Fiche Documentaire n° 6185

Titre Quand les crises se succèdent, que fait la formation en travail social ? 

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l'auteur principal

Auteur(s) AMARé sandrine
GUY FLEUR
ATRUX-TALLAU mélanie
 
     
Thème Une pluralité d’expériences ancrées en formation supérieure à Ocellia   
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Quand les crises se succèdent, que fait la formation en travail social ? 

Depuis le début des années 2000, les crises se sont empilées, dont une crise sociale voyant exploser la précarité, une crise sanitaire, et une crise des recrutements dans le secteur social. Conjointement, l’attention aux pratiques et aux difficultés spécifiques des travailleur.euses sociaux.ales a conduit, de manière plus ou moins pensée et délibérée, à faire évoluer les formations en se saisissant de la créativité de divers acteurs et y intégrant ainsi des pratiques émergentes.  

Dans ce contexte, l’équipe de la Formation supérieure à Ocellia Lyon (Ecole des métiers Santé Social en Auvergne Rhône Alpes et Papeete) souhaite nourrir la réflexion en s’appuyant sur son expérience et une mise en savoir centrée sur trois évolutions significatives déclinées ci-après. 

Au premier rang, nous retenons la participation des personnes concernées à la formation et à la recherche. Désormais, de nombreux textes, rapports, recommandations, insistent ainsi sur la nécessaire participation des personnes concernées à la formation, dont un rapport de 2017 du Haut conseil du travail social (Jaeger, 2017) qui y consacre une large partie et considère le mouvement de « co-construction » comme « inéluctable » dans le travail social. Ainsi, émerge progressivement un nouveau type d’intervenant.e.s dans nos formations, la personne concernée. Après avoir expérimenté plusieurs scénarii au sein de notre équipe et au-delà, il nous parait utile de traiter, par cette intervention au 10e congrès de l’AIFRIS, des déclinaisons possibles, de l’impact de la participation des personnes sur le rôle des formateur.rice.s permanent.e.s, des effets liés au positionnement de ces acteur.rice.s au sein de l’établissement, ainsi que des nouvelles modalités organisationnelles qui doivent être pensées (Amaré, Bourgois, 2022). Il s’agit ici de considérer l’éventuelle « reconfiguration des normes professionnelles qui obligent parfois à la transgression » de modèles d’intervention dits « traditionnels ».

Par ailleurs, une tendance de fond dans les établissements de formation en travail social est le rapprochement avec l’université qui se décline différemment selon les diplômes de formations supérieures. A l’appui de notre expérience du DEIS, nous envisageons d’étudier le changement récent qui s’opère, allant de la concomitance à l’hybridation, entre certification universitaire et certification professionnelle, dans une visée coopérative de « recherche permanente » (Desroche). Ainsi, nous appréhendons comment cet « agir ensemble », qui invite à se risquer à piétiner sur les terrains de l’autre, participe à une reconfiguration des savoirs et à l’émergence de nouvelles pratiques. Nous identifierons la « redéfinition des liens, des rôles, des missions et des zones de pouvoir respectives ».


Enfin, l’ouverture à l’international contribue aussi à cette tendance au décloisonnement et à la remise en cause des formats largement éprouvés. Nous analysons en quoi notre implication de natures différentes (co-organisation et réalisation avec et par les étudiant.e.s d’un voyage d’étude à l’étranger ; déploiement de formation ; accompagnement en ingénierie sociale ; ...), et sur de nombreux territoires, est l’occasion d’interroger le contenu de nos formations en réponse aux problématiques locales et non en tant que porteurs de réponses qui seraient universelles ; de se questionner sur les pratiques, leurs impensés, leurs ornières ; d’approfondir et d’intégrer des pratiques émergentes ailleurs (travail social vert ; housing first ; ...) ; de réfléchir sur la « transformation des priorités » ; et de revisiter nos pratiques jusqu’à provoquer parfois une rupture avec « l’avant ».

Il convient de retenir que nous examinons les effets de ces évolutions et l’intégration de nouvelles pratiques dans les formations par l’intermédiaire d’enquête in itinere et d’une investigation complémentaire ciblée, en cours de formalisation, auprès de plusieurs promotions d’étudiant.es et d’intervenant.e.s.

Bibliographie

Amaré, S., & Bourgois, L. (2022). La reconnaissance des savoirs expérientiels et professionnels dans la formation des travailleurs sociaux : Quels effets de la co-formation sur la fonction de formateur dans une institution de formation en travail social ? Dans Lechaux, P., Les défis de la formation des travailleurs sociaux. Entre universités et écoles professionnelles, Champ social, pp. 229 250.

Bourgois, L., & Warin, P. (2021). Chapitre 7. Émanciper en travail social. Lier recherche et formation participatives. Dans Petiau, A., De la prise de parole à l’émancipation des usagers Presses de l’EHESP, pp. 169 186.

Desroche, H., & Barthes, R. (1971). Apprentissage en sciences sociales et éducation permanente. Les Editions ouvrières.

Heijboer, C., & Lechaux, P. (2022). L’expérience inédite de l’intégration d’une école de travail social dans l’université : Une hybridation en chantier. La création d’une filière-parcours de travail social/intervention sociale adossée à la recherche intégrée comme analyseur. Dans Lechaux, P., Les défis de la formation des travailleurs sociaux. Entre universités et écoles professionnelles, Champ social, pp. 497 520.

Jaeger, M. (2017). Les nouvelles formes de participation des personnes accompagnées dans les instances de gouvernance et dans les formations, Erès, Vie sociale, 19, pp. 13-25.

Lafore, R. (2020). Le travail social à l’épreuve des recompositions institutionnelles de l’action sociale. Revue francaise des affaires sociales, 2, pp. 29 49.

Lechaux, P. (2023). Vers une nouvelle forme universitaire de professionnalisation en intervention sociale : Quels leviers de professionnalisation pour quelles figures de professionnalité ? Phronesis, 12, pp. 25 44.

Ravon, B., & Bérut, N. (2022). La formation au Logement d’abord. Dans La politique du Logement d’abord en pratique, Presses de Rhizome. pp. 242 244.

Présentation des auteurs

Amaré Sandrine, Directrice Formation supérieure, Recherche et International à Ocellia, PhD Sciences de l’éducation, chercheuse associée Laboratoires ECP, Université Lyon2 et LISIS Suisse-Québec
Atrux-Tallau Mélanie, Responsable Formation supérieure et Recherche, PhD en Histoire contemporaine
Guy Fleur, Responsable Formation supérieure et Recherche, PhD en Géographie sociale

Communication complète

Présentation auteur(s) 

L’équipe Formation Supérieure, Recherche et International à Ocellia, Ecole des métiers de la santé et du Social en Auvergne Rhône-Alpes, est constituée d’une directrice et chercheuse, de responsables de formation et chercheuses. Venant des sciences de l’éducation, de la sociologie, de la géographie sociale, de la psychologie sociale, de l’histoire contemporaine, issus ou non de carrières sociales, ils et elles allient leurs compétences pour piloter les formations et développer la recherche. 









TITRE : Quand les crises se succèdent, que fait la formation en travail social ?  

Sous-titre : une pluralité d’expériences ancrées en formation supérieure à Ocellia 

 

Depuis le début des années 2000, les crises se sont empilées, dont une crise sociale voyant exploser la précarité, une crise sanitaire, et une crise des recrutements dans le secteur social. Conjointement, l’attention aux pratiques et aux difficultés spécifiques des travailleurs sociaux a conduit, de manière plus ou moins pensée et délibérée, à faire évoluer les formations en se saisissant de la créativité de divers acteurs et y intégrant ainsi des pratiques émergentes. Dans ce contexte, l’équipe de la Formation Supérieure, Recherche et International à Ocellia Lyon (Ecole des métiers Santé Social en Auvergne Rhône Alpes et à Tahiti) souhaite nourrir la réflexion en s’appuyant sur son expérience et sur une mise en savoir centrée sur trois évolutions significatives.   

 

Désormais, de nombreux textes, rapports, recommandations, insistent sur la nécessaire participation des personnes concernées à la formation, dont un rapport de 2017 du Haut conseil du travail social (Jaeger, 2017) qui y consacre une large partie et considère le mouvement de « co-construction » comme « inéluctable » dans le travail social. Ainsi, émerge progressivement un nouveau type d’intervenants dans nos formations : la personne concernée. Après avoir expérimenté plusieurs scénarii au sein de notre équipe et au-delà, il nous parait utile de traiter des déclinaisons possibles, de l’impact de la participation des personnes sur le rôle des formateurs permanents, des effets liés au positionnement de ces acteurs au sein de l’établissement, ainsi que des nouvelles modalités organisationnelles qui doivent être pensées (Amaré, Bourgois, 2022). Il s’agit ici de considérer l’éventuelle « reconfiguration des normes professionnelles qui obligent parfois à la transgression » de modèles d’intervention dits « traditionnels ». 

La participation des personnes concernées aux actions de formation menées par Ocellia se traduit par deux modalités principales d’intervention. D’une part, une intervention individuelle de la personne concernée, en tant qu’intervenant professionnel ou universitaire, mobilisant une expertise, ou un savoir expérientiel (Gardien, 2017). D’autre part, une co-animation sur la base d’un « Duo de compétences », mobilisant une personne concernée,  un intervenant professionnel ou universitaire et s’appuyant sur les expertises et compétences respectives, dans une dynamique de co-intervention reconnaissant une pleine légitimité de l’expertise de chacun. 

Mais les personnes concernées participent aussi en amont des interventions, sur l’ingénierie pédagogique, dans la co-conception de modules de formation ou bien dans une forme de « mise à l’épreuve » de l’ingénierie pensée par les formateurs permanents. 

Ces différents cas de figure permettent de mettre en commun les savoirs de natures différentes pour développer une compréhension et une connaissance plus fine des problématiques au sein de nos formations.  

 

Deux partenariats majeurs, l’un en Métropole et l’autre en Polynésie Française, ancrent la formation supérieure d’Ocellia dans une récente orientation des établissements de formation en travail social, le rapprochement avec l’université.

Tout d’abord, la formation au Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale proposée à Ocellia correspond à un haut degré d’articulation avec un diplôme universitaire, la mention ANACIS (Analyse et Conception de l’Intervention Sociale) du Master IDS (Intervention et Développement Social) à l’Université Lyon 2. Cette alliance s’est concrétisée en septembre 2022, à l’occasion du renouvellement de l’accréditation de Master, au cours duquel les modalités pédagogiques liant les deux formations depuis les années 2000 ont été repensées avec un passage de la “concomitance” à “l’hybridation” entre des contenus relevant d'un diplôme universitaire et ceux inscrits dans le cadre de certifications professionnelles.  

Le parti pris est celui d’une mise au travail des différences d’ancrage et de référentiel, dans une visée coopérative de « recherche permanente » (Desroche) : ainsi, est remise en cause l’asymétrie historique longtemps assumée, entre les « pros des amphis » (Anacis) et les « experts du terrain » (Deis). Plutôt que d’opposer les deux cadres de formation (universitaire d’un côté, professionnel de l’autre), il s’agit de créer un espace de dialogue et de confrontation, dans un « agir ensemble », qui invite à se risquer à piétiner sur les terrains de l’autre. Cette prise de risque se traduit par exemple par l’intégration de contenus propres à l’une ou l’autre des formations dans ce qui devient leur tronc commun. Au niveau pédagogique, ces reconfigurations conduisent à sans cesse redéfinir ce qui fait commun et ce qui est spécifique et créent ainsi un tiers-espace de la formation, marqué par une grande réflexivité à laquelle les étudiants sont associés.  

En Polynésie Française, l’université (UPF) s’est rapprochée d’Ocellia avec le soutien des services du Pays pour répondre aux besoins en formation dans le secteur social et médico-social, car elle ne disposait ni de l’expertise, ni des agréments nécessaires à la délivrance des diplômes d’État. Ce partenariat a débuté en 2021 par la mise en place de la formation CAFERUIS avec l’objectif de former les cadres et futurs cadres polynésiens (près de 90% d’entre eux n’étaient pas qualifiés). Depuis, Ocellia développe avec l’UPF une offre de formation encore jamais mise en place sur le territoire, répondant ainsi à la volonté des autorités locales de participer à l’« Océanisation des cadres » et à l’amélioration de l’Action sociale polynésienne. Conjointement, la formation d’une dizaine d’ingénieurs sociaux polynésiens à compter de la rentrée 2023 est sans aucun doute ce qui illustre le mieux la complémentarité voire l’interdépendance entre les deux partenaires : Ocellia offre à l’université son expertise et partage ses ressources en matière d’ingénierie et d’accompagnement pédagogiques, parfois en distanciel, parfois en présentiel, et de son côté, l’université accueille la formation dans ses locaux et fournit les ressources locales issues du monde universitaire, notamment parmi ses enseignants-chercheurs de la MSH du Pacifique. Ce travail de rapprochement du monde professionnel et du monde universitaire autour d’un projet commun de formation, vise également à apparier chercheurs et acteurs de terrain autour de problématiques sociales (sans-abrisme, violences intrafamiliales, mobilités et migrations inter-îles, etc.) dans le cadre d’études et de recherches pensées pour l’action. 

 

Enfin, l’ouverture à l’international contribue aussi au décloisonnement et à la remise en cause des formats largement éprouvés. Notre implication, de natures différentes et sur de nombreux territoires, est l’occasion d’interroger le contenu de nos formations en réponse aux problématiques locales, de se questionner sur les pratiques du travail social et d’intégrer des pratiques émergentes ailleurs et de revisiter nos propres pratiques de formateurs. Face à la crise écologique, formateurs et chercheurs québécois et belges s’intéressent au « travail social vert » : leurs apports gagnent à être intégrés aux parcours des étudiants français, comme un moyen de questionner les périmètres de l’intervention sociale et ses moyens d’action (Dominelli, 2018).

Des partenariats avec une quarantaine d’universités en Europe favorisent la mobilité des étudiants. Cela se concrétise notamment, sur le diplôme du CAFERUIS, par un séjour d’étude à l'étranger, rassemblant étudiants et responsables de formation. En allant rencontrer des institutions du médico-social, les étudiants, futurs cadres intermédiaires, sont invités à intégrer d’autres modèles d’intervention et à mettre en perspective les pratiques professionnelles à l’oeuvre en France.  

Ces opportunités de mobilités sont également ouvertes aux professionnels, ce qui inclue les formateurs. Ainsi, un membre de l’équipe a intégré un réseau européen, le Housing First Hub, rassemblant des travailleurs sociaux et formateurs européens travaillant sur les politiques du Logement d’abord. Par des apports théoriques, réflexifs, et des échanges de pratiques entre les membres, la finalité est de construire des modules de formation sur les politiques publiques du Logement d’abord face à la crise du logement, aussi bien auprès des étudiants qu’auprès des professionnels de terrain. 

 

Nous examinons les effets de ces évolutions et l’intégration de nouvelles pratiques dans les formations par l’intermédiaire d’enquête in itinere auprès de plusieurs promotions d’étudiants et d’intervenants. La réflexivité sur nos propres pratiques est une attention constante et elle gravite autour des trois axes cités : les temps de bilans de formation vont intégrer des items relatifs à la participation, aux liens avec l’université et à l’ouverture à l’international, pour les étudiants mais également pour les intervenants d’où qu’ils viennent, tant pour tenter de mesurer les effets de ces changements que pour en documenter le vécu par les personnes impliquées.

De multiples questions se posent qui dépassent largement les établissements de formation en travail social, mais qui peuvent être traités dans le cadre de leurs réseaux, comme l’AIFRIS. La participation des personnes, notamment aux formations, est encore balbutiante : s’inscrit-elle à moyen terme dans un changement radical des pratiques et comment le peut-elle ? répond-t-elle à un moment de crise (baisse de l’attractivité des métiers ; manque de légitimité ; ...) ? En quoi est-elle dépendante de facteurs qui la fragilisent ? Dans le cadre des rapprochements avec l’Université, qu’est-ce que les transactions à l’œuvre produisent et présentent-elles un caractère instable en période de crise ? L’exploration de réponses locales à une crise mondiale, dans le cadre d’une ouverture à l’international, pourra-t-elle être soutenue dans la durée ? 

 


Résumé en Anglais


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