Fiche Documentaire n° 2324

Titre ACTUALITÉ DES AUTODIDACTES
OU QUAND LA FUITE RIME AVEC LA CONSTRUCTION DE SAVOIRS

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l'auteur principal

Auteur(s) HOREMANS Jean-François
SCHMIDT Alain
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

ACTUALITÉ DES AUTODIDACTES
OU QUAND LA FUITE RIME AVEC LA CONSTRUCTION DE SAVOIRS

Les autodidactes tiennent historiquement une place non négligeable dans la production des savoirs. Experts en construction de réseaux stratégisés et mis au service d'une course à double bande pour chaque coureur, l'une étant destinée à combler son inextinguible besoin de comprendre, l'autre à fuir ses difficultés existentielles, ces hyperactifs du savoir en construction voient désormais leurs parcours, moyens, sublimations, challenges et perspectives perpétuellement remis en question par une évolution technologique et sociétale en accélération constante et toujours davantage panachée d'individualisme et d'individuation.

Se pose désormais la question de la place, de l'identité sociale, de la marge de manœuvre, des perspectives et des possibles de ces constructeurs de savoirs et d'auto-création. S'interroge tout autant l'éthique d'une mise à disposition du plus grand nombre des ressorts prioritairement élaborés par quelques-uns afin de prévenir et de sublimer autant que faire se peut leurs blessures.

La communication proposée s'appuie, outre une thèse de doctorat et une documentation conséquente, sur l'analyse en mode panoptique de différents parcours, entretiens et ouvrages autobiographiques autocryphes. Elle propose, après un bref rappel des cadres sociétal et historique, un questionnement, puis une mise en tension et en perspective des éléments souvent contre-intuitifs qui caractérisent les autoconstructeurs de savoirs et de soi dans une époque où le consommationnisme stimule et fragilise simultanément peut-être plus que jamais les liens d'affiliation et les structurations identitaires.

Bibliographie

Livres
AMOUDRU N., Apprentissage et identité sociale – Un parcours diversifié, ESF, Collection Pratiques & enjeux pédagogiques, 2000
BANDURA A., Auto-efficacité – Le sentiment d’efficacité personnelle, De Boeck, 2003
BERGIER B., FRANCEQUIN G., La revanche scolaire des élèves multiredoublants, relégués, devenus superdiplômés, Eres, 2005
CYRULNIK B., POURTOIS J.-P., Ecole et résilience, Odile Jacob, 2007
EDIN V., HAMMOUCHE S., Chronique de la discrimination ordinaire, Folio, 2011
GOFFMAN E., Stigmate – Les usages sociaux des handicaps, Ed. de Minuit, 1975
HENRI-PANABIERE G., Des « héritiers » en échec scolaire, La Dispute, 2010
HOREMANS JF, Aspects normatifs des parcours autopraxéologiques à caractère (non) résilient, thèse de doctorat, ULB, 2010
HOREMANS JF, SCHMIDT A, Pratiquer une pédagogie de la rencontre en éducation, Chronique sociale, 2013
KAUFMANN J.C., L’invention de soi – Une théorie de l’identité, Colin, 2004
MATTIUSSI L., Fictions de l’ipséité. Essai sur l’invention narrative de soi, Droz, 2002
MEIRIEU P., Repères pour un monde sans repères, DDB, 2002
MOISAN A., CARRE P., L’autoformation, fait social ? Aspects historiques et sociologiques, L’Harmattan, 2002
MUGNIER J-P., La promesse des enfants meurtris, Fabert, 2005
PEDROT P., DELAGE M., Identités, filiations, appartenances, PUG
POURTOIS J.-P., DESMET H., L’Education postmoderne, PUF, 2007
ROGEL T., Sociologie des supers-héros, Hermann, 2012
THALMANN Y.-A., Les gens heureux ne s'inquiètent pas de savoir si c'est vrai … Ils se racontent de belles histoires, Marabout, 2012
TREMBLAY N.-A., L’autoformation pour apprendre autrement, PUM, 2003
Articles
BEZILLE H., « La figure de l’autodidacte », in Former. Se former, Se transformer. De la formation continue au projet de vie, Sciences Humaines, Hors-série, n° 40, 2003
HERWIG U., Le soi, théâtre du changement, « Cerveau & Psycho », 2009, n° 36
JARDIN E., L’autoformation, une auberge espagnole, in « Sciences humaines » hors-série n° 40, 2003

Présentation des auteurs

Docteur en Sciences politiques et sociales, Éthologue, Maître en Management public et en Sciences du Travail, J-F. Horemans est notamment Collaborateur scientifique près l'Unité de Psychologie des organisations (laboratoire de recherche de Michel Sylin, ULB), il enseigne notamment la Psychopédagogie et la Médiation scolaire à l'IESPCF Namur.

Responsable d’une cellule « Achats », le jour, au Service Public de Wallonie et, le soir, Chargé de cours dans différentes écoles de Promotion sociale de la Communauté Wallonie-Bruxelles, Alain Schmidt enseigne le Management stratégique, la Communication et, notamment, les principes liés aux politiques Qualité. Titulaire d’une Maîtrise en Sciences du Travail obtenue à la Solvay Business School de Bruxelles et du CEFUTS, il consacre une grande partie de son temps à l’étude des problématiques liées à la désaffiliation sociale et des processus de réinsertion qui en découlent.

Communication complète

1. En guise d'introduction

Les autodidactes tiennent historiquement une place non négligeable dans la production des savoirs. Experts en construction de réseaux stratégisés et mis au service d'une course à double bande pour chaque coureur, l'une étant destinée à combler son inextinguible besoin de comprendre, l'autre à fuir ses difficultés existentielles, ces hyperactifs du savoir en construction voient désormais leurs parcours, moyens, sublimations, challenges et perspectives perpétuellement remis en question par une évolution technologique et sociétale en accélération constante et toujours davantage panachée d'individualisme et d'individuation.

Se pose désormais la question de la place, de l'identité sociale, de la marge de manœuvre, des perspectives et des possibles de ces constructeurs de savoirs et d'auto-création.

S'énonce enfin, mais peut-être surtout, la question, quasiment vitale aujourd'hui, de la transposabilité – artificielle par nature – à un autrui ne justifiant pas a priori d'un parcours à caractère autodidactique, de leurs caractéristiques et stratégies défensives dans une époque où les difficultés économiques ébranlent à une vitesse parfois stupéfiante des vies professionnelles patiemment construites tandis que le consommationnisme stimule et fragilise simultanément peut-être plus que jamais les liens et les structurations identitaires.

2. Tentative d'imprégnation en milieu dépressionnaire

L'annonce macabre tombe en janvier 2009. Les ouvriers de la Manufacture de Faïencerie Royal Boch, à La Louvière, accusent le coup. L’entreprise pour laquelle ils ont tout donné, pour beaucoup depuis leur adolescence, ferme ses portes. Pour la plupart, l’usine et leur vie se confondent.
Que reste-t-il, dès le couperet tombé, aux travailleurs sacrifiés sur l’autel de la rentabilité et de la production mondialisée, excepté le souvenir d’une usine qui, sous quatre années, doit s'effacer au bénéfice d'un centre commercial rehaussé, cynisme de l’histoire, d'un musée de la faïence et d'une boutique associée qui vendra dès lors les superbes pièces produites ... à Taïwan et au Portugal ?
Les blessures narcissiques s'infligent, se multiplient, sidèrent puis déciment. Comment s'en relever ? Comment accomplir le travail de deuil, voire de sublimation, que devrait appeler la fermeture acquise ?
Comment se préserver en outre des effets simultanés de traumatisation et de victimisation secondaires qui s'alimentent, pour l'une, d'une absence perçue de prise en considération suffisante de sa souffrance par autrui, pour l'autre, de la sensation castratrice de se trouver réduit, au fil des reportages journalistiques, des commentaires qu'ils suscitent et de la réception continue de messages compatissants, à la position incapacitante de « victimes » professionnelles ?
Le ressenti, sous ses multiples facettes, est d'autant plus rude que Royal Boch est profondément associé à la vie, à l'identité de La Louvière, voire d'une large majorité de Louvièrois. Lorsque ferme l'usine, s'écroule le symbole et pour beaucoup, leurs repères. À la sidération succède rapidement la dévastation des blessures narcissiques, ce mal de description encore très récente, mais dont bon nombre de ceux qu'il atteint ne se relèvent pas.
Passé de 1500 unités dans les années septante à 46 en 2009, au moment de la fermeture, le personnel de l'ancien géant se devine aujourd'hui à l'ombre de 8 individus poursuivant le combat pour la reconnaissance de leurs droits et la restauration de leur dignité ; huit dont deux seulement ont depuis retrouvé un emploi.
Quels liens tisser entre leurs démarches et notre analyse de parcours néo-autodidactiques ?
3. Le stratagème du phénix

La mise en scène de la vie à l'usine ouvre au dernier quarteron de faïenciers la voie a priori aléatoire de l'expression théâtrale.

Préalablement à l'écriture, se bousculent les moments de recherches, des portes auxquelles on frappe jusqu'aux livres qui se dévorent. C'est ainsi que s'enchaînent les rencontres avec, outre les historiens, les spécialistes du droit du travail, les chercheurs qui dissèquent les effets collatéraux du non-travail, les ouvriers plus âgés toujours porteurs du savoir magnifique lié aux métiers disparus parce qu'absorbés par une technologie tous aussi cannibale qu'amnésiante, les scénaristes, les metteurs en scène, bref, tous ceux qui, de la faïencerie à l'art dramatique, peuvent nourrir des interlocuteurs doués d'une soif de savoir inextinguible.

Envisagé depuis une position méta, ce nouveau parcours d'apprentissage donne l'illusion d'une pédagogie par projet. Daniel Adam, Directeur de la Compagnie Maritime, participe à sa coordination. Son action sur le terrain de l’action sociale est, parallélisme interpellant, le fruit d'un parcours non-concluant en usine auquel succéda l'apprentissage du théâtre avant un retour sérendipe vers le point de départ professionnel inachevé aux fins d'y travailler à la réalisation d'une pièce, « La dernière défaïence », aux côtés de ceux non loin desquels il avait, quelques années plus tôt, quitté un autre navire.
Que nous apprennent son et leurs parcours à l'ombre d'une usine dont il ne reste pratiquement plus aujourd'hui qu'un souvenir sur planches ? Que cette sublimation à caractère théâtral leur permet de demeurer debout. Que leur discours, initialement à tendance exclusivement revendicative, est devenu participatif, porteur d'une volonté d'informer autrui, de partager les informations tirées de l'expérience vécue, d'offrir à leurs interlocuteurs une véritable rencontre-addition lors de chaque représentation théâtrale. Qu'à l'écroulement initial a succédé la volonté tenace d'une reconstruction individuelle et collective de soi qui s'alimente et se structure notamment au départ des potentialités offertes par l'art-thérapie.
Point commun des démarches entreprises, la détermination à nommer ses souffrances, à les désigner par leurs noms, à passer de la sorte du statut de celui qui les subit à la position de celui qui s'en inspire, sachant toujours, même avec difficulté, les garder à distance pour se préserver du double danger de la victimisation et de la traumatisation secondaires. Vaincre ses blessures narcissiques suppose une capacité permanente d'assurer une réarchitecturalisation de soi.
Et tel le phénix, l'autodidacte, fût-il en herbe, renaît progressivement de ses cendres.
4. Le butin dérobé

Par quel prodige le phénix renaît-il ? Nombre d'auteurs semblent estimer que les outils de l'autodidacte, de celui qui apprendrait donc de manière détournée, quasiment illégitime, constituent un véritable butin.

C'est que l'autodidacte, dans la position initiale de celui qui devait en effet apprendre en marge des institutions scolaires, s'est progressivement comporté comme un consommateur sans manière, un rustre assis sans façon à la table des matières, un dévoreur de connaissances avec les doigts, un sans-gêne qui se sert à pleines mains sales dans les plats sous le regard dégoûté de présumés bégueules, un mal éduqué qui harponne directement le Chef en cuisine, niant au passage le maître d'hôtel. C'est que l'autodidacte est parfois moins qu'un gourmet, un insatiable mort de faim, non pas tellement que son estomac défaillirait s'il n'était saisi d'un tel afflux de nourriture, mais qu'un arrêt subi de mastication intempestive confronterait, potentiellement sans anesthésie, ce ventre sur pattes aux blessures narcissiques qu'il n'entend pas affronter, persuadé que, bien plus que « simplement » mortifères, elles lui seraient mortelles.

Pour que jamais nourriture – en termes d'apprentissage s'entend – ne manque à sa table, l'autodidacte a donc, tel un prédateur, multiplié ses outils, quasiment ses armes, de la stratégisation de ses contacts à l'élaboration de réseaux au sein desquels puiser ses ressources indispensables, du renouvellement constant des questions qui alimentent la fuite en avant d'une perfection prétendument jamais atteinte, jusqu'à la capacité progressivement acquise de contraindre les interlocuteurs institutionnels, ceux dont il se sent depuis toujours le mal-aimé, à reconnaître en lui davantage que les titres et mérites que ces mêmes interlocuteurs, supposément toujours, lui avaient précédemment refusés.

Progressivement, l'exclusion, la déconsidération perçues, le rejet ressenti à son propre égard de la part d'autorités institutionnelles ou économiques, laissent place, faute de se sentir jamais prêt à affronter ses souffrances, à l'appétit sans fin d'ogres insatiables, de dévoreurs du monde, que ne peut effrayer qu'une pourtant saine faim de soi.

À l'ombre de feu Royal Boch, lorsque s'éteindront les spots sur « La dernière défaïence », huit hommes debout, fourbus par le marathon des démarches quasiment proprioceptives qui animent, protègent mais épuisent les autodidactes, seront inévitablement confrontés aux blessures narcissiques laissées là quelques années plus tôt. La course autodidactique folle leur aura toutefois apporté le bénéfice de la distance, plus exactement encore de la mise à distance, de la position méta depuis laquelle on peut parfois mieux négocier avec soi-même, rendre à chaque circonstance son exacte dimension et recomprendre enfin tant la leçon de Goffman – « Vous avez des béquilles, faites-en des clubs de golf ! » – que le chemin de Bandura qui, sur fond d'agentivité triadique réciproque, remet le pied à l'étrier ceux qui, se sentant de nouveau appréciables, appréciés dans le regard des autres, retrouvant une confiance dans leurs propres compétences, comprenant de nouveau leur utilité au sein de la société dont ils sont membres, y retrouvent pleinement leurs potentialités, progressivement leur place au prix d'avoir finalement pu vaincre leur stress émotionnel et de retrouver, tel un exercice salvateur de mythopoïèse, les justifications internes d'un passé enfin réapproprié.

Alain SCHMIDT, Jean-François Horemans,

Résumé en Anglais


Non disponible