Participation des jeunes à l’amélioration du bien-être à l’école
Quelle reconnaissance de la parole des jeunes au sein de l’intervention et de la recherche action ?
BUCHET, Odile 1 ; MARX, Guy2; PIERRE, Amélie 2,3
1 AMO Service droit des jeunes – Province de Luxembourg
2 Haute Ecole Namur-Liège-Luxembourg
3 Université de Namur – Institut Transitions
Introduction
Notre communication, inscrite dans l’axe 2, interroge les logiques de reconnaissance de l’expérience des jeunes au fil du dispositif d’intervention et de recherche action. L’enjeu est de taille : l’école est un lieu fondamental dans la trajectoire du jeune et dans sa construction. Nous pouvons considérer l’ensemble du dispositif comme un processus de médiation entre jeunes et acteurs de l’aide à la jeunesse et de l’enseignement. Il s’agit de relayer la parole, l’expérience et les attentes des jeunes. Dans cette intervention, nous envisageons la préoccupation envers le vécu des jeunes au cours des différentes étapes du projet.
Intervenante sociale de l’AMO SDJ Lux et chercheur-e-s du centre de recherche FoRS de l’Henallux interrogent conjointement ce dispositif à partir de la question de la reconnaissance de la parole des jeunes. Comment créer les conditions de son expression et de son renforcement ? Comment permettre aux jeunes d’envisager leur bien-être et leur adhésion à la scolarité ? Et enfin, comment relayer leur parole afin de renforcer les possibilités de changements dans le sens de leur mieux-être ?
Genèse et objectifs du projet l’as de l’A.S. mené par l’AMO SDJ Lux
En 2008, plusieurs travailleur-se-s de terrain des secteurs de l’aide à la jeunesse, de l’enseignement et de la justice ont fait le constat identique d’une augmentation du nombre de décrochages scolaires dans les situations rencontrées. Quinze ans après, le constat initialement posé reste cruellement d’actualité et ce, d’autant plus après ces deux années de pandémie au cours desquelles la scolarité des élèves a été mise à mal à plusieurs reprises et leur droit à la participation a été quasiment inexistant.
Plusieurs hypothèses ont été énoncées. Citons notamment le fait que le droit scolaire est complexe et, par conséquent, difficile à appréhender pour le jeune et sa famille. De plus, au vu du temps passé au sein des établissements, le bien-être des élèves semble être une variable primordiale, impactant le décrochage. Les réflexions menées par le groupe de travail constitué ont abouti à la création d’un outil ludique : l’as de l’A.S. (Accrochage Scolaire). D’emblée il a été question d’aborder la thématique sous l’angle positif : parler d’accrochage scolaire et non de décrochage, envisager un mieux-être à l’école, créer un outil ludique collaboratif et non compétitif. Afin de créer un outil qui parle aux jeunes, ces derniers ont été impliqués dans toutes les étapes du processus. Aussi, très vite, le groupe de travail est allé à leur rencontre (notamment les élèves fréquentant le SAS Emergence) avec un prototype pour réaliser des animations-tests. Grâce à leurs remarques, il a pu réécrire et adapter certaines questions, revoir les règles du jeu. Le groupe de travail a également collaboré avec une section artistique d’une école secondaire pour la création des personnages qui ont servi à illustrer l’outil et font office de pions.
La phase de création s’est terminée en 2015 et, depuis 2016, le SDJ Lux et ses partenaires réalisent des animations au sein des écoles secondaires de la province de Luxembourg : 87 animations en classe ont été menées entre 2016 et 2021 dans 13 établissements scolaires des territoires des divisions d’Arlon et de Neufchâteau.
Objectif du dispositif d’intervention : informer et inciter à la participation
Cet outil poursuit deux objectifs en lien direct avec les constats de terrain initialement posés : informer les élèves, et inciter et recueillir leur parole au sujet du bien-être à l’école.
Les animations visent d’abord à informer les jeunes sur le fonctionnement de l’école (cadre scolaire et règles) et sur les services auxquels ils-elles peuvent s’adresser en cas de difficultés. Elles visent également à faire prendre conscience de l’implication que les jeunes peuvent avoir envers leurs droits. L’accent est notamment mis sur le rôle du délégué de classe. En effet, celui-ci peut jouer un rôle de médiateur et faire remonter les difficultés et suggestions de ses camarades de classe. De plus, des représentants des délégués de classe siègent au conseil de participation de l’école. Cet organe a pour missions, entre autres, de réfléchir aux frais scolaires et aux mécanismes de solidarité, de débattre sur le règlement d’ordre intérieur de l’école ainsi que de proposer des adaptations du projet scolaire.
Les élèves sont aussi amené-e-s, par des questions « débat », à réfléchir aux règles et à les questionner. Par ces questions, les élèves sont incité-e-s à participer, à réfléchir collectivement, à débattre et à s’intéresser aux règles collectives ainsi qu’à leurs droits. Nous avons remarqué que certains élèves étaient en difficulté par rapport à cela. Est-ce faute d’avoir été stimulé-e-s en ce sens ? Il arrive régulièrement que certain-e-s élèves ne comprennent pas ce qui est attendu d’eux-elles et semblent peu familiers à une logique de participation. Certain-e-s précisent « à quoi ça sert puisque ça ne changera rien ? » ; d’autres n’imaginent même pas être légitimes pour s’exprimer en la matière ou n’arrivent pas à se projeter, tant ils-elles semblent habitué-e-s à vivre leur scolarité passivement. Les réactions des élèves témoignent d’une certaine dévalorisation de leur propre expertise. Leur parole concernant leur bien-être à l’école semble marginale alors qu’il s’agit véritablement d’un droit reconnu par l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (Belgique, 1991). Il importe dès lors de favoriser leur participation active en la matière.
Du dispositif d’intervention à la recherche action : relayer la parole
Chaque animation se termine par un moment d’échange avec les équipes de jeunes participant-e-s au sujet des écoles imaginées tout au long du jeu. Au cours des animations, les intervenant-e-s questionnent l’école où l’on se sent bien et non l’école idéale afin d’éviter de placer la réflexion dans l’utopisme. C’est à ce moment que l’AMO et ses partenaires recueillent les perceptions des jeunes relatives au bien-être à l’école. Initialement, celles-ci faisaient l’objet d’une analyse rapide par les travailleurs sociaux et étaient relayées aux directions respectives. Après cinq années de recueil de la parole des jeunes, il paraissait nécessaire à l’AMO de prendre un temps d’arrêt et d’analyse de la parole des jeunes dans l’objectif de porter la parole des élèves à un niveau plus élevé.
Au fil du recueil, constatant une forme de récurrence dans les données récoltées, l’AMO met en place un projet de recherche, en collaboration avec le centre de recherche FoRS de l’Henallux afin d’améliorer cette phase de l’animation et de donner une portée plus large aux données récoltées. Ainsi, à l’origine de la collaboration de SDJ Lux avec Henallux se trouve précisément cette préoccupation de porter la parole des élèves pour aboutir à des changements concrets en s’assurant que cette parole soit correctement entendue et reconnue.
Nous pouvons considérer ce projet comme une recherche action (Morrissette, 2013), principalement en ce qu’elle est initiée et portée par un organisme de l’aide à la jeunesse, mu par une volonté d’amélioration des pratiques et qu’elle articule de manière itérative : planification, action, observation et réflexion.
C’est par le biais de l’outil de prévention « l’as de l’A.S. » que s’est déroulé ce qui, du point de vue d’une recherche inductive inscrite dans le paradigme compréhensif, s’apparente à un recueil des données exploratoires portant sur les perceptions des élèves en matière de bien-être à l’école. Le croisement des données a permis la formulation des hypothèses de recherche qui ont ensuite été testées de manière quantitative par questionnaire auprès de la même population.
Cette démarche vise à traduire les propos énoncés durant l’animation et en mesurer l’importance de manière chiffrée. Force est de constater que les propos des adolescent-e-s au sujet de leur rapport à l’établissement, sont fréquemment perçus par les adultes comme étant triviaux. Cette parole a par conséquent tendance à être déconsidérée, tendanciellement minorisée et peu entendue. Le travail d’accompagnement réalisé par l’AMO a permis une traduction de perceptions, adoptant le parti pris de considérer que ces réflexions sont constructives et pertinentes car elles témoignent des vécus et besoins des jeunes. L’approche quantitative, première phase de l’étude, vise à relayer le propos de manière chiffrée afin de lui apporter le poids du nombre. Cette étape de traduction et de quantification vise ainsi à appuyer, clarifier et rendre légitime une parole tendanciellement minoritaire.
L’analyse des résultats des questionnaires permet d’éclairer des éléments recueillis ça et là lors des animations. Les données exploratoires recueillies entre 2016 et 2021 montrent qu’au-delà des quelques idées à priori farfelues, les élèves saisissent véritablement l’occasion de s’exprimer et de proposer des pistes d’amélioration concrètes. À titre d’exemple, lors des animations, les élèves envisagent régulièrement d’ajouter un hammam dans leur école. Même si, de prime abord, cela parait tout à fait utopiste, les premiers résultats nous démontrent que 2/3 des répondant-e-s ont besoin de se détendre à l’école, mettant par là en lumière le stress et la pression ressentis par ces dernier-e-s. Par contre, les élèves sont beaucoup moins nombreux-ses à souhaiter un espace de bien-être dans leur école (la moyenne de cet item est de 2.93/5).
Lors d’une phase ultérieure, les résultats seront interprétés conjointement par les chercheur-e-s, le Service droit des jeunes et ses partenaires. Une attention particulière sera donnée par l’AMO à la diffusion auprès des acteurs de l’enseignement et de l’aide à la jeunesse dans l’objectif d’aboutir à des modifications concrètes. Une réflexion est en cours quant à l’implication des délégués d’élèves dans la diffusion et l’utilisation des résultats ; de par leur rôle spécifique et leur présence au conseil de participation, ils sont potentiellement des acteurs de changement en faveur du mieux-être à l’école.
Un enjeu de visibilisation
Aux différents stades du processus d’intervention et de recherche, un fil rouge en assure la continuité : un effort de prise en compte de la parole des jeunes au sujet de leurs vécus et besoins. De la construction itérative de l’outil, au relai de la parole, en passant par l’information et l’incitation à la réflexion et au débat, le dispositif d’intervention et de recherche action s’avère être un dispositif de soutien à la participation des jeunes. L’enjeu premier reste la visibilisation de cette parole minorisée.
Bibliographie
Belgique (1991) Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
Bourdieu P. & Champagne P. (1992). Les exclus de l’intérieur, Actes de la recherche en sciences sociales, 91-92.
Janosz M. (2000). L’abandon scolaire chez les adolescents : perspective nord-américaine, Ville-École-Intégration Enjeux : Le Décrochage scolaire, une fatalité ?, 122, septembre, 105-127.
Morrissette, J. (2013). Recherche-action et recherche collaborative : quel rapport aux savoirs et à la production de savoirs ? Nouvelles pratiques sociales, 25(2), 35–49, doi : https://doi.org/10.7202/1020820ar
Verhoeven, M. (2018). Médiateurs scolaires et travailleurs de l’accrochage scolaire en Belgique francophone : interprétations et négociations autour du partage du travail socioéducatif. Raisons éducatives, 22, 103-126, doi : https://doi.org/10.3917/raised.022.0103.
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