Fiche Documentaire n° 5482

Titre Quand l’acte de « créer-seul-ensemble » fabrique de l’inclusion sociale : l’expérience des « Moments créatifs » au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM)

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Auteur(s) DUBE Marcelle  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Quand l’acte de « créer-seul-ensemble » fabrique de l’inclusion sociale : l’expérience des « Moments créatifs » au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM)

La mise en place d’activités à caractère éducatif dans l’espace muséal au Québec s’inscrit dans un vaste programme qui souhaite ouvrir ce lieu à des publics plus hétéroclites et diversifiés. L’un des objectifs escomptés vise à offrir une expérience plus interactive et dynamique entre les œuvres, les collections, les expositions proposées et ces publics. À travers cette démarche, il s’agit principalement de développer la mission sociale et citoyenne d’un lieu tel que le musée, promouvant alors la mise en place de pratiques de médiation culturelle à visée éducative et interactive au sein de cette institution faisant alors que la culture souscrive à davantage d’inclusion sociale (Chaumier, 2015, Barrère et Mairesse, 2015, Daignault et Schiele, 2014, Chaumier et Mairesse, 2013, Lafortune, 2012, Caune, 2000, Lamoureux et Uhl, 2018).

Si la médiation culturelle offre une palette d’interventions variées, elle vise, à travers cette offre, à bâtir des ponts entre le voir (ce qui est donné en exposition, les oeuvres) et le sens que l’on porte relativement à ces œuvres (significations et symboles, émotions vécues, interprétation et appropriation) (Lacerte, 2007). Les « Moments créatifs », des ateliers d’art et de création destinés à une population adulte que propose le MACM, sont un exemple du caractère éducatif que revêtent ces médiations. Par ailleurs, dans le cadre de ces ateliers s’ajoute à la rencontre du « voir » et du « sens » une troisième opération, celle du « faire » (Loser, 2010), où le dispositif développé laisse place à l’imagination, le plaisir et la rencontre de « créer-seul-ensemble ».

Bien que la conception d’inclusion sociale est souvent utilisée pour réaffirmer dans l’espace muséal son « rôle social par le biais d’actions en faveur de public fragilisés » (Mairesse, 2012, p.20), ici nous configurons la notion d’inclusion sociale comme le potentiel, offert au public fréquentant le musée, de faire corps avec les propositions artistiques qui y sont faites en termes d’accueil, d’accessibilité, d’ouverture, de participation, d’énonciation, bref comme la création de lien sociaux, culturels et artistiques dans un espace public (Lacerte, 2007, Barrère et Mairesse, 2015). Ainsi, la recherche que nous avons menée a permis de recueillir la parole des principaux acteurs et actrices qui ont conceptualisé et qui animent cette activité ainsi que l’expérience vécue de plusieurs des participant.e.s. En s’appuyant sur ces résultats, cette communication vise, d’une part, à présenter les grandes lignes qui se dégagent du modèle pédagogique développé et de ses assises philosophiques, et d’autre part, mieux saisir les effets que la participation à ces ateliers apporte aux participant.e.s. Ultimement, il s’agira de réfléchir autour de la question suivante « en quoi et comment les processus artistiques et créatifs de ces ateliers contiennent le potentiel de favoriser en même temps l’expression de la singularité et de l’inclusion sociale? Et quel « ensemble » le dispositif de médiation culturelle mis en place ici initie-t-il et pour vivre quoi ? (Fortin, 2018).

Bibliographie

Barrère, A. et Mairesse, F. (2015). L’inclusion sociale. Les enjeux de la culture et de l’éducation. Paris : L’Harmattan.
Caune, J. (2000). La médiation culturelle une construction du lien social. Repéré à http:w3.u-grenoble3.fr/les enjeux/2000/Caune/index.php.
Chaumier, S. (2015). « Le musée de science : agent de socialisation aux sciences ou acteur de changement ? Du musée temple aux sciences citoyennes », THEMA. La revue des Musées de la civilisation, 2 :10-22.
Chaumier, S. et Mairesse, F. (2013). La médiation culturelle. Paris : Armand Colin.
Daignault, L. et Schiele, B. (dir.) (2014). Les Musées et leurs publics : savoirs et enjeux. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Fortin, A. (2018). « Conclusion. L’ensemble de l’œuvre », Le vivre ensemble à l’épreuve des pratiques culturelles et artistiques contemporaines, sous la dir. Ève Lamoureux et Magali Uhl, Québec : Presses de l’Université Laval, p. 249-259.
Lacerte, S. (2007). La médiation de l’art contemporain. Trois-Rivières : Le Sabord.
Lafortune, J-M. (dir.). (2012). La médiation culturelle : Le sens des mots et l’essence des pratiques. Québec : Presses de l’Université du Québec.
Lamoureux, E. et Uhl, M. (dir.). (2018). Le vivre ensemble à l’épreuve des pratiques culturelles et artistiques contemporaines, Québec : Presses de l’Université Laval.
Loser, F. (2010). La médiation artistique en travail social : Enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création. Genève : Les éditions IES.

Présentation des auteurs

Marcelle Dubé est professeure au département des sciences humaines et sociales de l’UQAC, chercheure à l’Observatoire des médiations culturelles et à la Chaire Unesco en transmission culturelle chez les Premiers peuples comme dynamique de mieux-être et d’empowerment. Sa formation interdiciplinaire et ses 20 ans d’expérience à titre d’intervenante dans le mouvement communautaire jeunesse l’ont amené à développer et à participer à des champs de recherche variés où les thèmes de l’évaluation des pratiques et des politiques, les dynamiques des mouvements sociaux contemporains (mouvement communautaire et mouvement des femmes) et la rencontre et l’expérience intergénérationnelle, convergent.Son intérêt en direction des pratiques artistiques et l’intervention sociale l’ont amené à développer des recherches qui croisent la médiation culturelle, l’inclusion sociale et la diversité. Elle a codirigé l’ouvrage « Expériences critiques de la médiation culturelle » (PUL, 2017).

Communication complète

Introduction

La mise en place d’activités à caractère éducatif dans l’espace muséal au Québec s’inscrit dans un vaste programme qui souhaite ouvrir ce lieu à des publics plus hétéroclites et diversifiés. L’un des objectifs escomptés vise à offrir une expérience plus interactive et dynamique entre les œuvres, les collections, les expositions proposées et ces publics. À travers cette démarche, il s’agit principalement de développer la mission sociale et citoyenne d’un lieu tel que le musée, promouvant alors la mise en place de pratiques de médiation culturelle à visée éducative et interactive au sein de cette institution faisant alors que la culture souscrive à davantage d’inclusion sociale (Chaumier, 2015, Barrère et Mairesse, 2015, Daignault et Schiele, 2014, Chaumier et Mairesse, 2013, Lafortune, 2012, Caune, 2000, Lamoureux et Uhl, 2018). 

Si la médiation culturelle offre une palette d’interventions variées, elle vise, à travers cette offre, à bâtir des ponts entre le voir (ce qui est donné en exposition, les oeuvres) et le sens que l’on porte relativement à ces œuvres (significations et symboles, émotions vécues, interprétation et appropriation) (Lacerte, 2007). Les « Moments créatifs », des ateliers d’art et de création destinés à une population adulte que propose le MACM, sont un exemple du caractère éducatif que revêtent ces médiations. Par ailleurs, dans le cadre de ces ateliers, s’ajoute, à la rencontre du « voir » et du « sens », une troisième opération, celle du « faire » (Loser, 2010), où le dispositif développé laisse place à l’imagination, le plaisir et la rencontre de « créer-seul-ensemble ».

Cet article vise, d’une part, à présenter les résultats de la recherche que nous avons menée et les grandes lignes qui se dégagent du modèle pédagogique développé dans cet atelier et d’autre part, mieux saisir les effets que la participation à ces ateliers apporte aux participant.e.s. 

Mise en contexte

C’est à l’automne 2015 que j’ai découvert dans un premier temps, comme participante, ces ateliers d’art offerts par le Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) et appelé à cette époque « Les Mardis créatifs. Rapidement j’ai été agréablement surprise du dispositif mis en place dans ce Musée et au fil des mois, j’ai eu envie de reprendre ma casquette de chercheure et de proposer aux responsables de ces ateliers de mener une recherche afin de documenter l’expérience vécue par celles et ceux qui ont conçu qui animent et qui participent à cette activité. Une proposition qui a été accueillie favorablement faisant que cette recherche s’est réalisée de 2016 à 2018. 

Quel type de recherche : assises théoriques et méthodologiques 

Si le terme de médiation culturelle demeure encore aujourd’hui polysémique c’est qu’il embrasse des expériences et des pratiques fort diversifiées, s’inscrivant dans des milieux et des champs disciplinaires multiples et des contextes politiques et sociaux qui teintent ses visées et l’horizon des activités qui en découlent (Jacob et Le Bihan-Youinou, 2008, Dufrêne et Gellereau, 2004, Quintas, 2014, Caune 2000, 2017). Dans cet esprit « [l]a notion de médiation culturelle s’affirme comme un processus d’appropriation du sens, à travers un rapport personnalisé et vivant entre les références culturelles et les individus [...] et vise à faire de chaque personne, visiteur ou spectateur, un véritable acteur culturel » (Quintas 2014, p. 2). Ainsi la notion d’inclusion sociale sera vue ici comme le potentiel, offert au public fréquentant le musée, de faire corps avec les propositions artistiques qui y sont faites en termes d’accueil, d’accessibilité, d’ouverture, de participation, d’énonciation, bref comme la création de lien sociaux, culturels et artistiques dans un espace public (Lacerte, 2007, Barrère et Mairesse, 2015). C’est également en nous inspirant des travaux que Dufresne-Tassé (2015) et Mouchtouris (2013) ont réalisés sur les visiteurs des musées que nous avons pu configurer l’expérience vécue aux « Moments Créatifs » comme un itinéraire, c’est-à-dire comme une expérience à analyser en tenant compte des différentes temporalités qui la composent, s’illustrant ainsi par le  « avant – pendant – après » la participation aux ateliers. 

Rappelons que la cueillette de données s’est faite à travers une stratégie complémentaire qui a utilisé les moyens suivants : a) analyse de documents internes b) entrevues semi-dirigées individuelles et de groupe et c) observation participante des ateliers.

Au total nous avons interrogé 31 personnes (21 participant-e-s (18 femmes et 3 hommes) et 10 professionnel.le.s du musée) et avons fait 9 observations participantes (à 3 moments distincts : novembre – décembre – février ) et 27 entrevues (25 entrevues individuelles et 2 de groupe). 

C’est à partir de ces aspects conceptuels et de la méthodologie mise de l’avant, nous avons construit un itinéraire qui se découpe en six temps, temps qui correspondent directement à la démarche de médiation culturelle mise en œuvre dans ces ateliers que nous avons pu déceler au fil des observations et des entrevues réalisées sur le terrain. 

Temps 1 : Avant la participation

Si ces ateliers existent depuis plus de vingt ans, comment les personnes qui s’y inscrivent découvrent-elles leur existence ? Certaines ont mentionné en avoir entendu parler via leur réseau (ami.e.s, famille, voisins), d’autres vont les découvrir en consultant la revue ou le site Web du MACM ou lors d’une visite au musée. 

Savoir que ça existe est une chose, prendre la décision de s’y inscrire est une autre étape. D’emblée certaines diront avoir des appréhensions sur leurs compétences artistiques en pensant ne pas satisfaire les prérequis exigés , ou encore ne pas être à la hauteur, surtout chez celles qui avaient peu ou pas de pratique artistique. D’autres mentionnent devoir dépasser leurs aprioris concernant l’art contemporain, bref comme le dira une répondante il faut oser « passer la barrière pour venir ».

Ayant osé faire les premiers pas, qu’est-ce qui fait qu’on y revient par la suite? Plusieurs éléments y contribuent: le non-jugement des médiateurs/médiatrices et des autres participant.e.s, les émotions ressenties comme le plaisir, la joie, le bonheur, la bonne humeur, les rires, le respect, l’ambiance harmonieuse et sans lourdeur, pas d’enjeux sociaux et un intérêt commun pour l’art, ainsi que la dynamique pédagogique mise de l’avant, faisant que ces ateliers ne sont ni des cours et qu’ils n’exigent aucune performance ou résultats contraignants. 

Temps 2 : L’accueil

Si les effets bénéfiques ressentis lors d’une première participation incitent à y revenir, mentionnons que l’accueil offert joue aussi un rôle prépondérant. Plusieurs répondant.e.s l’ont souligné en parlant notamment du fait que l’équipe se présente à chaque début d’activité et explicite clairement le programme du jour, de leur bienveillance, puisqu’ils « sont très attentifs à [leurs] demandes ». On relève également l’aménagement des locaux comme étant fonctionnel, chaleureux, lumineux, l’abondance et la qualité du matériel mis à disposition en termes de rapport qualité/prix, ainsi que les modalités d’inscription. 

Temps 3 : La visite 

Deux types de visites vont être programmées dans le cadre des ateliers de création : la grande et la petite visite. Puisque chaque proposition de création est bâtie autour d’une œuvre exposée dans les salles du musée, au départ d’un cycle (la grande visite, d’une durée de 45 minutes) et à chaque séance (la petite visite, d’une durée de 15 à 20 min) vont permettre d’en apprendre davantage sur les artistes, (leurs parcours, leurs démarches artistiques, l’intention derrière les créations, les techniques utilisées, etc.). L’approche utilisée durant ces visites est interactive. 

Temps 4 : La démonstration 

De retour à l’atelier, une courte démonstration sera faite par les médiateurs/médiatrices permettant vraiment de simplifier des procédés complexes et donner le goût de faire en toute liberté. Du côté des participant.e.s, on apprécie ce moment : « c’est pertinent, ils nous montrent les erreurs… les écueils, possibles. […] Puis ce n’est jamais très long c’est bien mesuré, c’est bien travaillé, c’est professionnel ». Ce 4e temps permet de voir à l’œuvre le professionnalisme et la qualité des explications données par les membres de l’équipe. Temps 5 : Le moment de la création 

Ce 5e temps demeure le temps central de ces ateliers. L’intention de départ ici est de « sortir des sentiers battus » afin que la liberté de création offerte et attendue permette à chacun.e de s’investir personnellement et de vivre une expérience « valorisante sans contrainte ou liée à une performance académique », où ce qui compte, c’est « le processus de création et non sur le résultat fini ». 

Cette proposition « laisse place à l’imagination dans une société organisée et contraignante », elle « permet d’essayer des méthodes d’expression qu’ils ne s’étaient jamais permis d’explorer », « de révéler l’expression créatrice de chaque personne », de « faire tomber les barrières et les préjugés [envers l’art contemporain et les artistes] » et de « s’offrir un temps à soi qui libère des contingences ». 

D’emblée, les participant.e.s « accepte[nt] l’aventure de créer ». Plusieurs disent « aimer le côté spontané de l’exercice », « l’autonomie dans le processus de création » et « le respect de tous ». Si on reconnaît l’intérêt et la pertinence de partir d’une œuvre, certain.e.s vont « créer, [sans faire] exactement ce qui est demandé », « sortir de [leurs] limites », et « développer [leur] créativité ». Bien que l’on soit toujours en groupe, l’ambiance qui se dégage au moment de la création permet de constater que chacun.e fait «  les choses seul.e. », on aime « être dans sa bulle », « on est dans le silence… », l’expression «  ça bourdonne dans la création », telle que le formule une participante, résume bien la dynamique qu’on voit à l’œuvre. Au registre des émotions ressenties à ce moment-là, on mentionne vivre de l’« amusement », on est « joyeuse », « heureuse », « contente », on éprouve un « sentiment de plaisir », un « état de bien-être », allant jusqu’à le définir comme une forme de « yoga mental ».

Temps 6 : Après l’atelier 

Au chapitre des effets ressentis après l’atelier, on mentionne de façon quasi unanime éprouver un sentiment de bien-être mental et physique. Se dégagent également un sentiment de confiance, une plus grande affirmation de soi et une certaine fierté reliés à la réalisation des œuvres et à la réussite ressentie. 

À la fin de ces ateliers une exposition des œuvres est planifiée. Cette exposition, « boucle la boucle d’une façon tellement forte », « les participants sont tellement fiers! […] C’est un levier, ça donne tellement de force… C’est une vitrine aussi pour notre programme dans le musée, parce que les projets sont présentés ». Voir les productions mises ensemble cela procure un sentiment d’appartenance à un projet commun, « c’est rassembleur ». 

En conclusion

La mise en lumière des six temps reliés à l’expérience vécue montre à quel point les liens, qu’il est possible de faire entre art et inclusion sociale, s’inscrivent dans un processus complexe constitué de dimensions à la fois individuelle, collective, sociale, culturelle, contextuelle et organisationnelle.

Se réaliser, découvrir, expérimenter, connaître, rencontrer, s’ouvrir et créer sont les différents aspects qui sont au rendez-vous et qui se conjuguent de façon singulière pour plusieurs des participant.e.s. Ici le modèle que nous venons d’illustrer ne cherche pas de manière explicite à inclure (Fortin, 2018) mais le dispositif, lui, mis de l’avant, fait foi de cette mise en œuvre par le procédé pédagogique proposé et par les visées à la clé de l’activité « Moment créatif ». 


Résumé en Anglais


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