Introduction
Les métiers du travail social regroupent un ensemble de métiers et de pratiques professionnelles à destination des personnes en situation de vulnérabilité, de précarité, de handicap, en difficulté sociale. La formation des travailleurs sociaux nécessite l'acquisition de connaissances et de compétences en relations humaines et en communication. Ces compétences s'acquièrent tout au long du parcours de la formation préalable à l'exercice du métier, notamment lors des stages professionnels qui se réalisent en alternance avec les enseignements théoriques.
Les équipes pédagogiques privilégient spontanément le format présentiel pour la partie théorique. La nécessité de sentir l’engagement et la motivation des apprenants en formation, de palper l’intensité d’une réflexion à l’œuvre ou encore l’essence d’un débat autour d’une question éthique par exemple sont des contextes de formation qui semblent requérir le traditionnel face-à-face.
Pourtant les enseignements théoriques ne suffisent pas toujours à préparer les professionnels aux réalités de terrain et parallèlement une immersion professionnelle trop rapide peut s’avérer délicate, risquée et entraîner des conséquences irrémédiables. La moyenne d’âge des nouvelles générations qui entrent en formation de travail social est en nette diminution. Capter l’attention des apprenants parfois éloignés de la réalité des terrains professionnels est nécessaire et déterminant à bien des égards.
L’évolution de notre société et celle des technologies numériques entraînent depuis plusieurs années une évolution du rapport au savoir. En 2015, l’institut régional du travail social Hauts-de-France (IRTS HDF) a pris un virage andragogique numérique sans précédent afin d’exploiter les formats numériques et virtuels en formation. Deux événements en sont à l’origine : le terrain et le tarot.
1 - Le virage andragogique numérique
Le terrain
En décembre 2015 lors d’une réunion pédagogique en présence d’employeurs, nous relevons le sentiment des établissements et services médico-sociaux présents, qu'un nombre croissant d’apprenants ne semble plus acquérir certaines connaissances majeures du champ professionnel. De la même manière, plusieurs professionnels nouvellement diplômés semblent ne pas avoir acquis l’ensemble des bases nécessaires.
Si tous les apprenants ne réalisent pas des parcours de formation identiques, ils ne montrent pas non plus une motivation et un investissement égaux dans l’apprentissage. Il est impossible de se résoudre à ces seuls constats pour justifier les écarts observés. Pas question non plus de céder à la trop facile tentation d’invoquer un éventuel effet générationnel visant à dévaluer l’engagement des étudiants actuels par rapport à celui des professionnels “d’avant”.
Au-delà du fait que chaque journée de formation ne capte pas de la même manière les promotions apprenantes, chaque apprenant de ce collectif n’a pas les mêmes dispositions et la même attention du fait par exemple de son affinité avec le cours du jour ou avec l’intervenant.
Le tarot
A la même période, nous constatons que de plus en plus d’apprenants sont connectés pendant les cours. Certains prennent des notes alors que d’autres consultent leurs messageries ou encore les réseaux sociaux. Bien que ce type d’agissement soit connu, il n’en reste pas moins dérangeant. Le plus déroutant fût de surprendre au fond d’un amphithéâtre, une personne en train de jouer au jeu du tarot. S’il est bien connu que certains peuvent faire plusieurs tâches en même temps, nous pouvons faire l'hypothèse qu’une partie des enseignements lui échappe à cet instant. Il est alors fort probable que cette personne rejoindra la catégorie des jeunes diplômés dont les employeurs regrettent le manque de connaissances.
Un établissement de formation doit-il faire le deuil des inattentifs et considérer qu’en formation d’adultes la responsabilité revient à chaque apprenant de s’engager dans sa formation ? L’IRTS HDF préfère assumer une partie des responsabilités en jeu. Si la motivation et l’engagement des apprenants sont déterminants, il n’est pas envisageable de s’en contenter et de blâmer les apprenants inattentifs ou en difficulté. Nous nous inspirons du concept d’Andragogie et du principe d’apprenant adulte, lancé principalement par Malcolm Knowles . De la formation vers l’apprenance [...] de l’idée de transmission vers celle de facilitation , l’ensemble des réflexions sémantiques amène l’IRTS HDF à une redéfinition des rôles, des objectifs et des pratiques andragogiques.
Ce double déclic “terrain et tarot” entraîne un virage andragogique institutionnel. Les documents dactylographiés présentés en blocs indigestes, sans structure, sans idées clés ou illustrations ont montré leurs limites. Il en est de même pour les diaporamas dont les contenus visuels et la présentation orale sont identiques et redondants. Capter l’attention et mobiliser l’intérêt est un enjeu majeur qui repose à la fois sur l’efficacité des contenus de formation que sur les modalités de leur transmission. Si le savoir est de plus en plus facilement accessible, son organisation et sa compréhension efficace et durable restent du ressort des établissements d’enseignement et de formation.
2 - Le triptyque au cœur du projet andragogique numérique
Fort des multiples formations réalisées pour monter en compétences sur l’andragogie numérique, l’IRTS HDF et sa marque Challenges HDF doivent faire des choix méthodologiques, fixer un processus et écrire son guide andragogique. Le mirage du numérique magique, moderne, brillant ou encore économique est volontairement laissé de côté au profit d’un objectif unique, donner l’envie d’apprendre.
Trois principes fondateurs sont actés dans la formation ouverte et à distance de l’IRTS HDF : Capter, Ancrer et Remédier.
Nous élaborons des outils clés visant à doper le duo sensations-émotions . A partir d’une interrogation de départ, nous racontons une histoire dans un parcours ludique traversé par des effets de surprise et des interactions.
Premier principe : Capter l’attention
Les apprenants sont de plus en plus connectés, habiles avec les nouvelles technologies. Dans le même temps, les savoirs mis à disposition des apprenants sont parfois uniformes, austères ou peu motivants.
Les formations en travail social gagnent à être dotées de contenus de formation numériques et audiovisuels asynchrones. Pour cela deux conditions sont à respecter : Accrocher l’apprenant et le maintenir attentif. Dès le début d’un module numérique l’accroche doit être particulièrement travaillée afin de capter rapidement l’attention. Les premières minutes d’une formation sont déterminantes. Une fois l’apprenant accroché, le plus difficile reste à faire, maintenir son attention. Il est indispensable d’interagir avec l’apprenant et de le rendre régulièrement acteur tout au long du module de formation. En outre, l’interaction régulière avec l’apprenant limite le risque de l'illusion de maîtrise et le décrochage.
Le format asynchrone permet à chaque apprenant d’accéder à sa formation dans une temporalité autonome et à un rythme adapté. Il est possible de réaliser le module numérique en plusieurs fois ou encore de re-visionner les contenus sans limite. Pour l’établissement de formation l’intérêt réside également dans le principe de capitaliser ces contenus et les utiliser de façon transversale à différentes formations et sur plusieurs années.
Les formats peuvent prendre la forme de vidéo, texte, interview, quiz, forum, … Une succession répétée d’un seul format peut lasser et provoquer de l’inattention, du décrochage. L’alternance et la variété des formats est donc indispensable pour maintenir l’attention de l’apprenant.
C’est donc l’accroche, l’interaction, la durée, la variété et l’alternance des formats des capsules d’un parcours de formation asynchrone qui permet de capter l'attention.
Deuxième principe : Ancrer la mémoire
Les sciences cognitives démontrent que nous ne sommes pas tous égaux en matière de mémorisation . Certains individus assimilent et mémorisent plus facilement que d’autres. Non seulement nous n’avons pas tous les mêmes prédispositions innées mais nous n’avons pas non plus le même intérêt ni la même attention lors d’un temps de formation, du fait de préoccupations diverses et variables qui appartiennent à chacun.
Sans verser dans le neuromythe VAK laissant croire que certains individus seraient prédisposés à un apprentissage visuel, auditif ou kinesthésique, il convient de reconnaître que des préférences d’apprentissage existent et d’en tenir compte .
Notre postulat est de stimuler les capteurs visuels et auditifs de façon complémentaire afin d’optimiser la capacité de mémorisation. Les transpositions graphiques viennent illustrer les mots importants et renforcer les idées clés sur lesquelles nous voulons appuyer, ancrer la mémoire de l’apprenant. Notre modèle est basé sur l’usage de quatre principaux formats : l’intervention filmée complétée ; le motion design ; le texte illustré ; l’interview.
L’objectif est également de permettre à l’apprenant adulte de développer son autonomie et sa capacité d’apprendre à apprendre nécessaire pour assurer un apprentissage tout au long de la vie .
Nous constatons que la combinaison de ces formats asynchrones mis à disposition des apprenants réduit les risques de décrochage en formation. Bien entendu il n’est pas souhaitable d’appliquer ces formats sur un pourcentage trop important des heures de formation. Nous préférons 20% des heures de formation réalisées à partir de ces formats efficaces, à des fins andragogiques plutôt que davantage à des fins économiques notamment.
Troisième principe : Remédier le numérique en présentiel
Les formations numériques asynchrones ne s’auto-suffisent pas. Si apprendre de façon autonome à distance rend les parcours de formation flexibles, les risques de décrochage et d’incompris sont importants. En outre, les échanges et les questionnements consécutifs à un enseignement sont indispensables.
Nous établissons le principe de classe inversée (et non renversé) comme une condition de l’efficacité et la réussite de la FOAD . Le modèle de classe traditionnelle traduit par un enseignement en présentiel suivi d’un temps de devoirs et d’exercices à distance, à la maison, est inversé. Dans un premier temps de formation, les séquences de formation asynchrones sont visionnées en amont d’un second temps nommé « remédiation présentielle ». Autrement dit, l'apprenant consulte à distance, à son rythme, de façon individuelle et autonome, des contenus de formation transmissifs et théoriques. Puis dans un second l’apprenant assiste à un temps de formation en présentiel et en collectif, afin de questionner, débattre, prolonger et compléter le module consulté à distance. Ce temps de remédiation permet de reprendre les incompréhensions, de mettre en perspective et de mettre en sens les éléments théoriques étudiés à distance. Philippe Carré complète ce principe : “Apprendre par soi-même ne veut pas dire apprendre seul·e [...] les pratiques apprenantes sont toujours des pratiques sociales, où les moments de solitude ne sont qu’un aspect nécessaire au bon déroulement des apprentissages” .
Ce principe de remédiation permet de construire à partir des questions que se posent les apprenants. Il contribue de ce fait à renforcer l’accroche et la motivation de l’apprenant mais également à optimiser l’ancrage mémoire.
3 - L’immersion professionnelle virtuelle (IPV)
Les enseignements théoriques ne suffisent pas toujours à préparer les professionnels aux réalités de terrain et parallèlement une immersion professionnelle trop rapide peut s’avérer délicate, risquée et entraîner des conséquences irrémédiables. L’approche, les gestes et les mots nécessaires pour entrer en relation ne s’improvisent pas. Comment appréhender le terrain avant de s’y rendre ?
L’IRTS HDF développe le concept d’immersion professionnelle virtuelle (IPV) à la croisée des chemins entre réalité virtuelle ludique et réalité professionnelle formative. A première vue, le monde de la réalité virtuelle ne semble pas spontanément compatible avec les formations en travail social. Le virtuel ludique peut sembler bien antagoniste à la réalité et à la complexité des relations humaines.
Philippe Carré rappelle qu’en formation l’intérêt individuel (dispositionnel) prend le pas sur l'intérêt situationnel (contextuel). Les mécanismes attentionnels endogènes semblent plus efficaces sur les mécanismes exogènes, sauf en cas d’émotion exceptionnelle .
Au point de jonction entre l’attention endogène et exogène, nous élaborons des capsules immersives au plus proche des réalités professionnelles. L’objectif est de permettre aux apprenants de s’immerger dans des situations professionnelles complexes, de les expérimenter plusieurs fois, sans risque et de mémoriser les bons réflexes. Les scénarios immersifs sont élaborés avec des professionnels de terrain afin d’exposer les apprenants à des situations formatives telles que le manque d’écoute, la précipitation, la maladresse, l’erreur d’interprétation ou encore le refus d’être aidé.
Dans une IPV, l’expérience vécue semble réelle à partir d’images filmées avec une caméra 360° dans des conditions réelles. Les acteurs de l’immersion s’adressent à l’apprenant, elles le regardent dans les yeux. Les émotions sont au rendez-vous et nous connaissons leurs bénéfices dans le processus de cognition . Les réactions et interactions engagent l’apprenant dans un processus de mémorisation efficace .
L’enseignement théorique est ainsi complété par des immersions professionnelles virtuelles. L’impression de réalité vécue et les émotions ressenties entraînent au niveau du cerveau un ancrage mémoire puissant et durable. L’apprentissage théorique et pratique est complété par l’apprentissage à partir d’immersions virtuelles. Une alternance 2.0 en quelque sorte. Les retours des apprenants soutiennent le développement des IPV.
Conclusion
Quoi qu’il en soit des volontés et des possibilités de développer les pratiques numériques andragogiques au sein d’un établissement de formation, l’enjeu de tout enseignant doit rester celui de favoriser autant que faire se peut la rencontre entre d’une part les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être et d’autre part l’apprenant.
Les pratiques numériques andragogiques ne sont pas magiques. Elles constituent un outil complémentaire dans la boîte à outils des enseignants. En parallèle, elles entraînent de la flexibilité dans le parcours de formation des apprenants mais également de la visibilité et de l’attractivité pour les métiers du travail social.
Le format numérique doit trouver sa place tout en restant au service des études, des apprenants et du leitmotiv : donner l’envie d’apprendre, c’est notre métier !
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