? Quelles compétences acquises et mobilisées ?
4. Qu’est-ce que j’en fais ? comment j’habite la tension personne-personnage ? comment j’interpelle les structures qui créent ou encouragent des rapports injustes (dominants/dominés) ?
Impact
· Sur la relation entre les différents acteurs : plus d’engagement de part et d’autre
Les étudiants se sont montrés motivés, se sont révélés force de propositions pour faire évoluer le dispositif de formation.
Pendant les immersions, le rapport étudiants/Magdala s’est par moments inversé, les 2nds guidant les 1ers.
La relation pédagogique formatrice/étudiants a évolué vers plus de proximité et d’horizontalité.
Nos partenaires-référents de Magdala ont joué un rôle de plus en plus affirmé dans la co-construction des savoirs pendant les cours à l’ISL.
L’évolution que prend au fil des années le retour d’expérience des étudiants à la communauté Magdala témoigne de notre plus grand engagement humain à tous, formatrices comme étudiants.
Alors qu’au départ, la relecture de l’expérience vécue se faisait dans l’entre soi à l’ISL ou à Magdala (interview des étudiants pour le journal de Magdala) nous avons voulu en faire une opportunité de prolonger la rencontre. Après une tentative peu réjouissante d’un retour portant sur les compétences professionnelles acquises, nous avons opté pour une présentation ludique en allant en immersion d’un dimanche de Magdala, présentation qui portait davantage sur la rencontre humaine et la déconstruction des représentations respectives, ce qui reste finalement le plus important à retenir pour nous tous.
Impact sur le regard et la posture professionnelle des étudiants
Voici quelques extraits du témoignage des étudiants qui illustrent l’évolution de leur positionnement professionnel :
· Sur le vivre-ensemble : « on s’est vite senti comme en famille » «je me souviens du sourire quand on nous a accueillis, de la bonne humeur » « La solidarité est d’or, le plaisir de faire plaisir aux autres » « La joie du partage, de prendre un café chaud, de rire ensemble » « la bienveillance et l’attention portée à chacun quel qu’il soit, à nous aussi ! »
· Sur l’enrichissement humain : « j’ai été touchée par les parcours de vie des pers, ça était une belle leçon de vie pour moi » « J’ai rencontré des gens formidables qui ont changé mon regard sur le bénévolat »
· Sur la posture professionnelle : « c’est bien d’accueillir de façon informelle dans un espace de convivialité et non derrière un bureau » « Ne pas poser de questions, être là avec eux à leur écoute »
· Sur les rapports de pouvoir : « J’ai pu casser cette barrière qu’il peut exister entre les travailleurs sociaux et leur public » « Dans un contexte où nous sommes à égalité, dans une relation d’horizontalité » « ne pas fliquer, ne pas infantiliser, ne pas juger » « Invisibilisées par la société, ces personnes trouvent à Magdala une place à part entière de citoyen » « j’ai compris qu’on a beaucoup à apprendre d ‘elles »
· Sur le projet du prochain stage : « j’emmènerai avec moi des valeurs de partage, de fraternité et de respect » « un regain d’humanité et d’humilité »
Quant à moi formatrice, je retiendrai de cette expérience pédagogique 3 moments marquants dans l’apprentissage des étudiants, à savoir 3 temps de relecture collective de l’expérience vécue tendant à relier le soi professionnel et le soi personnel : 1) quand la question du genre impacte la rencontre 2) quand le sentiment d’expertise (qui appelle la performance) s’avère un frein au plaisir d’être ensemble 3) quand les reproches liés aux représentations de l’AS s’immiscent dans la rencontre
Questions pédagogiques en suspens
Comment guider la démarche d’apprentissage des étudiants en immersion sans orienter leurs découvertes ? Au fil des années j’ai allégé les fiches-consignes pour finir par y renoncer complétement cette année car les étudiants exprimaient leurs difficultés à s’en détacher pour vivre l’instant présent. J’y suis revenue à l’ISL avec les étudiants pour guider leur prise de recul. Mais est-ce la bonne stratégie pédagogique ? n’y a-t-il pas un risque d’appauvrissement de leurs observations comme ressources pour leur apprentissage ?
J’ai rencontré quelques difficultés à alimenter la réflexion des étudiants par des articles universitaires. J’en ai même remplacé certains par des exemplaires du journal de Magdala, articles bien plus investis par les étudiants il est vrai. Pourtant je me pose la question de l’articulation réelle entre les savoirs expérientiels, professionnels et les savoirs académiques ; ces 3 types de savoirs me semblant indissociables et contributifs de la formation diplômante des AS qui est maintenant reconnue au grade de licence universitaire.
Les modalités de l’évaluation chez les étudiants des compétences professionnelles acquises, en termes principalement de postures et d’identités professionnelle, restent probablement aussi à améliorer. Ce n’est pas simple en effet d’objectiver les bénéfices de l’expérience vécue à partir du référentiel métier du DEAS…
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