Fiche Documentaire n° 6120

Titre Pratiques professionnelles dans le champ de la précarité sociale : regard porté sur un territoire dans les Hauts-de-France.

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Auteur(s) DELHAYE Pascaline  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Pratiques professionnelles dans le champ de la précarité sociale : regard porté sur un territoire dans les Hauts-de-France.

La communication aura pour support une étude réalisée en 2022 par le pôle recherche d’un établissement de formation en travail social. Il y sera question de saisir le retentissement, sur la pratique professionnelle, de l’accompagnement de personnes en situation de précarité sociale et ce, en fonction des évolutions des politiques sociales, sur un territoire clairement circonscrit, celui de la Côte d’Opale située dans les Hauts-de-France. Ce territoire, comme bien d’autres en France et ailleurs, est hautement touché par la crise du logement.

La crise du logement, c’est en 2023 un taux de crédit immobilier qui grimpe, faisant chuter le pouvoir d’achat ; ce sont des transactions en recul, des constructions neuves en chute. Ce sont aussi 2,3 millions de ménages en attente de logements sociaux, une hausse des impayés de loyer dans les organismes HLM selon l’Union Sociale pour l’Habitat. C’est enfin 330 000 sans-domicile fixe (1) .

Sur ce fond de crise, le territoire de la Côte d’Opale donne deux images contrastées. D’une part, le littoral, ses grandes plages, ses caps, son arrière-pays vallonné, qui rendent ce territoire propice au développement des activités touristiques, ce qui correspond à la volonté politique. D’autre part, l’implantation des flux migratoires attirés par la proximité de l’Angleterre située à moins de 50 km de l’autre côté de la Manche, un territoire où le taux de chômage y est plus élevé qu’en moyenne régionale, et où les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité et le chômage.

Des publics, jusqu’ici invisibles aux yeux des professionnels du travail social, basculent dans la précarité (De Vaumas, 2022). Et ces professionnels peuvent se trouver eux-mêmes dans des situations précaires (Nahmias, 2022) ou ne pas s’en sentir à l’abri (Pierret, 2013). Les vocables « précarisés » ou « précarisables » (Brière, 2015) témoignent de cette évolution.

Dans le même temps, les pratiques professionnelles évoluent, pour garantir au mieux l’accompagnement des personnes, par l’individualisation et le respect de l’autodétermination (Piveteau, 2022). Le mouvement de désinstitutionnalisation, initié par la recommandation du Conseil de l’Europe du 3 février 2010, poursuit son implantation dans les différents secteurs du travail social. Le Guide de bonnes pratiques du CEDIS (2015) en indique les trois principes fondamentaux : auto-détermination, responsabilisation, déstigmatisation.

En tant que refonte des modes de régulation de l’action sociale, cette évolution des pratiques peut néanmoins s’avérer délicat (Aballéa, 2014) : contraction des moyens financiers, marchéisation de l’action sociale, émergence de prises en charge hors-les-murs (à domicile ou en milieu ouvert) s’accompagnant de la dissémination des lieux d’intervention, une organisation à forme réticulaire, et usager censé devenir coordinateur des actions. La question est posée : « n’assistons-nous pas à une atomisation générale du travail social ? (…) Ou n’est-ce qu’une phase inachevée de la restructuration ? » (Hirlet et Pierre, 2017, p 113).

Dans un contexte de bouleversement post crise économique (2008) et sanitaire (2020), sur fond de crise du logement, et face à ce qui caractérise la précarité, à savoir l’incertitude, l’instabilité, dont ils ne sont pas eux-mêmes protégés, comment les professionnels évoluent-ils ? Comment s’invente la pratique des travailleurs sociaux ? La crise du logement fait-elle écho à une forme de crise des institutions ?

Après avoir apporté des éléments de réflexion autour de la précarité sociale et déployé notre problématique, nous présenterons le terrain d’investigation et le mode de recueil de données. Nous présenterons ensuite les analyses et engagerons des pistes de réflexion autour de ces pratiques qui pourraient être qualifiées de transfrontalières, à la frontière du soin, de l’assistance, de la protection et de l’éducation.

( 1 - 28è rapport sur l’état du mal logement en France 2023 – Fondation Abbé Pierre.)

Bibliographie

Aballéa, F. (2014). Sociologie de l'intervention sociale : déprofessionnalisation d'un métier, désinstitutionnalisation d'un secteur. Toulouse ; Octarès Editions.
Brière, J. (2015). Editorial. Pratiques en santé mentale, 2015/3, p.1-1.
Comité Européen pour le Développement de l’Intégration Sociale CEDIS (2015). Guide de bonnes pratiques en matière de désinstitutionalisation, Objectifs, Questions, Illustrations. CEDIS ; Agen.
De Vaumas, E. (2022). Nouvelles pauvretés : Les services sociaux démunis. Actualités Sociales Hebdomadaires, n°3277, 2022-10-07, p 6-8. Paris ; Bibliothèque de l’Hôtel de Ville.
Furtos, J. (2015). Ce que veut dire le terme de clinique psychosociale. Empan, 2015/2, n°98.
Hirlet, Ph., Pierre, Th. (2017). Ce que la désinstutionnalisation de l’intervention sociale fait au travaiil (du) social ! In Sciences & actions sociales, 2017/2 N°7, pp 105-115. Éditeur : Association des Chercheurs des Organismes de la Formation et de l'Intervention Sociales.
Nahmias, M.. Travailleurs sociaux et précaires, L’événement Publié le : 07.10.2022 https://www.ash.tm.fr/hebdo/3277/levenement/travailleurs-sociaux-et-precaires-707389.php
Piveteau, D. (2022). Expert, acteur, ensemble… pour une société qui change.
Wresinski J. (1987). Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris ; Journal officiel.

Présentation des auteurs

Pascaline Delhaye, docteure en psychologie, responsable du Pôle Recherche de l’I.R.T.S. Hauts-de-France

Communication complète

AIFRIS 2023 Pascaline DELHAYE

Pratiques professionnelles dans le champ de la précarité sociale : regard porté sur un territoire dans les Hauts-de-France.



Dans un contexte de bouleversement post crise économique (2008) et sanitaire (2020), sur fond de crise du logement, et face à ce qui caractérise la précarité, à savoir l’incertitude, l’instabilité, dont ils ne sont pas eux-mêmes protégés, comment les professionnels évoluent-ils ? Comment s’invente la pratique des travailleurs sociaux ? La crise du logement fait-elle écho à une forme de crise des institutions ?



Sur fond de crise du logement

La communication aura pour support une étude réalisée en 2022 par le Pôle Recherche de l’I.R.T.S. Hauts-de-France (Delhaye et Lansiaux, 2022). Il y sera question de saisir le retentissement, sur la pratique professionnelle, de l’accompagnement de personnes en situation de précarité sociale et ce, en fonction des évolutions des politiques sociales, sur un territoire qui est celui de la Côte d’Opale située dans les Hauts-de-France. Ce territoire, comme bien d’autres en France et ailleurs, est hautement touché par la crise du logement.

La crise du logement, c’est en 2023 un taux de crédit immobilier qui grimpe, faisant chuter le pouvoir d’achat ; ce sont des transactions en recul, des constructions neuves en chute. Ce sont aussi 2,3 millions de ménages en attente de logements sociaux, une hausse des impayés de loyer dans les organismes HLM selon l’Union Sociale pour l’Habitat. C’est enfin 330 000 sans-domicile fixe .



Le territoire en question

Sur ce fond de crise, le territoire de la Côte d’Opale donne deux images contrastées. D’une part, le littoral, ses grandes plages, ses caps, son arrière-pays vallonné, qui rendent ce territoire propice au développement des activités touristiques, ce qui correspond à la volonté politique. D’autre part, l’implantation des flux migratoires attirés par la proximité de l’Angleterre située à moins de 50 km de l’autre côté de la Manche, un territoire où le taux de chômage y est plus élevé qu’en moyenne régionale, et où les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité et le chômage.

Ainsi, au 1er janvier 2018 , 760 400 personnes habitent le Pôle Métropolitain de la Côte d’Opale avec un taux de chômage plus élevé qu’en moyenne régionale (17% contre 16%), et un niveau de vie médian annuel plus faible (19 570 euros contre 20 110). Les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité : 34% des 18-24 ans ne sont ni en emploi ni en étude (contre 27% en moyenne régionale), et le taux de chômage des 15-24 ans atteint 36% (2 points de plus qu’en région). 29,2% vit sous le seuil de pauvreté (contre 28,7 en région). Le littoral rend le territoire propice au développement des activités touristiques qui représentent 4 % de son économie. La densité y est importante (124 logements/km² contre 90 en région) et les résidences secondaires représentent 11 % des habitations (contre 3 % en région).

Des publics, jusqu’ici invisibles aux yeux des professionnels du travail social, basculent dans la précarité (De Vaumas, 2022). Et ces professionnels peuvent se trouver eux-mêmes dans des situations précaires (Nahmias, 2022) ou ne pas s’en sentir à l’abri (Pierret, 2013). Les vocables « précarisés » ou « précarisables » (Brière, 2015) témoignent de cette évolution.



Le mouvement de désinstitutionnalisation

Dans le même temps, les pratiques professionnelles évoluent, pour garantir au mieux l’accompagnement des personnes, par l’individualisation et le respect de l’autodétermination (Piveteau, 2022). Le mouvement de désinstitutionnalisation, initié par la recommandation du Conseil de l’Europe du 3 février 2010, poursuit son implantation dans les différents secteurs du travail social. Le Guide de bonnes pratiques du CEDIS (2015) en indique les trois principes fondamentaux : auto-détermination, responsabilisation, déstigmatisation.

En tant que refonte des modes de régulation de l’action sociale, cette évolution des pratiques peut néanmoins s’avérer délicat (Aballéa, 2014) : contraction des moyens financiers, marchéisation de l’action sociale, émergence de prises en charge hors-les-murs (à domicile ou en milieu ouvert) s’accompagnant de la dissémination des lieux d’intervention, une organisation à forme réticulaire, et un usager censé devenir coordinateur des actions. La question est posée : « n’assistons-nous pas à une atomisation générale du travail social ? (…) Ou n’est-ce qu’une phase inachevée de la restructuration ? » (Hirlet et Pierre, 2017, p 113).



La démarche d’enquête

Sur ce territoire, les deux associations sur lesquelles a porté notre investigation sont situées dans deux des grandes villes du PMCO. Toutes deux ont une action centrée sur la lutte contre les situations d’exclusion et l’inclusion sociale. Elles sont organisées en pôles comportant, entre autres, un volet hébergement et veille sociale vers lesquels l’objet de notre étude nous a plus particulièrement conduit. Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs avec trois cadres de ces deux associations (un chef de service, un directeur de pôle et un directeur), avons également rencontré des membres des équipes de terrain (travailleurs sociaux et médico-sociaux), réunis à l’occasion de focus-group réalisés en novembre et décembre 2022.



Être professionnel face à la précarité

Il ressort de ces analyses que la précarité est une notion difficile à définir, mais envahissante, touchant les personnes accompagnées (et potentiellement aussi les travailleurs sociaux) sur les plans matériel et financier bien entendu, mais aussi dans leur vécu, personnel et social. La précarité agit comme un stigmate qui rejaillit également sur l’image que ces professionnels de l’accompagnement peuvent générer dans la pratique de réseau-partenariat.

Les professionnels font écho d’un accompagnement se faisant de plus en plus en individuel ; le mode d’hébergement en diffus est venu remplacer le collectif : « c’est un autre boulot », marquant les avantages, le principe inclusif étant primordial, et aussi les inconvénients dont notamment le fait que certaines situations leur semblent trop éloignées de cette forme d’accompagnement : « les personnes qu’on accompagne ne sont pas institutionnalisées justement, il faudrait les amener vers l’institution au contraire ».

La question du lien constitue pour ces professionnels la pierre angulaire, le travailleur social représentant parfois le seul lien social pour les personnes accompagnées qui trouvent en eux un substitut d’un environnement familial et social (répondant aux besoins sociaux mais aussi médicaux) et duquel il est parfois difficile de se séparer. Ces professionnels témoignent de leur volonté d’accueil, de non-jugement, de disponibilité, de tolérance et d’adaptabilité, au point parfois de modifier les règlements intérieurs afin de permettre aux personnes de tenir dans leur projet ou d’aller vers le public avec un camping-car dans les milieux ruraux. Ici l’aller-vers n’est pas qu’un mot.



L’environnement professionnel

La pratique de réseau et de partenariat est indispensable mais ces professionnels se sentent dépendants de partenaires et pris dans un échange peu équitable, dans le sens où les professionnels attendent plus des autres qu’inversement. D’autant plus que la logique actuelle de réponse à appel à projet peut placer les différents acteurs dans une mise en concurrence. En parallèle, en interne, le travail en équipe permet un continuum dans la prise en charge des personnes et aussi permet de « faire tenir » face à la lourdeur des situations : « sinon, c’est tourd et on s’essouffle, on a des chaussures pleines de sable ».

Une des difficultés qui persistent se situe dans le manque de reconnaissance et l’invisibilité du travail produit. À propos de la collaboration avec les élus, certains évoquent un déni marqué par la volonté politique de transformer la Côte d’Opale en zone touristique à grande échelle. La frénésie immobilière a fait fondre le nombre de logements disponibles : « les propriétaires veulent du Airbnb ! » et cette crise renforce et pérennise les solutions de substitution, tels que le logement à l’hôtel, solution inadéquate et qui tend elle aussi à diminuer. Un certain fatalisme peut alors s’installer chez ces professionnels, avec l’impression de ne pas servir à grand-chose, face à l’absence de solution, et dans une perspective d’avenir inquiétante.



Conclusion

Ainsi les pratiques professionnelles évoluent, pratiques qui pourraient être qualifiées de transfrontalières, à la frontière du soin, de l’assistance, de la protection et de l’éducation. Pourtant en accord avec l’évolution des politiques sociales (le logement, le développement du pouvoir d’agir, l’autodétermination), ces professionnels sont parfois sceptiques quant à la faisabilité au vu du contexte politique, économique et social. Pris dans ce que Bauman (2006) décrit comme étant la modernité liquide, ces professionnels semblent être pris au confluent de la démarche de réenchantement des métiers du travail social (Piveteau, 2022) : faire changer le regard que la société porte sur eux, en même temps que change le regard que la société porte sur les personnes qu’ils accompagnent.






Résumé en Anglais


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