Fiche Documentaire n° 5716

Titre Être prestataire de l’aide sociale au Québec : entre invisibilité sociale, surveillance et décrédibilisation de la parole

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Auteur(s) GREISSLER Elisabeth  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Être prestataire de l’aide sociale au Québec : entre invisibilité sociale, surveillance et décrédibilisation de la parole

Alors que la figure du « citoyen-usager » prend de l’ampleur dans nombre de dispositifs d’intervention sociale (Jaeger, 2011), le prestataire de l’aide sociale au Québec ne cesse d’être repoussé aux portes du système, surveillé en étant automatiquement soupçonné de fraude et invisibilisé en étant traité sans être entendu ni écouté.
Pour mieux comprendre cette dynamique, rappelons que l’assistance sociale au Québec repose sur le principe d’aide de dernier recours (Merrien, 2007). Les récentes réformes ont par ailleurs institutionnalisé des mesures incitatives sinon coercitives à l’endroit des personnes sans-emploi (Groulx, 2009). Ainsi, depuis les années 1980-1990, le paradigme d’activation des prestataires n’a cessé de s’installer avec tout un arsenal de mesures d’employabilité visant à favoriser le passage vers l’emploi et l’autonomie des prestataires face au risque de dépendance à l’État : le classement selon les aptitudes ou inaptitudes au travail, l’instauration d’une forme de contrepartie (la formation, les démarches d’insertion professionnelle), ou encore la multiplication des mesures administratives et des processus de surveillance (Dufour, Boismenu et Noël, 2003; McAll et al., 1995). Si l’impact en termes de trajectoires vers l’emploi est difficile à mesurer, force est néanmoins de constater, depuis les deux dernières décennies notamment, une diminution considérable et constante du nombre de ménages prestataires de l’aide sociale (- 50% depuis 2011).

En réponse à l’axe 2, cette communication a pour but de montrer comment le système d’aide sociale, à l’opposé d’une logique de « citoyen-usager » renforce sa logique punitive (Fassin, 2017; Wacquant 2009; Chan et Mirchandani 2007) et fragilise les prestataires en les surveillant, en les réduisant au silence et ainsi à l’invisibilité administrative et sociale. Pour ce faire, nous mobilisons les résultats d’une recherche qui s’articule en trois axes. Le premier porte sur une analyse d’un échantillon de décisions du Tribunal administratif du Québec (TAQ) de 2017. Le deuxième s’intéresse aux parcours de prestataires au sein du système d’aide sociale. Le dernier se penche sur les pratiques de défense de droits des prestataires.

À partir des réflexions issues de nos différents résultats, nous montrerons d’abord en quoi les mesures punitives s’inscrivent dans un rapport de surveillance, de décrédibilisation et autres processus de « dégradation » (Piven et Cloward, 1971) des requérants contestant des décisions des agent-es du Ministère du travail, de l’emploi et de la solidarité sociale (MTESS). Nous veillerons à mettre en évidence en quoi ce système complexe décrédibilise la parole des prestataires. Nous montrerons également en quoi ces mesures se situent sur un continuum de pratiques plus ou moins visibles, plus ou moins administratives. Enfin, nous expliquerons en quoi, selon nous, elles demandent aux organismes en défense des droits d’entrer en résistance (Greissler et Tremblay-Marcotte, 2020).

Bibliographie

BELLOT, C. ET SYLVESTRE, M.-E. (2012). La judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Montréal: 15 années de recherche – faits et enjeux (1994-2010) www.rapsim.org/docs/Extraits15ansjudiciarisation2012.pdf.
CHAN, W. ET MIRCHANDANI, K. (2007). Criminalizing Race, Criminalizing Poverty: Welfare Fraud Enforcement in Canada. Halifax : Fernwood Publishing, 107 p.
DUFOUR, P., BOISMENU, G. ET NOËL, A. (2003). L’aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 248 p.
DUVOUX, N. (2009). L’Autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion. Paris : Presses universitaires de France, coll. « Le Lien social », 269 p.
FASSIN, D. (2017). Punir. Une passion contemporaine‪‬. Paris : Le Seuil.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
GARLAND, D. (2001). The Culture of Control: Crime and Social Order in Contemporary Society. Chicago: University of Chicago Press, 336 p.
GODBOUT, L. ET AL. (2006). Agir maintenant pour le Québec de demain: des réflexions pour passer des manifestes aux actes. Laval : Presses Université Laval.
GREISSLER, E. et TREMBLAY-MARCOTTE, Y. (2020). Stratégies de résistance : La défense collective des droits à l’aide sociale, Revue du CRÉMIS (12-1).
GROULX, L.-H. (2009). La restructuration récente des politiques sociales au Canada et au Québec : éléments d’analyse, Le Travail, 63, 9 46.
GUSTAFSON, K. S. (2011). Cheating Welfare: Public Assistance and the Criminalization of Poverty. New York: New York University Press, 238 p.
JEAGER, M. (2011). Usagers ou citoyens ? De l'usage des catégories en action sociale et médico-sociale. Dunod.
MARY, P. (2003). Insécurité et pénalisation du social. Bruxelles : Labor, 94 p.
MCALL, C. ET AL. (1995). Les barrières à la réinsertion sociale et professionnelle des personnes assistées sociales et la réforme du système de la sécurité du revenu : raport d’une tournée de consultation dans sept régions du Québec effectuée aux mois d’octobre et novembre. Montréal : Université de Montréal, 20 p.
WACQUANT, L. (2009). Punishing the Poor. Durham et London : Duke University Press, 408 p.

Présentation des auteurs

Professeure à l'École de travail social de l'Université de Montréal, Elisabeth Greissler est travailleuse sociale de formation. Formée en travail social (ASS) à l'Institut Régional du Travail Social (IRTS) de Nancy, elle a réalisé sa maîtrise et son doctorat en travail social à l'Université de Montréal. Son mémoire s’intéressait à la construction identitaire d'anciens jeunes de la rue. Dans le cadre de sa thèse elle a étudié les contraintes et les conditions d'émergence de l'engagement de jeunes en situation de marginalité, comme les jeunes de la rue par exemple. Ses travaux de recherche en cours portent notamment sur l'engagement et les pratiques contestataires de jeunes dits en difficulté. Elle analyse davantage le rôle des intervenants et des milieux de vie dans les trajectoires militantes de ces jeunes (en maisons d’hébergement, en maisons de jeunes, centres de jour, etc.). Ses autres centres d'intérêt en recherche sont les pratiques punitives au sein du système de l'aide sociale, les pratiques de défense collective de droits des prestataires, l'itinérance, le dévoilement de soi des interviewés dans les démarches de recherche.

Communication complète

Alors que la figure du « citoyen-usager » prend de l’ampleur dans nombre de dispositifs d’intervention sociale (Jaeger, 2011), le bénéficiaire de l’aide sociale au Québec ne cesse d’être repoussé aux portes du système, surveillé en étant automatiquement soupçonné de fraude et invisibilisé en étant traité sans être entendu ni écouté. Cette dynamique impacte directement les pratiques de défense de droits mises en œuvre par les organismes communautaires dans des cliniques juridiques, des comités de citoyens et citoyennes ou encore dans des ressources en hébergement par exemple.



Pour mieux comprendre cette dynamique, rappelons que l’assistance sociale au Québec repose sur le principe d’aide de dernier recours (Merrien, 2007). Les récentes réformes ont par ailleurs institutionnalisé des mesures incitatives sinon coercitives à l’endroit des personnes sans-emploi (Groulx, 2009). Ainsi, depuis les années 1980-1990, le paradigme d’activation des prestataires n’a cessé de s’installer avec tout un arsenal de mesures d’employabilité visant à favoriser le passage vers l’emploi et l’autonomie des bénéficiaires face au risque de dépendance à l’État : le classement selon les aptitudes ou inaptitudes au travail, l’instauration d’une forme de contrepartie (la formation, les démarches d’insertion professionnelle), ou encore la multiplication des mesures administratives et des processus de surveillance (Dufour, Boismenu et Noël, 2003; McAll et al., 1995). Si l’impact en termes de trajectoires vers l’emploi est difficile à mesurer, force est néanmoins de constater, depuis les deux dernières décennies notamment, une diminution considérable et constante du nombre de ménages prestataires de l’aide sociale (- 50% depuis 2011). 



















En réponse à l’axe 2, cette communication a pour but de montrer comment le système d’aide sociale - à l’opposé d’une logique de « citoyen-usager » - renforce sa logique punitive (Fassin, 2017; Wacquant 2009; Chan et Mirchandani 2007) et fragilise les prestataires en les surveillant, en cherchant à les réduire au silence et ainsi à l’invisibilité administrative et sociale. Plus encore, elle a pour but d’analyser comment les organismes de défense de droits peuvent œuvrer pour inverser cette dynamique et favoriser une marge d’autonomie des bénéficiaires dans un tel système. En somme, notre communication vise à analyser comment ces deux logiques antagonistes s’articulent et appelle les organismes de défense de droits à une logique de résistance. Pour ce faire, nous mobilisons les résultats d’une recherche qui s’articule en trois axes. Le premier porte sur une analyse des décisions du Tribunal administratif du Québec (TAQ) de 2017. Le deuxième sur les parcours de bénéficiaires au sein du système d’aide sociale. Le dernier sur les pratiques de défense de droits. 



















À partir des réflexions issues de nos différents résultats, nous montrerons d’abord en quoi les mesures punitives s’inscrivent dans un rapport de surveillance, de décrédibilisation et autres processus de « dégradation » (Piven et Cloward, 1971) des requérants contestant des décisions des agents et agentes du Ministère du travail, de l’emploi et de la solidarité sociale (MTESS). Enfin, nous montreront comment ces pratiques plus ou moins visibles ont engagé les organismes en défense des droits dans des logiques de résistance tout aussi invisibles (Greissler et Tremblay-Marcotte, 2020). 











Bibliographie 















BELLOT, C. ET SYLVESTRE, M.-E. (2012). La judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Montréal: 15 années de recherche – faits et enjeux (1994-2010) www.rapsim.org/docs/Extraits15ansjudiciarisation2012.pdf.



CHAN, W. ET MIRCHANDANI, K. (2007). Criminalizing Race, Criminalizing Poverty: Welfare Fraud Enforcement in Canada. Halifax: Fernwood Publishing, 107 p. 



DUFOUR, P., BOISMENU, G. ET NOËL, A. (2003). L’aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 248 p.



DUVOUX, N. (2009). L’Autonomie des assistés. Sociologie des politiques d’insertion. Paris : Presses universitaires de France, coll. « Le Lien social », 269 p.



FASSIN, D. (2017). Punir. Une passion contemporaine‪‬. Paris : Le Seuil.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬



GARLAND, D. (2001). The Culture of Control: Crime and Social Order in Contemporary Society. Chicago: University of Chicago Press, 336 p. 



GODBOUT, L. ET AL. (2006). Agir maintenant pour le Québec de demain: des réflexions pour passer des manifestes aux actes. Laval : Presses Université Laval.



GREISSLER, E. et TREMBLAY-MARCOTTE, Y. (2020). Stratégies de résistance : La défense collective des droits à l’aide sociale, Revue du CRÉMIS (12-1). 



GROULX, L.-H. (2009). La restructuration récente des politiques sociales au Canada et au Québec : éléments d’analyse, Le Travail, 63, 9 46.



GUSTAFSON, K. S. (2011). Cheating Welfare: Public Assistance and the Criminalization of Poverty. New York: New York University Press, 238 p.



JAEGER, M. (2011). Usagers ou citoyens ? De l'usage des catégories en action sociale et médico-sociale. Dunod.



MARY, P. (2003). Insécurité et pénalisation du social. Bruxelles : Labor, 94 p. 



MCALL, C. ET AL. (1995). Les barrières à la réinsertion sociale et professionnelle des personnes assistées sociales et la réforme du système de la sécurité du revenu : raport d’une tournée de consultation dans sept régions du Québec effectuée aux mois d’octobre et novembre. Montréal : Université de Montréal, 20 p. 



WACQUANT, L. (2009). Punishing the Poor. Durham et London : Duke University Press, 408 p.‬




Résumé en Anglais

While the figure of the "citizen-user" is gaining momentum in a number of social intervention (Jaeger, 2011), the social assistance system in Quebec continues to push back the beneficiaries, being suspected of fraud and made invisible. This dynamic has a direct impact on community advocacy organizations such as legal clinics, citizens' committees.



Social assistance in Quebec is based on last-resort assistance (Merrien, 2007). Recent reforms have also institutionalized incentive, if not coercive, measures for unemployed (Groulx, 2009). Since the 1980s and 1990s, the activation paradigm has continued to take hold promoting employment and autonomy of beneficiaries facing the risk of State dependence. Therefore, there has been a considerable and constant reduction of households receiving social assistance over the past two decades (-50% since 2011).



This communication aims to show how the social assistance system reinforces its punitive logic (Fassin, 2017). Even more, it aims to analyze how advocacy organizations can work to reverse this dynamic and promote a margin of autonomy for beneficiaries. In short, our communication aims to analyze how these two antagonistic logics are articulated and calls on advocacy organizations to a logic of resistance. We will mobilize the results of a research articulated in three axes: decisions of the “Tribunal administratif du Québec” in 2017; paths of beneficiaries within the social assistance system; advocacy practices.