Participation à l’évaluation de la qualité et à l’évolution de la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance - L’expérimentation du Comité des Usagers de la Protection de l’Enfance par le Conseil Départemental de Côte d’Or.
La participation des usagers se décline sur le plan théorique et pratique de la simple consultation à l’évaluation en passant par l’implication dans l’orientation des choix à opérer, l’élaboration et la mise en œuvre des actions qui en découlent.
Dans le secteur social et médico-social, inscrite de manière historique dans la politique de la ville, elle se déploie sous l’impulsion de la loi 2002-2 au sein des structures enjointes à la développer, dans sa dimension individuelle et collective, en tant que droit affirmé pour chaque personne d’agir sur l’accompagnement dont elle est bénéficiaire et l’environnement dans lequel elle se situe au titre de cet accompagnement. Projet personnalisé et conseil de vie social en constituent les expressions emblématiques.
En parallèle, des instances émergent visant à assurer la participation des personnes à l’évaluation des politiques publiques sur le plan national, tels les conseil national et régional des personnes accueillies ou accompagnées institués en 2016, et sur le plan local, tel le Comité des Usagers de la Protection de l’Enfance institué (CUPE) par le Conseil Départemental de Côte d’Or (CD21).
Dans le Schéma Départemental Enfance Famille 2016-2018 un axe de travail a été formalisé en faveur de la participation des usagers, avec la volonté d’ouvrir la participation à l’évaluation et à l’évolution de la mise en œuvre territoriale de la politique de protection de l’enfance afin de soutenir les dynamiques de pouvoir d’agir. Une fiche action était consacrée à la création d'outils pour favoriser l'expression et l'information des usagers de la Protection de l'Enfance. Dans ce cadre, un groupe de travail a été constitué afin de conduire la réflexion. Sa proposition a été la création d'une instance participative expérimentale d’évaluation, le CUPE, sur le territoire d’une des Agences Solidarité du département (ASCO). La mise en place de cette expérimentation a été validée par le CD21 qui en a posé le cadre missionel - apporter l'éclairage et le point de vue des usagers sur la conception ainsi que la mise en œuvre des politiques de Protection de l'Enfance du Département et proposer des modifications ou améliorations au regard de l'expérience des usagers - et déterminé la composition - le chef de l'ASCO Genlis, un cadre du service central ASE, le Président de l'ADEPAPE 21, une personnalité qualifiée de l'IRTESS, une secrétaire de l'ASCO Genlis 10 à 12 usagers ou anciens usagers de la Protection de l'Enfance (jeunes et parents) volontaires, cooptés sur proposition des travailleurs sociaux de l'agence ou de l'ADEPAPE 21. Le CD21 a également posé le principe d’une formation préalable des personnes concernées par un formateur de l’IRTESS et d’une animation par le chef d'agence et avec le soutien d’un formateur ressource de l'IRTESS, afin de garantir la nature et les objectifs du CUPE.
De nombreuses données ont été recueillies tout au long de cette expérimentation, auprès de l’ensemble des personnes impliquées, en différentes occasions : temps de lancement, d’installation, de formation et de clôture, réunions du CUPE et travail d’écriture coopératif restituant l’expérimentation qui a constitué pour ses co-auteurs, tous impliqués dans l’action, une suite évidente et nécessaire de leur participation. Ce matériau constitue un corpus dont l’examen permet de poser un premier constat très positif sur le fonctionnement et les travaux du CUPE dont la qualité est soulignée de manière unanime par l’institution à l’initiation du projet, les personnes concernées ayant choisi de se mobiliser, les formateurs missionnés pour la formation des usagers et le soutien de l’animation du CUPE.
Cette contribution vise à partager un témoignage réflexif sur les éléments saillants de cette expérimentation quant à ses résultats et aux premières pistes d’analyse.
Les résultats de l’expérimentation s’expriment en termes de réalisé et de retombées.
Le réalisé est directement en lien avec les objectifs de l’expérimentation en matière de participation et de production.
La forte motivation des personnes concernées - usagers ou anciens usagers de la Protection de l'Enfance - fondée sur le volontariat s’est maintenue tout au long de l’expérimentation. Elle a été le ressort d’un engagement réel et constant mesurable à l’assiduité et l’implication dans les réalisations du CUPE.
En lien avec la feuille de route du CUPE, ses membres ont décidé, de manière autonome et consensuelle, d’engager un travail portant sur des objets concrets afin de soumettre des propositions au CD2, pour soutenir l’amélioration de la qualité de la mise en œuvre territoriale de la politique de protection de l’enfance. Au bout d’une année d’activité ils ont adressé leurs propositions au CD21 qui les a validées et en a finalisé la mise en forme pour les déployer sur son territoire dès le 1er septembre 2021.
Les objectifs de l’expérimentation paraissent donc pleinement remplis, du point de vue de l’ensemble des participants et du CD21 et des retombées significatives se manifestent autant au sein qu’au-delà du CUPE.
Parmi les membres du CUPE s’exprime un sentiment partagé de satisfaction au regard du travail effectué et des conditions dans lesquelles il a été conduit comme au regard de la considération dont il a été l’objet de la part du CD21. Les personnes concernées se sentent reconnues au titre de leur expertise d’usage, mieux informées et affirment avoir une meilleure compréhension de la politique de protection de l’enfance et du service de l’aide sociale à l’enfance.
Au niveau local, l’Agence de Genlis souhaite poursuivre la démarche engagée initialement à titre expérimental en mobilisant le CUPE autour du Projet Pour l’Enfant. Sur le plan départemental, les professionnels soulignent déjà l’intérêt du travail CUPE pour leur quotidien. Du point de vue du CD21, le bilan est également positif et l’expérimentation a vocation à être pérennisée : en protection de l’enfance, par l’institution d’un CUPE animé par un chargé de mission au sein de l’Observatoire Départemental de la Protection de l’enfance et, dans le cadre du déploiement du Service public de l’insertion et de l’emploi en Côte d’Or, par la création d’un groupe participatif d’usagers appelé à participer à l’élaboration et l’évaluation des politiques d’insertion et d’emploi pilotées par le Département, selon des modalités similaires à celles qui ont présidé au fonctionnement du CUPE.
L’expérimentation était porteuse des risques intrinsèques à toute action de ce type identifiés par la littérature scientifique, accrus par des facteurs extrinsèques : un contexte de déséquilibre situationnel entre institution porteuse du projet et personnes concernées ressources bénéficiaires de son intervention et le choix de coopter ces dernières. Force est de constater que ceci n’a a priori pas fait obstacle à une parole, des échanges vrais et productifs au sein comme à l’extérieur du CUPE. Reste donc à ouvrir les premières pistes d’analyse pour tenter d’identifier les points forts qu’elle révèle qui expliqueraient sa réussite et de repérer les points de fragilités qu’elle pourrait receler susceptible de la remettre en cause sur le long terme.
L’expérimentation s’est appuyée sur trois leviers majeurs - la réelle volonté du CD21 de garantir la participation des personnes concernées, la pensée et la réunion de conditions pour y parvenir, le respect, l’écoute et la considération mutuels dont ont témoigné l’ensemble des membres du CUPE - et un ressort essentiel mais fragile: la motivation des personnes concernées, condition et effet de la qualité de la dynamique enclenchée, liée à un désir initial soutenu par un sentiment de reconnaissance, de considération et de confiance généré par l’engagement du CD21 et la vie au sein du CUPE qui ont permis aux participants - personnes concernées et professionnels - un travail sur les identités, représentations mutuelles et leurs rapports entre eux.
La participation, pour n’être ni incantation, ni leurre, ni conduire à la désaffection, à l’impasse ou à l’échec nécessite de prendre en compte les facteurs susceptibles de l’affecter à chaque étape du processus. Elle requiert une vigilance particulière du porteur du projet à la préservation de la motivation des personnes concernées ayant choisi de devenir ressources afin de prévenir et traiter l’apparition de sentiments d’instrumentalisation, comme par leur invitation à la présentation officielle du bilan de l’expérimentation ou le retour attendu sur l’impact des évolutions du point de vue des parents.
La difficulté à relancer le travail du CUPE sur le territoire de l’ASCO où il a été expérimenté est à ce titre tout aussi marquante que l’élan qui en avait marqué la première phase, et peut-être une première alerte. Souhaitée par ses membres, de même que son déploiement sur l’ensemble des ASCO, la poursuite de son activité a été officiellement annoncée. Les personnes concernées qui s’étaient mobilisées sur la partie expérimentation ont été invitées à se retrouver par l’ASCO à plusieurs reprises. L’impossibilité à être présentes sur les créneaux proposés ou des empêchements de dernière minute ont cependant pour l’heure fait obstacle à la poursuite de son activité. Deux hypothèses sont avancées pour tenter de comprendre ce phénomène : le manque de disponibilité de certaines personnes concernées lié à l’évolution de leur situation, une difficulté à se ressaisir de nouveaux objets de travail du fait du niveau d’investissement pendant la phase expérimentale. D’autres facteurs liés à l’évolution du projet et à sa conduite pourraient expliquer l’affaiblissement, voire l’effondrement, du désir d’investir la participation : le changement unilatéral de paradigme de fonctionnement du CUPE - objet de travail choisi en amont de l’invitation à la reprise de l’activité du CUPE- , l’installation d’un CUPE au niveau de l’ODPE aux lieu et place d’un déploiement sur les ASCO - marque d’un changement d’échelle significatif de l’abandon de la proximité territoriale et de l’horizontalité, interrogeant la cohérence du maintien du premier.
Revenir vers les personnes concernées sollicitées afin de les interroger sur ces points comme d’autres qui pourraient être identifiés ou surgir dans le cadre d’échanges sur leurs difficultés à s’inscrire dans la poursuite des travaux pourrait être une piste d’investigation à poursuivre ; elle permettrait de repérer la présence éventuelle d’éléments qui, s’ils ne sont pas pris en compte et traités, risquent de peser s’ils ne pèsent déjà sur la dynamique de participation installée, la freinent, la bloquent ou la précipitent. Cette démarche marquerait le souci porté par le CD21 de préserver l’attention à la réelle et pleine participation lors de l’installation de l’expérimentation du CUPE alors qu’il engage sa déclinaison et sa transposition.
L’expérimentation conduite par le CD21 témoigne, à son niveau, de la possibilité d’une participation effective des personnes concernées, des bénéfices qu’elle est en mesure d’apporter ; elle confirme l’importance de la pensée en amont et de l’attention à la mise en œuvre des conditions ainsi que des modalités de la participation des personnes concernées pour qu’elles puissent effectivement être ressources et exercer la mission qui leur est confiée dans l’intérêt de tous.
Ses forces et ses fragilités mettent également en évidence la difficulté à soutenir le défi que représente toute mobilisation de la participation même dans un cadre réunissant a priori l’ensemble des éléments les plus favorables.
C Taglione, C Revaillot, formatrices IRTESS
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