Fiche Documentaire n° 5297

Titre Complexité des relations collaboratives lors de l’intervention : comment transformer la formation pour travailler ensemble dans une visée inclusive?

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) LANTEIGNE ISABEL
IANCU PENELOPIA
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

Complexité des relations collaboratives lors de l’intervention : comment transformer la formation pour travailler ensemble dans une visée inclusive?

Les intervenants dans la sphère du social œuvrent dans des milieux où les personnes ont à composer avec de multiples formes d’oppression qui brisent le tissu social et érodent la solidarité (Vandecasteele et Lefebvre, 2006). Les situations rencontrées dans l’exercice de leur pratique sont souvent des problèmes complexes (Green et McDermott, 2010; Sanger et Giddings, 2012) et difficiles à résoudre en silo, ce qui exige diverses formes de travail collaboratif avec des personnes, des familles, des communautés et des professionnels (Hudson, 2000; Stans, Stevens et Beurkens, 2013). Les contextes de collaboration constituent des espaces permettant de développer l’ouverture à l’autre et promouvoir le travail ensemble. Cette communication rejoint l’axe 1 qui s’intéresse aux enjeux et à la construction de vivre-ensemble et fera état des résultats partiels d’une recherche portant sur l’expérience de collaboration interprofessionnelle (IP) des travailleurs sociaux au Nouveau-Brunswick (N.-B.), Canada. Cette étude cherchait à saisir : a) les contextes d’intervention qui exigent une collaboration IP; b) la communication IP et la gestion de conflits; c) les stratégies pour résoudre des problèmes complexes; et d) les enjeux éthiques liés à la collaboration IP. L’originalité de notre étude provient de l’utilisation d’un cadre théorique basé sur les théories de la complexité et du chaos et d’un cadre multidimensionnel d’analyse de la collaboration IP. En raison de leur caractère complexe, non-linéaire et difficilement prévisible, les problèmes qui réclament l’attention des équipes IP exigent des habiletés spécifiques à la résolution de problèmes complexes, des connaissances spécialisées (Jonassen, 1997) et une bonne capacité de collaboration (Ge & Land, 2003; Iancu, 2014). Cette recherche se situait dans un paradigme interprétatif-compréhensif (Lessard-Hébert, Goyette & Boutin, 1996) et suivait une démarche de recherche qualitative (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques, Turcotte, Tard, & Deslauriers, 2000). Les participants à cette étude étaient des travailleurs sociaux (n=21) de trois régions du N.-B. Les outils de collecte des données étaient les entrevues semi-dirigées et les notes de terrain. L’analyse thématique a été utilisée pour le traitement des données. Les résultats préliminaires soulèvent des bénéfices de cette collaboration dont une meilleure coordination, moins de dédoublements des services et une plus grande accessibilité aux ressources pour les personnes accompagnées (Lanteigne et Iancu, 2018). Il y a cependant des défis liés à la complexité du processus d’intervention, aux enjeux éthiques, aux barrières culturelles, linguistiques et aux différences identitaires (Hall, 2005; Iancu, Lanteigne et Albert, 2017; Paré, 2010). Ces enjeux soulèvent un besoin de réfléchir à comment mieux former les étudiants et les professionnels au travail collaboratif (Comer et Rao, 2016; Lumague et al., 2006). Pour ce faire, la formation en travail social devrait inclure des savoirs afin de faciliter la collaboration avec les personnes accompagnées comme partenaires, tout en tenant compte des aspects identitaires qui traversent l’intervention. Cette formation doit également permettre aux étudiants d’apprendre à travailler avec d’autres intervenants vers des buts communs en négociant les différences professionnelles et personnelles (Lanteigne et Iancu, 2018; Mellin, Anderson-Butcher et Bronstein, 2011). Il est nécessaire d’outiller les étudiants afin qu’ils puissent sensibiliser les communautés quant aux diverses problématiques liées à l’oppression. Cela implique de former les étudiants pas seulement comme de futurs professionnels en travail social, mais aussi comme des citoyens (Reef, 1999) qui sont en mesure de déconstruire les stéréotypes et les préjugées, de lutter contre l’oppression, de retisser les liens sociaux et de rebâtir la solidarité dans une visée inclusive pour vivre ensemble (Savoie, Albert et Lanteigne, 2018).

Bibliographie

Comer, E. et Rao, S. (2016). Transforming social group work learning into competencies for interprofessional teams. Social Work with Groups, 39(1), 62-75.
Green, D. et McDermott, F. (2010). Social work from inside and between complex systems: Perspectives on person-in-environment for today’s social work. British Journal of Social Work, 40, 2414-2430.
Hall, P. (2005). Interprofessional teamwork: Professional cultures as barriers. Journal of Interprofessional Care, 19(1), 188-196.
Hudson, C.G. (2000). At the edge of chaos. Journal of Social Work Education, 36(2), 215-230.
Iancu, P., Lanteigne, I. et Albert, H. (2017). Documenter dans un souci de bienfaisance et de non malfaisance ou l’acte d’écrire de manière éthique. Travail social canadien, 19(1), 51 - 64.
Lanteigne, I. et Iancu, P. (2018). La collaboration interprofessionnelle au carrefour du travail social de groupe et de l’intervention familiale : regard sur les services intégrés au Nouveau-Brunswick. Groupwork (sous presse).
Lumague, M., Morgan, A., Mak, D., Hanna, M., Kwong, J., Cameron, C., Zener, D. et Sinclair, L. (2006). Interprofessional education: The student perspective. Journal of Interprofessional Care, 20(3), 246-253.
Mellin, E.A., Anderson-Butcher, D. and Bronstein, L. (2011). Strengthening interprofessional collaboration: Potential roles for school mental health professionals. Advances in School Mental Health Promotion, 4(2), 51-60.
Paré, L. (2010). La collaboration interprofessionnelle : une compétence à superviser en travail social. Intervention, 132, 36-43.
Reeff, J.-P. (1999). New assessment tools for cross-curricular competencies in the domain of problem solving. Final report of project ERB-SOE2-CT98-2042. Récupéré de : https://cordis.europa.eu/docs/publications/7078/70781411-6_en.pdf
Sanger, M. et Giddings, M.M. (2012). A simple approach to complexity theory. Journal of Social Work Education, 48(2), 369-376.
Savoie, L., Albert, H. et Lanteigne, I. (2011). Mythes et mensonges sur les femmes en situation de pauvreté en milieu rural : lever le voile sur des réalités de femmes actrices de leur vie. Nouvelles pratiques sociales, 30(1), 1-17.
Stans, S.E.A., Stevens, A.J.G. et Beurskens, A.J.H.M. (2013). Interprofessional practice in primary care: development of a tailored model. Journal of Multidisciplinary Healthcare, 6, 139-147.
Vandecasteele, I. et Lefebvre, A. (2006). De la fragilisation à la rupture du lien social : Approche clinique des impacts psychiques de la précarité et du processus d’exclusion sociale. Cahiers de psychologie clinique, 1(26), 137-162.

Présentation des auteurs

Isabel Lanteigne, Penelopia Iancu, Marie-Pier Rivest, Elda Savoie, Marie-Lyne Caron, et Hélène Albert – École de travail social, Université de Moncton, Canada. Cette équipe de recherche s’intéresse à la collaboration interprofessionnelle, la résolution de problèmes complexes et la formation en travail social.

Communication complète

Les intervenants dans la sphère du social œuvrent dans des milieux où les personnes ont à composer avec de multiples formes d’oppression qui brisent le tissu social et érodent la solidarité (Vandecasteele et Lefebvre, 2006). Les situations rencontrées dans l’exercice de leur pratique comportent souvent des problèmes complexes (Green et McDermott, 2010; Sanger et Giddings, 2012). En raison de leur caractère complexe, non linéaire et difficilement prévisible, ces problèmes réclamant l’attention des professionnels exigent des habiletés spécifiques à la résolution de problèmes complexes, des connaissances spécialisées (Jonassen, 1997) et une bonne capacité de collaboration (Ge et Land, 2003; Iancu, 2014). Inspirée de l’École de Santa Fe quant à la question d’ordre et de désordre dans les systèmes complexes et des idées de Prigogine sur la non-linéarité, l’inconnu et l’équilibre, les théories de la complexité et du chaos constituent un ensemble d’idées et d’approches qui se servent des concepts utilisés en sciences pures pour expliquer la diversité et les changements soudains, rapides et imprévisibles qui caractérisent les sociétés modernes (Walby, 2003). Ces nouvelles orientations théoriques révolutionnent les perspectives basées sur la théorie générale des systèmes et sur la cybernétique en posant un nouveau regard sur « les relations complexes qui existent entre les systèmes et la dynamique des transformations inégales, disproportionnées et non linéaires » (traduction libre, Walby, 2003, p. 3). Les théories de la complexité et du chaos permettent de mieux comprendre les situations et les systèmes qui sont caractérisés par une structure complexe ayant de multiples éléments interconnectés et par une dynamique complexe non linéaire et non prévisible (Iancu, 2014). Ces théories offrent également la possibilité d’explorer les aspects relatifs à la prévisibilité des résultats, à la causalité complexe, à la sensibilité aux conditions initiales et aux changements disproportionnés (l'effet papillon), à la gestion de l’information abondante et difficile à percevoir (non-transparence) et à la prise de décision dynamique nécessitant une réévaluation continue de la situation (Fischer, Greiff et Funke, 2012; Iancu, 2014). Les problèmes complexes rencontrés dans la pratique sont souvent difficiles à résoudre en silo et exigent diverses formes de travail collaboratif avec des personnes accompagnées et des professionnels (Hudson, 2000; Stans, Stevens et Beurkens, 2013). Ces contextes de collaboration constituent des espaces permettant de développer l’ouverture à l’autre et promouvoir le travail ensemble. Nous présentons ici des résultats partiels d’une recherche portant sur l’expérience de collaboration interprofessionnelle (IP) des travailleurs sociaux au Nouveau-Brunswick (N.-B.), Canada. Cette étude cherche à saisir : a) les contextes d’intervention qui exigent une collaboration IP; b) la communication IP et la gestion de conflits; c) les stratégies pour résoudre des problèmes complexes; et d) les enjeux éthiques liés à la collaboration IP. L’originalité de notre étude provient de l’utilisation d’un cadre théorique basé sur les théories de la complexité et du chaos et d’un cadre multidimensionnel d’analyse de la collaboration IP. Cette recherche se situe dans un paradigme interprétatif-compréhensif (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1996) et dans une démarche de recherche qualitative (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques, Turcotte, Tard et Deslauriers, 2000). Les participants à cette étude étaient des travailleurs sociaux (n=21) œuvrant dans plusieurs milieux de pratique (santé, services sociaux et services communautaires) de trois régions du N.-B. (Fredericton, Moncton et St-Jean), en raison de 7 informateurs-clés pour chaque milieu. Comme outils de collecte des données, nous avons utilisé des entrevues semi-dirigées et des notes de terrain. L’analyse thématique a été employée pour le traitement des données. Les dimensions analysées comprennent le contexte de collaboration, la communication et la gestion de conflits, les stratégies de résolution de problèmes complexes et les enjeux éthiques liés à la collaboration IP.

L’analyse partielle des résultats a révélé que la collaboration interprofessionnelle est utilisée principalement lors de situations complexes qui dépassent la capacité des professionnels de les résoudre en silo. L’analyse a aussi ressorti que les professionnels sont en mesure d’identifier les familles qui confrontent des situations complexes, mais ils ont de la difficulté à saisir la nature de la complexité, dimension qui relève de la non-transparence (Funke, 1995, 2010). Lorsque plusieurs professionnels travaillent ensemble pour la mise en place d’un plan intégré, le processus d’intervention est beaucoup facilité pour les personnes accompagnées, mais les aspects organisationnels de l’intervention deviennent plus complexes pour les professionnels (ex. redevabilité à plusieurs superviseurs, duplication de la prise de notes lors d’une rencontre, etc.). De plus, l’analyse ressort que le changement des pratiques ne se fait pas au même rythme que les changements structurels. À titre d’exemple, les systèmes informatiques utilisés par les professionnels qui participent à l’intervention ne sont pas adaptés au travail collaboratif, ce qui peut amener à un dédoublement des tâches. Certains professionnels expriment une résistance face à la collaboration IP et/ou manifestant une préférence pour le travail en silo, situations qui pourraient être attribuables à des défis rencontrés dans des expériences antérieures de collaboration. Par ailleurs, nous avons constaté plusieurs avantages du travail collaboratif autant pour les personnes accompagnées (ex. amélioration de l’accessibilité aux services; meilleure continuité des services; élimination de la duplication des services; intervention plus rapide et efficace) que pour les professionnels qui font partie de l’équipe IP (ex. soutien entre les professionnels; concertation des perspectives et partage des savoirs et des ressources; occasions d’être plus créatifs et efficaces; plus grande satisfaction professionnelle; possibilité d’accroître l’étendue de la collaboration et de la coopération; meilleure compréhension mutuelle) (Lanteigne et Iancu, 2018; Iancu et al., 2019). Dans l’extrait, une participante soulève des avantages pour les familles accompagnées : [Avec la PSI] on a éliminé je ne sais pas combien d’étapes pour cette famille, puis la famille a eu un plan qu’elle comprend, avec un langage qu’elle comprend, dans une [seule] réunion. Cela fait que la famille n’avait plus besoin d’aller à 10 réunions dans un mois pour avoir les mêmes besoins comblés.

Il y a cependant des défis quant au travail collaboratif, défis liés à la complexité du processus d’intervention, aux enjeux éthiques, aux barrières culturelles et linguistiques, ainsi qu’aux différences identitaires (Hall, 2005; Iancu, Lanteigne et Albert, 2017; Paré, 2010). Parmi ces défis, nous mentionnons les défis linguistiques tels que le fait de traduire pour les professionnels unilingues anglophones; la pression à s’exprimer en anglais si certains intervenants ne parlent pas le français; le besoin pour des intervenants francophones d’assumer des tâches supplémentaires liées à la traduction des documents. Les résultats révèlent également plusieurs sources de conflit au sein de l’équipe IP dont une incompréhension quant aux rôles des différents professionnels; une confusion par rapport au partage de tâches et responsabilités au sein de l’équipe; des difficultés à concerter les différentes idées et perspectives; un manque de procédures et d’outils pour gérer les conflits; la présence de préjugés et de stéréotypes chez certains professionnels; le manque de temps pour se réunir; la prise de notes complexe et des défis éthiques (ex. partage des informations confidentielles). Les résultats illustrent aussi le fait que pour certains professionnels il est intimidant de travailler en équipe IP.

Ces enjeux soulèvent un besoin de réfléchir à comment mieux former les étudiants et les professionnels au travail collaboratif (Comer et Rao, 2016; Lumague et al., 2006) lors de situations complexes. Pour ce faire, il est important de développer un cadre théorique s’inspirant des théories de la complexité et du chaos qui soit plus accessible aux étudiants en travail social. La formation doit ainsi offrir aux étudiants des occasions pour réfléchir aux bases épistémologiques de l’intervention afin de mieux comprendre les situations complexes et de transformer leurs pratiques futures (Hudson, 2000; Walsh, White, Morris et Doherty, 2018). La formation doit fournir les savoirs pour faciliter la collaboration avec les personnes accompagnées comme partenaires. Cette formation doit également permettre aux étudiants d’apprendre à travailler avec d’autres personnes vers des buts communs en négociant les différences professionnelles et personnelles tout en tenant compte des aspects identitaires qui traversent l’intervention (Lanteigne et Iancu, 2018; Mellin, Anderson-Butcher et Bronstein, 2011). Il est aussi nécessaire de créer des espaces d’apprentissage communs afin que les étudiants de plusieurs disciplines (ex. travail social, psychologie, science infirmière, etc.) puissent développer leur pensée critique et des compétences collaboratives (Mellin et al., 2011; Lanteigne et Iancu, 2018). La formation doit outiller les étudiants afin qu’ils puissent sensibiliser les communautés quant aux diverses problématiques liées à l’oppression. Cela implique de les préparer comme de futurs professionnels en travail social et comme des citoyens (Reeff, 1999) qui sont en mesure de déconstruire les stéréotypes et les préjugés, de lutter contre l’oppression, de retisser des liens sociaux et de rebâtir la solidarité dans une visée inclusive pour le vivre ensemble (Savoie, Albert et Lanteigne, 2011).

Résumé en Anglais


Non disponible