La place des parents au sein des Etablissements d’Accueil de Jeunes Enfants (EAJE): un engagement managérial
L’idée selon laquelle la qualité de l’accueil du petit enfant dépend entre autres de la continuité éducative parents-professionnelles vers un idéal Co éducatif n’est pas nouvelle.
Si l’intégration des familles dans la vie des crèches est encouragée par le cadre réglementaire, il est aussi au cœur de la plupart des projets éducatifs. La place des parents et la place des professionnelles sont liées et destinées à construire un partenariat éducatif vers une haute qualité d’accueil (Blanc, M. & Bonnabesse, M. 2016). Il n’en reste pas moins que sa mise en œuvre dépendra des représentations qu’ont les professionnelles de la parentalité et des modalités managériales, permettant aux équipes de développer leurs compétences au service d’un réel partenariat parent-professionnelles.
Quelles conditions pour créer des conditions favorables à un véritable partenariat parents-professionnels?
Considérant qu’une des missions du manager est de conduire les équipes professionnelles à développer de nouvelles compétences, à être autonomes et créatives dans l’adaptation de leurs activités, alors on peut se demander :
En quoi former les futures directrices de crèche et accompagner les professionnelles en poste dans leurs missions managériales permet de garantir une haute qualité éducative au sein des EAJE ?
Nous tâcherons de répondre à cette question en revisitant l’évolution de la place des parents au sein des structures d’accueil et la relation parents-professionnels. Enfin, nous pousserons notre réflexion sur l’impact du management sur le développement des compétences des membres de l’équipe au service de la coéducation des jeunes enfants. Les résultats de notre rapport d’enquête réalisée en 2021 nous conduiront à tirer des conclusions relatives aux besoins de formations managériales des directrices d’EAJE.
La place des parents en EAJE : de l’exclusion hygiéniste à l’institutionnalisation
L’évolution de la place des parents au sein des établissements d’accueil petite enfance est liée à l’impact de l’évolution sociétale sur l’organisation et les valeurs portées par ces structures.
A l’origine, les premières crèches ont une posture moralisante et des pratiques hygiénistes excluant les parents des crèches. En réaction et dans les mouvances de mai 68, des parents créent les crèches « Sauvages ». Ce sont finalement les parents qui conduiront les crèches à s’appuyer sur les nouvelles connaissances du développement de l’enfant et des avancées en psychopédagogie .
A la suite de ces évolutions, les crèches ainsi que les pratiques professionnelles vont se transformer et la question du projet pédagogique va être évoquée. Les orientations politiques et les textes encadrant le fonctionnement des EAJE vont renforcer une approche globale de l’enfant. Les crèches en s’inscrivant dans des champs sanitaires, sociaux, éducatifs et pédagogiques donnent toute son importance à l’intégration des parents à la vie des établissements.
Le décret du 1er août 2000, relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans, modifié en 2007, 2010 et 2021 indique clairement aux lieux d’accueil de fournir un projet d’établissement comprenant un projet social et éducatif intégrant la place des parents comme un axe fort.
Si ces dispositions en direction des parents encouragent l’accompagnement et le soutien à la parentalité comme une mission à part entière des EAJE, il faut cependant rester vigilant et se questionner sur les représentations professionnelles relatives à la place des parents.
Quelles conditions pour favoriser un véritable partenariat parents-professionnels ? Comment créer une relation de parité et de respect du rôle et de la place de chacun afin de construire une dynamique de coéducation ?
De quoi bousculer le positionnement professionnel à l’égard des parents.
Le partenariat parents-professionnels : une véritable compétence professionnelle
L’évolution des structures d’accueil vue précédemment va modifier le rapport entre les professionnelles et les parents. Les crèches parentales vont tenter de dépasser les rapports de supériorité et de domination afin d’instaurer de nouveaux rapports basés sur la notion de parité. Une reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et des compétences parentales doit alors être envisagée comme incontournable.
Dans cette évolution contextuelle « le travail avec les parents est une nouvelle compétence à construire pour une majorité de professionnelle de la petite enfance » (Blanc, M. & Bonnabesse, M. 2016)
Si la place des parents au sein des établissements petite enfance dépend beaucoup des représentations, de la posture des professionnelles, et de leurs compétences ; elle est aussi dépendante des moyens accordés aux professionnelles pour adapter leurs pratiques à cette question et développer une compétence au service d’une réelle coéducation des jeunes enfants.
C’est en ce sens qu’il nous semble important d’envisager l’impact des modalités managériales des équipes et des personnes par la directrice de crèche.
En quoi le mode de management de la directrice de crèche peut-il favoriser la réflexivité, l’autonomie et la compétence nécessaire à la coéducation des jeunes enfants ?
Accompagner les équipes à travailler en collaboration avec les parents : un défi managérial !
Brigitte Bonnafous dans son ouvrage « Management participatif et qualité éducative en crèche » décrit l’impact du management sur les pratiques professionnelles. Elle défend la thèse selon laquelle un management participatif conduit les professionnelles de la petite enfance vers plus de motivation et de créativité, les conduisant à une plus forte implication dans le projet de leur établissement. Pour l’auteure, la mise en œuvre d’un management participatif conforte les managers à faire confiance aux professionnelles et à encourager l’auto-organisation. La mise en œuvre réelle d’une coéducation garantit une haute qualité éducative. Pour qu’une équipe puisse envisager une relation de parité avec les parents, il faudra qu’elle soit elle-même sécurisée par un management bienveillant humaniste et participatif.
Les étudiants comme les professionnelles en poste subissent les conséquences d'une vision réduite des activités de directrice de crèche comme relevant, de pratiques ordinaires et proches de la sphère privée, émanant de qualités personnelles ; niant ainsi la complexité de leur travail, la structuration de leurs actions et l’impact de la formation : une vision sociale véhiculée parfois par les professionnelles elles-mêmes .
Les responsables EAJE ne sont que 13,27 % à penser que la formation à un impact important sur la qualité de leur management. 37,54% pensent que c’est l’expérience et 49,12 % que la personnalité est le facteur ayant le plus d’influence sur leurs pratiques managériales.
Le management des équipes et des personnes est reconnu comme central dans les activités de la directrice de crèche et relevant d'une compétence critique . Cependant les professionnelles en poste ne se sentent pas bien préparées par leurs formations initiales et recherchent des ressources pour développer leurs compétences. 69,06 % n’ont pas suivi de module management durant leur formation initiale et 76,69 % ayant suivi des cours de management en formation initiale estiment ne pas avoir eu suffisamment de contenus.
Afin de faire le lien avec la réalité du terrain nous souhaitions réaliser un état des lieux des compétences mobilisées par les directrices d’EAJE lors de leurs activités de management ainsi que de leurs besoins en formation. Nous avons donc proposé un questionnaire relatif au management en crèche à l’ensemble des responsables de structures EAJE de France.
Notre rapport d’enquête nous permet d’une part de définir et d’analyser leurs activités, même s’il est complexe d'aborder l'analyse d'une activité professionnelle essentiellement décrite par les acteurs eux-mêmes (BIRE 2014). Et d’autre part, d’identifier leurs besoins de formation afin d’en tirer des conclusions permettant de réajuster ou de concevoir les dispositifs de formation.
En quoi former les futures directrices de crèche et accompagner les professionnelles en poste dans leurs missions managériales permet de développer des pratiques managériales participatives au service d’une haute qualité éducative au sein des EAJE ?
Ces dernières années, la fonction de responsable d’EAJE a subi une réelle mutation. Ces professionnelles sont confrontées à l'évolution de la famille, de la place de l'enfant dans la société. Le contexte professionnel impose un engagement dans la qualité de l'accueil et l'atteinte d'objectifs d'efficience et de rentabilité imposés par les tutelles.
La mise en relation des résultats relatifs à l’évolution du temps passé par activités, avec les représentations des directrices du concept de management et avec les dilemmes rencontrés, permet de faire un certain nombre de constatations. Majoritairement les responsables d’EAJE ont le sentiment de passer de plus en plus de temps sur la gestion des ressources humaines (62,46 %) ainsi que sur la gestion comptable et financière (51,91 %). Selon notre enquête, plus de la moitié des responsables estiment être confrontés à des problématiques d’absentéisme des professionnels (53,08 %).
Par contre, elles expriment une réduction du temps consacré à l’accueil quotidien de l’enfant (50,73 %) et 47,14 % expriment la difficulté de maintenir la qualité de cet accueil. Cependant le management des équipes et des personnes ainsi que les relations avec les partenaires et les parents restent des activités prépondérantes.
Mettre en place un système permettant de respecter les directives de la Caisse Nationale des Allocations Familiales en termes de taux d'occupation des places en crèche a un impact important sur la manière dont la directrice va devoir organiser le travail et manager son équipe. Le temps consacré à remplir les objectifs de rentabilités fixés par les gestionnaires et les tutelles semble de plus en plus important aux responsables.
Ces contraintes favorisent des modèles managériaux issus du taylorisme où les maîtres mots sont le rendement, les résultats et une organisation basée sur les tâches. Les directrices se retrouvent alors mises à mal par l’usage de pratiques managériales trop éloignées de leurs représentations du management et de leur culture professionnelle initiale.
Mais, qu’en est-il de la formation managériale des directrices de crèche ?
La formation des directrices de crèches : de la formation initiale aux besoins de formation en management
Les résultats de l’enquête que nous avons menée en 2021 révèlent un certains nombres de points :
Il apparaît que 76,69 % de toutes les répondantes estiment ne pas être suffisamment formées en management. Moins d’un tiers (30,93 %) des responsables EAJE ont suivi des cours liés au management en formation initiale. Parmi les 30,93 % de ces directrices, 75,12 % estiment que la formation n’a pas répondu à leurs attentes.
Ces résultats peuvent être liés directement à l’absence de contenus relatifs au management dans les cursus de formations initiales. Mais l’expérience de formateur nous conduit aussi à envisager que tant que les contenus théoriques ne sont pas mobilisés en situations alors ils n’ont que très peu d'intérêt à être intégrés par les apprenants.
Concernant les besoins de formation exprimés, 100 % des responsables EAJE qui ont eu des contenus liés au management en formation initiale souhaitent pouvoir à nouveau suivre une formation sur le management.
Les formations qui sont le plus plébiscitées par les responsables de structures sont :
Le concept de management (18,70 %), la gestion d’équipe (16,86 %) et la gestion des conflits (16,50 %). La gestion de projet et l’accompagnement au changement représentent environ 7 % chacune.
Conclusion - L’accompagnement des directrices : un équilibre entre formation et capacité à la mobilisation en situation.
Les résultats de notre enquête font apparaître que les directrices d’EAJE expriment un besoin évident de formation en management. Si elles ont suivi des formations au management en formation initiale ou continue, ces professionnelles expriment encore ce besoin.
Nous émettons l’hypothèse que si les formations en management proposées aux directrices de crèches sont organisées autour de l’analyse de situations prévalentes à leurs activités alors, elles pourront transposer leurs connaissances aux dilemmes rencontrés. Et ainsi, adapter leurs pratiques en fonction des projets d’établissements et des valeurs portées par la culture professionnelle de la petite enfance.
En effet, si l’on met en lien ce dernier point avec le cadre théorique de la didactique professionnelle, il apparaît souhaitable d'analyser l'activité des directrices de crèche afin de faire émerger la part d'invariance de l'activité qui permet aux professionnels d'orienter et de guider leurs actions.
Cette démarche va permettre de construire des dispositifs de formation adaptés aux situations de travail. Mais si l'analyse du travail est un préalable à la construction de dispositifs de formation, c'est en elle-même un outil d'apprentissage.
Ainsi, il semble essentiel de mener une réflexion didactique et pédagogique permettant de proposer des formations initiales et continues basées sur un équilibre entre situation d’apprentissage et savoirs.
L’objectif serait de permettre aux futures professionnelles et directrices en poste de pouvoir acquérir des connaissances en situation. De développer ainsi une compétence à l’analyse des pratiques, à la prise de recul, à la transposition et à l’adaptation des pratiques professionnelles au service d’une qualité d’accueil autour de la coéducation.
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