En France, dans le cadre des politiques sociales de lutte contre la précarité et l’exclusion, le 1er décembre 2008, est promulguée la Loi sur le revenu de solidarité active[1]. Cette politique a pour ambition de permettre à tous les bénéficiaires de vivre décemment[2]. Son organisation prévoit la participation des allocataires de ce minimum social [3].
Dans le cadre d’un travail de partenariat mené par un Département (anciennement conseil général) et une association[4], en janvier 2012, une Recherche-Action Collaborative (RAC) a été proposée par une université[5]. Celle-ci, financée par la région Rhône Alpes, à la suite d’un appel à projet de l’Université citoyenne et solidaire, a pu être menée sur une durée de 18 mois. D’autres acteurs ont été impliqués : la MRIE[6] et l’IREIS[7].
À partir de cette coopération institutionnelle, qui s’est concrétisée par la mise en place d’un comité de pilotage, une nouvelle dynamique a pu être initiée grâce à l’intervention de la chercheure[8].
La RAC a permis de sensibiliser les professionnels de l’action sociale (direction et acteurs de terrain) sur la démarche participative. Sensibilisation qui a généré une prise de conscience de son intérêt ; une appréhension des situations sociales des publics ; une modification des pratiques professionnelles.
Plusieurs actions ont pu être initiées, pour penser avec les acteurs de terrain (professionnels et bénéficiaires), leur participation à ce dispositif d’insertion. Ces dernières se sont organisées sous deux modalités différentes, mais complémentaires :
- Les groupes de paroles, organisés autour de différents temps d’échanges, entre professionnels ; entre allocataires, mais aussi entre chacune des deux catégories d’acteurs.
- Les actions collectives, qui pour certaines déjà « existantes clandestinement », ont pu être reconnues institutionnellement qui, grâce à la recherche-action, leur développement a pu être favorisé.
Au cours de la RAC, le service d’insertion a profité de la réécriture de son projet de service, pour introduire les actions collectives comme outil d’accompagnement des allocataires.
De même, l’association AGASEF a initié des actions similaires encadrées autant par les professionnels que par les membres du conseil d’administration. Ceci nous permet de faire un lien avec l’exigence que pose Paulo Freire[9] de sensibiliser autant les dirigeants que les allocataires sur les situations sociales afin d’intervenir efficacement. Cependant, il est important de tenir compte du facteur temps pour mener ce travail, de la nécessité d’organiser et de budgétiser ces actions afin de favoriser le pouvoir d’agir des bénéficiaires, tel que Claire Jouffray[10] l’explique.
Même si des initiatives ont pu être pensées et concrétisées durant cette recherche, cette dernière a été l’élément déclencheur pour conscientiser et initier de nouvelles pratiques.
C’est pour cela qu’à son terme, 4 propositions ont été soumises aux institutions chargées de l’accompagnement des bénéficiaires :
- La construction du rôle de représentant des bénéficiaires : les personnes assumant cette fonction depuis la création du RSA, n’ont jamais suivi de formation leur permettant d’habiter leur rôle. Alors on peut constater qu’elles n’assurent pas une représentation de l’ensemble des allocataires.
- La mise en place de groupes-ressources : l’isolement des représentants nommés a permis de repérer un besoin de soutien qu’un groupe d’allocataires pourraient assurer.
- Le développement et le soutien des actions collectives : les initiatives prises ont pu démontrer, pour leurs pérennités, la nécessité d’une institutionnalisation de cette pratique qui reste complémentaire aux accompagnements individuels.
- L’accessibilité à l’information pour les bénéficiaires : des lacunes ont pu être repérées justifiant une forte demande d’information exprimée autant de la part des bénéficiaires que des professionnels.
La concrétisation de la participation des bénéficiaires du RSA a abouti grâce à la prise de conscience de l'intérêt de développer des actions à dimension collective au sein desquelles le bénéficiaire du minima social a toute sa place en tant qu'acteur. Cela est passé par des étapes initiées pour partie dans le cadre de la collaboration avec le centre de formation en particulier de formation des assistants de service social (ASS). En effet, depuis 2006, en France, le parcours de formation des ASS comprend l'acquisition de compétences dans l'accompagnement d'Interventions Sociales d'Intérêt Collectif (ISIC). La méthodologie de projet doit être acquise et est l'objet une validation pour l'obtention du Diplôme.
Pour autant traditionnellement, les ASS sont plus à l'aise dans les accompagnements individuels dits : Interventions Sociale d'Aide à la Personne (ISAP) et ont des difficultés à se lancer dans la dimension collective.
Quoi de plus efficace que de passer par l'apprentissage grandeur nature et l'expérimentation pour acquérir la méthodologie d'actions à dimension collective ! Le souci, au début de la RAC, est que les professionnels qui encadrent nos étudiants au cours des stages ne maîtrisent pas pour la grande majorité cette méthodologie. Ils se sentent insécurisés pour accompagner les étudiants étant eux même en difficulté. Il est apparu opportun dans le cadre de la participation à la RAC de proposer un appui méthodologique aux professionnels comme aux étudiants.
Le centre de formation a mis en place des rencontres régulières (4 à 5 sur 6 mois) où étaient présents des encadrants de stage et les étudiants de ce qui a été appelé « groupe ressources ISIC ». Les objectifs de ces rencontres sont :
Échanger et soutenir les étudiants et les tuteurs de stage dans la mise en œuvre et la lisibilité de l'action menée.
Reprendre les éléments théoriques de la méthodologie ISIC avec les tuteurs et les étudiants
Accompagner tuteurs et étudiants dans la compréhension des enjeux de l'ISIC tant au niveau des attendus du DEAS, que comme modalité innovante en travail social.
Ce groupe ressource réunissait 12 à 14 personnes (tuteurs et stagiaires). Le contenu des séances est le suivant : chaque étudiant présente (en lien avec son tuteur) l'état d'avancement du travail engagé en terme de projet en fonction de la réalité du terrain. Rappelons que la méthodologie de projet inclut le constat de départ, le diagnostic, les actions qui en découlent avec l'identification des objectifs, des moyens humains et financiers et des indicateurs d'évaluation.
Tous les membres du groupe réagissent et participent à la réflexion sur chaque situation présentée.
L'animatrice du groupe (formatrice IREIS) propose en fin d'exposé de l'étudiant une sorte de relevé de conclusions à l'oral pour permettre au binôme (étudiant/tuteur) de se donner des objectifs pour la séance suivante.
L'objectif prioritaire est de permettre ou d'amener chaque étudiant à présenter son travail, de faire des rappels méthodologiques ou apports théoriques (empowerment par ex). La notion d'empowerment est dans ces circonstances mise en avant dans le sens des théories de la transformation sociale à travers émancipation individuelle et collective.[11]
Avec du recul (le groupe ressource fonctionne depuis maintenant 3 ans), l'évaluation est positive de part et d'autre. Les étudiants concernés ont démontré une appropriation facilitée de la méthodologie. Ce sont plus de 15 professionnels qui ont bénéficié des apports méthodologiques. Aujourd'hui, grâce à leurs nouveaux acquis, ils s'autorisent plus facilement à développer des actions à dimension collective, car plus sûrs d'eux. On a également noté une évolution dans la manière d'accepter puis de favoriser les initiatives des bénéficiaires du RSA eux-mêmes. La « prise de risque » est jugée moindre qu'auparavant. La reconnaissance de cette pratique professionnelle a enclenché une dynamique mobilisatrice et valorisante tant auprès des professionnels que des bénéficiaires du RSA.
[1] LOI n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion - http://www.legifrance.gouv.fr
[2] Article 3, chapitre II, section I, art L262.1 « Le revenu de solidarité active a pour objectif d’assurer à ses bénéficiaires les moyens convenables d’existence »
[3] Article L262-39 « Le président du conseil général constitue des équipes pluridisciplinaires composées notamment de professionnels de l'insertion sociale et professionnelle [...] et de représentants des bénéficiaires du revenu de solidarité active »
[4] Association de Gestion de l'Action Sociale des Ensembles Familiaux, est une association loi 1901, chargée de l’insertion professionnelle des allocataires au RSA
[5] Sous la responsabilité de Claire Autant Dorier, enseignante chercheure, membre du Laboratoire Max WEBER, maitre de conférences, Université Jean Monnet, Saint Etienne.
[6] Mission régionale de l’Information sur l’Exclusion
[7] Institut Régional et Européen des métiers de l'Intervention Sociale
[8] Élodie Jouve, ethnologue, Université Jean Monnet, Saint Etienne
[9] Paulo FREIRE « pédagogie des opprimés » Petite collection maspero, avril 1974
[10] Claire JOUFFRAY « Développement du pouvoir d’agir. Une nouvelle approche de l’intervention sociale » presses de l’EHESP, 2014
[11] Marie Hélène BACQUE et Carole Biewener L'empowerment, une pratique émancipatrice édition la Découverte collection Politique et société, 2013
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