Fiche Documentaire n° 4545

Titre La parole des femmes : point aveugle des politiques sociales de solidarité envers les femmes victimes de violences conjugales en France ?

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l'auteur principal

Auteur(s) JACQUOT Mélanie
THEVENOT Anne
METZ Claire
 
Site de l'auteur http://ea3071.unistra.fr/qui-sommes-nous/enseignantschercheurs/claire-metz-2/ ( METZ Claire )  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

La parole des femmes : point aveugle des politiques sociales de solidarité envers les femmes victimes de violences conjugales en France ?

Cette communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche française interdisciplinaire visant à explorer les déterminants inédits à l’œuvre dans les violences conjugales, violences concernant tous partenaires intimes, passés ou présents, mariés ou non, vivant ou non ensemble. Celles-ci, par leur ampleur et par leur gravité, alarment depuis les années 2000 l’opinion et les pouvoirs publics (enquête Enveff, 2000). Un élan de solidarité envers les femmes victimes la promotion et le développement de politiques de prévention, toutefois sans que l’on puisse réellement repérer une régression significative du phénomène en France ; ce qui ne paraît pas être le cas dans d’autres pays (De Neuter, 2012 ; Jaspard, 2007). En effet, d’après l’enquête de 2014 menée par l’Agence Européenne des Droits Fondamentaux "9,5% des femmes de France métropolitaine ont subi des violences conjugales" (Guillam, Ségala, Cassagne, François, et Théot, 2015, p 388). La prévention de celles-ci comme la prise en charge des victimes offrent donc un champ d’investigation complexe et nécessaire : peut-on penser que l’organisation des services sociaux, la mise en œuvre de ces politiques de solidarité et de protection des femmes échoueraient à enrayer ces violences ? Pourquoi ? Est-il possible de repérer certains facteurs de ces butées ?
La violence conjugale peut être appréhendée comme la trace possible de l’organisation majoritairement patriarcale des sociétés, indice des rapports sociaux de sexe entre les hommes et les femmes dans le monde. Mais si le genre et l’étude de ses effets sur les modalités d’identification subjective est à considérer de près, ils sont à penser étroitement liés à la manière dont s’est noué le lien conjugal électif présent ou passé entre les partenaires intimes et à la spécificité de leurs violences conjugales (Metz et Thevenot, 2015). Du point de vue subjectif "la psyché reprendrait, dans ses formes d’édification, l’organisation sociopolitique" (Ayouch, et Salomao de la Plata Cury Tardivo, 2013)
C’est ainsi l’occasion de s’appuyer sur l’outil d’analyse qu’est le genre et la notion de vulnérabilité, nécessaires pour penser les processus historiques, sociaux, subjectifs liés aux violences au sein du couple. Le corps féminin est en ligne de mire dans les violences, corps exposé car corps de femme, souvent destinataire de la violence. Ce corps intime et corps social en même temps, nous conduit à chercher à comprendre comment dans une société donnée se sont mises en place la perception et la construction des corps (Legouge, 2010) ainsi que les effets de leur rencontre dans la construction du lien conjugal et de ses violences.
A partir de toutes ces interrogations, et du constat que si les professionnels se font les porte-parole des femmes, peu de femmes se font entendre elles-mêmes, nous avons souhaité les rencontrer et écouter leur parole. Sur le plan méthodologique, nous avons mené 36 entretiens semi-directifs avec des femmes hébergées dans des foyers d’urgence, étudiés selon la méthodologie de l’analyse de contenu et du discours, ainsi qu’au moyen des logiciels d’analyse de données textuelles Tropes et Iramuteq. L’analyse des entretiens nous a permis d’entendre que des facteurs psychologiques identifiables, notamment la répétition transgénérationnelle des violences, des situations de détresse vécues dans l’enfance, l’intériorisation des normes genrées, peuvent faire obstacle à leur désir de changement, à la reprise en main de leur vie, et au final à la solidarité bienveillante des professionnels. Le défi pour les politiques sociales et leurs acteurs est alors de concilier cette prise en compte des facteurs psychologiques, les questions du genre, de la construction des corps, de la vulnérabilité en tant que les enjeux qu’elle véhicule sont porteurs d’effets sur les populations ainsi désignées.

Bibliographie

Ayouch, T., & de la Plata Cury, L. S. (2013). Violences conjugales, violences théoriques. La psychanalyse à l'épreuve du genre. Cliniques méditerranéennes, (2), 19-34.
Boehringer, S., & Ferrarese, E. (2015). Féminisme et vulnérabilité. Cahiers du Genre, 58, 5-20.
De Neuter, P. (2012). Pourquoi un homme est-il si souvent un ravage pour sa femme ? Dans M. J. Grihom et M. Grollier (dir.), Femmes victimes de violences conjugales. Une approche clinique (p. 31-42). Rennes : PUR.
Guillam M.T., Ségala, C., Cassagne, E., François, C., & Thélot, B. (2016). Épidémiologie des violences conjugales en France et dans les pays occidentaux. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(22-23):385-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/22-23/2016_22-23_1.html
Jaspard, M. (2000). L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France. Paris, Ined.
Jaspard, M. (2007). Au nom de l'amour : les violences dans le couple. Informations sociales, 144, 34-44.
Jewkes, R. (2002). Intimate partner violence: causes and prevention. The lancet, 359(9315), 1423-1429.
Legouge, P. (2010). France. Jeune & Jolie: une presse pour les adolescentes. In : Les jeunes et la sexualité. Autrement. (pp. 144-151).
Metz, C., & Thevenot, A. (2015). Le lien mère-enfant à l’épreuve des violences conjugales. Cliniques méditerranéennes, (2), 173-188.
Organisation mondiale de la santé (Éd.). (2013). Responding to intimate partner violence and sexual violence against women: WHO clinical and policy guidelines. Genève, Suisse: World Health Organization.
Rizk, C. (2010) Les auteurs d’actes de violences physiques ou sexuelles déclarés par les personnes de 18 à 75 ans en 2008 et 2009 d’après les résultats des enquêtes « Cadre de vie et sécurité ». Repères (1–9).
Wood, S. L. & Sommers, M. S. (2011). Consequences of intimate partner violence on child witnesses: a systematic review of the literature. Journal of child and adolescent psychiatric nursing, 24(4), 223-236.

Présentation des auteurs

Claire METZ
Psychologue clinicienne, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en psychologie et psychopathologie cliniques à l’Université de Strasbourg, elle mène depuis 2009 des travaux sur les violences conjugales selon une approche pluridisciplinaire en partenariat avec les institutions.
Anne THEVENOT
Professeure de psychologie clinique à l’Université de Strasbourg, psychologue clinicienne dans un centre de consultation infantile, elle mène depuis 2006 des recherches sur les problématiques familiales et s’est en particulier intéressée aux modalités contemporaines de la construction subjective.
Mélanie JACQUOT
Maîtresse de conférences en psychologie clinique à l’Université de Strasbourg, psychologue clinicienne. Ses travaux principaux concernent une population de sujets présentant à la naissance une malformation des organes génitaux telle qu’il est impossible de les assigner d’emblée fille ou garçon.

Communication complète

La parole des femmes : point aveugle des politiques sociales de solidarité envers les femmes victimes de violences conjugales en France ?

Cette communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche française interdisciplinaire regroupant des chercheurs en SHS (juristes, historiens, sociologues et psychologues) visant à explorer les déterminants inédits à l’œuvre dans les violences conjugales, violences concernant tous partenaires intimes. Si celles-ci, par leur ampleur et par leur gravité, alarment depuis de nombreuses années l’opinion publique française, la publication en 2000 de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes (Enveff) marque un moment fondateur dans la mobilisation des pouvoirs publics. La préoccupation montante autour de ces questions a amené le premier ministre de l’époque à la déclarer « grande cause nationale en 2010 » et dédier au 25 novembre une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Outre la mise en œuvre du premier plan de lutte contre ce type de violence permise par ce statut, cette mise en lumière témoigne également d’une volonté politique d’en faire « l’affaire de tous » (F. Fillon lors de son allocution en 2010). Ainsi, prise en charge et prévention ne relèvent plus seulement de la responsabilité des personnes impliquées mais concernent la société toute entière. Celle-ci se trouve alors placée en position de responsabilité et donc solidaire, car liée par un intérêt commun, de ces femmes violentées qui elles, sont alors envisagées comme vulnérables. C’est cette position de solidarité à laquelle est obligé le corps social en raison de cette vulnérabilité qui justifierait alors de l’engagement et du financement, par les pouvoirs publiques, des politiques et actions d’aides, de secours, de soutien, de prévention.
Or, malgré les plans d’aide successifs et les moyens engagés par la solidarité nationale on ne peut toutefois réellement repérer une régression significative du phénomène en France (De Neuter, 2012 ; Jaspard, 2007). En effet, d’après l’enquête de 2014 menée par l’Agence Européenne des Droits Fondamentaux "9,5% des femmes de France métropolitaine » (Guillam, Ségala, Cassagne, François, et Théot, 2015, p 388) subissent encore des violences conjugales, révélant un échec de ces politiques de solidarité au travers de l’organisation des services sociaux et de protection des femmes. Quelles sont les données qui ne seraient pas prises en compte, particulièrement en France, dans ces politiques sociales de solidarité envers les femmes victimes de violences ? C’est ce que nous nous proposons d’explorer en nous intéressant dans un premier temps aux représentations sociales françaises sur lesquelles ces politiques nationales reposent, représentations de la femme, de l’homme, du couple.
Les mouvements féministes ont largement contribué au développement de l’approche sociologique des violences conjugales qui propose de les appréhender comme la trace possible de l’organisation majoritairement patriarcale des sociétés, indice des rapports sociaux de sexe entre les hommes et les femmes dans le monde. Les outils d’analyse que sont le genre et la notion de vulnérabilité apparaissent ainsi nécessaires pour penser les processus historiques, sociaux, subjectifs liés aux violences au sein du couple. Il ne s’agit plus alors de considérer ces violences sous l’angle conjugal mais comme des violences faites aux femmes. Le corps féminin dans les violences est un corps exposé car corps de femme, souvent destinataire des coups et des injures de la violence. Ce corps intime et corps social en même temps, conduit à chercher à comprendre comment dans une société donnée se sont mises en place la perception et l’identité des corps (Legouge, 2010) ainsi que les effets de leur rencontre dans la formation du lien conjugal et de ses violences.
Cette approche a pour intérêt d’ouvrir sur de nouveaux questionnements quant à la manière dont s’est construite notre société mais aussi de renforcer l’idée selon laquelle la femme viendrait ici subir la domination masculine. On retrouve également, relayée par les médias, une schématisation du couple violent dans laquelle l’homme est d’emblée désigné comme l’auteur, la femme assignée à une place de victime. Ces représentations imprègnent largement toutes les politiques de prises en charge et de prévention, ciblées et exclusivement différenciées autour des signifiants « auteur » « victime », la prise en charge conjointe restant en France essentiellement inexistante.
Mais si le genre et l’étude de ses effets sur les modalités d’identification subjective sont à considérer de près, notre approche psychologique de ces questions nous amène à nous décaler pour penser leurs effets sur la manière dont s’est noué, subjectivement, le lien conjugal électif présent ou passé entre les partenaires intimes et à la spécificité de leurs violences conjugales (Metz et Thevenot, 2015). Il nous semble primordial de les appréhender comme conjugales car c’est résolument du côté du lien et de ses spécificités dans le contexte conjugal justement, que nous situons notre questionnement. Précisons encore que notre approche psychanalytique nous conduit à repérer ce qui se joue pour un sujet dans la singularité de chaque situation.
Nos premières recherches nous ont aussi montré que la mise en œuvre de ces politiques de prévention nécessite que les différents protagonistes, ici les femmes, puissent s’en saisir. Comment mettre en place une prévention adaptée si le vécu des premières protagonistes n’apparaît que rapporté par les différents professionnels qu’elles peuvent rencontrer ? En effet il est souvent difficile pour ces femmes de témoigner ; leur sentiment de honte (Ferrant 2004, Scotto di Vittimo 2012) mais aussi souvent la peur des représailles contribuent à les conduire au silence. Cependant il nous a semblé que sans le recueil de leur parole qui permet d’accéder à leur point de vue et aux enjeux psychiques à l’œuvre pour elles dans leur relation de couple, les politiques de prévention et de prise en charge risquaient de continuer à être peu efficaces. C’est pourquoi nous proposons d’interroger ce qu’il en est, pour ces femmes, de ces couples singuliers, de l’origine de leur formation et de ce qui pourrait les conduire à se trouver liés l’un à l’autre par ou malgré la perpétuation de violences qui parfois les mettent gravement en danger.

Méthodologie
Sur le plan méthodologique, nous avons mené 36 entretiens semi-directifs avec des femmes le plus souvent hébergées dans des foyers d’urgence et les avons étudiés selon la méthodologie de l’analyse de contenu et du discours, ainsi qu’au moyen du logiciel d’analyse de données textuelles Iramuteq. Comme le souligne Blanchet (2007), l’orientation non directive des entretiens permet d’accéder à des hypothèses inédites, ce qui était très important comme nous l’avons souligné pour cette problématique des femmes victimes de violences conjugales. Ainsi l’on passe de la recherche de réponses aux questions déjà prévues par les chercheurs, aux « questions élaborées par les acteurs » eux-mêmes, ici les femmes (p 10). La recherche qualitative ne prétend pas à une exhaustivité générale des résultats, cependant elle reste nécessaire et incontournable pour rendre compte de phénomènes complexes, tels qu’ici le lien de couple dans les violences conjugales. Par ailleurs, briser le silence favorise la sortie du cycle de violences (Sugg&Inui, 1992 ; Coeling&Harmann, 1997).

RESULTATS
Nos premiers résultats de recherche révèlent certes que les affects et conduites sont puissamment ancrés dans l’histoire infantile, cependant cet ancrage ne se réduit pas uniquement aux cas de répétition de violences physiques vues ou subies dans l’enfance. Ce qui opère dans le choix du conjoint et le maintien du lien dans le couple violent révèle bien d’autres aspects déterminés par les modalités relationnelles toujours singulières, à valeur traumatiques rencontrées dans l’enfance. Nous les repérons spécifiquement dans ces premiers résultats (Metz, Chevalerias, Thevenot, 2017) par l’expression de l’abandon et/ou du sentiment d’abandon laissant entendre une détresse affective précoce, mais aussi dans l’identification à une mère affligée ou soumise au conjoint, ou encore dans la soumission remémorée à un père exerçant une autorité oppressante.
Sont ainsi noués, dans ces processus identificatoires de la vie infantile, l’intériorisation d’imagos maternel et paternel et de leurs modalités relationnelles relevant à la fois de l’individuel et du collectif. En effet, nous retrouvons dans les paroles de ces femmes des images parentales prégnantes mettent à jour des relations à l’autre fortement marquées par la soumission à la culture et son rapport entre les genres. L’intériorisation de ces identifications nouées à des discours genrés comportant de manière plus ou moins explicite la soumission à l’homme, reste à traiter de ce fait aussi du point de vue sociétal. (Metz, Chevalerias & Thevenot, 2017). Mais au-delà des répétitions transgénérationnelles des violences qui ne sont pas inéluctables puisque « 72% des femmes ayant subi des sévices et des coups répétés lorsqu’elles étaient enfants ont été indemnes dans leur vie de couple de violences conjugales » (Jaspard, 2011, p 56), nous montrons que bien d’autres données infantiles jouent puissamment.

CONCLUSION
Ceci vient pour nous signifier que la question des violences conjugales ne peut trouver à se résoudre qu’en prenant en compte ce qui se joue dans l’intime des foyers. L’origine des maux que traversent ces personnes, paraît bien enraciné dans l’intériorisation d’une histoire infantile intégrant au cœur des conflits affectifs un rapport normé entre les genres qui vient donner consistance au rapport à l’autre.
Le défi pour les politiques sociales et leurs acteurs est alors de concilier cette prise en compte des facteurs psychologiques avec les questions du genre, de la construction des corps et de la vulnérabilité. La difficulté qu’ont ces femmes à quitter leur partenaire violent se révèle particulièrement importante quand il s’agit pour elles à la fois de se repositionner au regard de leurs modèles parentaux et des normes sociales et culturelles qui les entourent.
Il nous parait donc essentiel, pour envisager autrement les politiques sociales de solidarité envers les femmes victimes de violences conjugales en France que puissent être dénoués ces enjeux, sous peine de les voir rejoués sans trêve, au prix parfois de la vie des femmes. Une fois le silence brisé, ce sont les enjeux psychiques mis en évidence qui sont à délier, l’écoute de la parole des femmes en étant une des voies.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Blanchet, A. (2007). L'enquête et ses méthodes: l'entretien. Paris: Armand Colin.
Coehling, H. &Harmann, G. (1997). Learning to ask about domestic violence, Women’s Health Issues, 7(4), 263-268.
Ferrant A. Le regard, la honte et le groupe. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 2004;43:145-158
Jaspard, M. (2011). Les violences contre les femmes. Paris, La découverte.
Metz C, Chevalerias MP, Thevenot A (2017) Les violences dans le couple au risque d’en mourir : paroles de femmes [Domestic violence and deathrisk: Voices of women] Annales Médico Psychologiques, http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2016.10.011
Scotto Di Vittimo D. La honte au féminin... une réponse à la barbarie masculine ? In:Grihom MJ, Grollier M, editors.Femmes victimes de violences conjugales. Une approche clinique. Rennes: PUR; 2012. 85-91
Sugg, N.K. & Inui, T. (1992). Primary care physicians’ response to domestic violence: opening pandora’s box, JAMA, 267(23), 3157-3160. http://dx.doi.org/10.1001/jama.1992.03480230049026

Résumé en Anglais


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