Fiche Documentaire n° 5776

Titre Interroger le point de vue des jeunes filles sur les métiers dits masculins

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) BLANJEAN coline
LONFAT nadja
DE GASPARI Eline
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

Interroger le point de vue des jeunes filles sur les métiers dits masculins

Depuis plusieurs années maintenant, une sous-représentation des femmes est identifiée dans trois domaines de formation de la HES-SO Valais-Wallis : la filière Économie d’entreprise, la filière Informatique de Gestion et la Haute École d’Ingénierie. Malgré un investissement dans des activités de promotion de l'égalité des chances, la participation des filles dans les activités mixtes d’éveil scientifique reste faible. Depuis 2018, afin d’augmenter la participation féminine, des camps non mixtes de quatre jours sont organisés. Durant l’été 2021, cinq camps ont eu lieu : informatique (fille), entrepreneuriat (fille), technique (fille), technique (garçon), technologie du vivant (fille/germanophone). Dans ce cadre, la Haute Ecole de Travail Social a été sollicitée pour un travail de recherche et entendre le discours des jeunes filles sur leur représentation de ces métiers et sur leur intérêt à se former dans ces branches.

Le choix d’une filière de formation masculine pour les femmes reste un phénomène minoritaire en Suisse (Gianettoni, Simon-Vermot & Gauthier, 2010). Ces camps non mixtes permettent de sensibiliser les filles à un métier technique. Par ailleurs, la non-mixité permet d’accroître leur confiance en elles et amène un sentiment d’inclusion par le biais de l’entre-soi féminin. Les jeunes filles sont encadrées par des professionnelles de la branche afin d’avoir des modèles féminins. Deux types d’évaluations ont été effectuées auprès des jeunes qui ont entre 10 et 14 ans :
• Une évaluation globale du camp, soumise le dernier jour (qualité du camp, accompagnement, apprentissages, etc.).
• Une évaluation des compétences des participant.e.s, du début à la fin du camp.

Depuis 2021, des observations et des entretiens ont été effectués. Ces derniers ont permis de relever d’une part l’importance du contexte non mixte pour faire émerger chez les jeunes filles des compétences qui resteraient invisibles dans un contexte mixte, d’autre part l’importance de l’entre-soi féminin et du rôle des modèles féminins dans la formation des métiers dits masculins. Pour cette communication, nous souhaitons revenir sur l’évaluation des camps 2021, et tout particulièrement sur la non-mixité comme moyen favorisant l’inclusion des femmes dans des milieux professionnels masculins. De ce fait, le développement d’une visée inclusive dans l’éducation et la formation parait indispensable à l’heure actuelle pour permettre un choix de formation non genré. En donnant la parole aux usagères (ici les jeunes filles ayant participé aux camps non-mixtes et aux camps mixtes), ces dernières nous transmettent leur parole d’expertes autour de leurs représentations des camps et de leurs compétences.

Comme le stipule François Aballéa, si le travail social représente de nos jours un métier relationnel au service des personnes ou groupe de personnes, il s’intéresse également aux processus qui rendent ces derniers vulnérables ou désaffiliés dans des contextes donnés. Dans cette perspective, les camps mixtes rendent les jeunes filles vulnérables car ils ne favorisent pas le sentiment de confiance en elles, ni ne leur permettent d’évoluer sur leurs compétences. Concrètement, nous avons constaté des attitudes de retrait lorsque les garçons sont présents, une crainte du regard des autres, une ambiance de groupe délétère avec des bagarres entre les participants masculins, une auto-évaluation négative des jeunes filles, et l’émergence de rapports de force. En ce sens, prendre en compte la parole des usagères sur leurs représentations des camps non-mixtes permet de rendre visible ce qui était invisible, non pris en compte dans l’aménagement des classes mixtes ou dans les politiques sociales des dix dernières années. En effet, comment justifier, à l’heure de l’égalité des genres, des chances, des salaires, un concept de formation perçu comme un retour à la non-mixité ?

La reconnaissance de l’expertise des usagères, à savoir que le contexte de non-mixité de ces camps favorise l’émergence de leurs compétences et les amène à un choix de formation non-genrée dans le futur, maintient l’organisation non-mixte des camps d’été. Ce savoir d’« usagères-expertes » impacte également les professionnels de l’éducation et de la formation. En effet, à la création d’un entre soi féminin s’ajoute l’importance des modèles féminins dans les formations techniques. Par ailleurs, ces camps non-mixtes, par la prise en compte de la parole des jeunes filles, participent à la réflexion sur le processus de formation des métiers techniques. Les modèles de formation deviendront plus inclusifs et égalitaires ; le but final étant que les jeunes se sentent capables et légitimes de débuter une formation dite « masculine ».

Bibliographie

Gianettoni, Lavinia, Pierre Simon-Vermot, and Jacques-Antoine Gauthier. 2010. "Orientations professionnelles atypiques : transgression des normes de genre et effets identitaires." Revue française de pédagogie 173(4):41-50.

Aballéa, F. (2003). Relation de service à l’usager ou relation du service au client ? Les transformations de l’intervention sociale. Pyramides, 7, 119-134. https://journals.openedition.org/pyramides/418.

Présentation des auteurs

Blanjean Coline, Assistante
De Gaspari Eline, Adjointe scientifique
Lonfat Nadja, Collaboratrice académique
Haute École de Travail Social, Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale, HES SO Valais-Wallis

Communication complète

L’analyse des effectifs des étudiantꞏeꞏs immatriculé∙e∙s à la HES-SO Valais-Wallis 1 démontre un reflet des choix genrés de formation. Depuis plusieurs années maintenant, une sous-représentation des femmes est identifiée dans trois domaines de formation 2 : la branche « Entreprenariat » de la filière Économie d’entreprise (21,3% de femmes pour la Team Academy ), la filière Informatique de Gestion (14,4 % de femmes) et la Haute École d’Ingénierie (25.1% de femmes). La HES-SO Valais-Wallis investit depuis plusieurs années dans des activités visant à promouvoir l’égalité des chances au niveau professionnel. Toutefois, la participation des filles dans les activités mixtes d’éveil scientifique touchant à ces trois domaines reste faible.



Depuis 2018, afin d’augmenter la participation féminine dans les trois domaines de formation précités, des camps non mixtes de quatre jours sont organisés. Ces camps, appelés « Camps Girls@HES » sont soutenus financièrement par le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Durant l’été 2021, cinq camps ont eu lieu : informatique (fille), entrepreneuriat (fille), technique (fille), technique (garçon), technologie du vivant (fille/germanophone). Durant ces camps, les jeunes filles apprennent la démarche, les outils pratiques et indispensables pour tous types de projets dans les différents domaines de formation. Plus précisément :

- Le camps technologie du vivant propose des activités en lien avec la chimie et la biologie : théories, création d’ADN, fabrication de désinfectant pour les mains, expériences en lien avec la transmission des virus, présentation aux médias locaux.

- L’entrepreneuriat se base sur la pédagogique « Team Academy » : penser un évènement pour une entreprise locale, gestion de projet en sous-groupe, apprentissage par la pratique selon la courbe de Kolb 3.

- L’informatique propose une initiation au codage via des jeux vidéo et encourage la compétitivité comme outil motivationnel.

- Dans les camps techniques, les jeunes apprennent à programmer un robot puis fabriquent une montre de toute pièces - de la soudure de chacun de ses composants jusqu’à sa programmation - et choisissent une thématique pour la présenter à leurs parents dans le cadre d’un défi scientifique.



Le choix d’une filière de formation masculine pour les femmes reste un phénomène minoritaire en Suisse (Gianettoni, Simon-Vermot & Gauthier, 2010). Ces camps non mixtes permettent de sensibiliser les filles à un métier technique. Par ailleurs, la non-mixité permet d’accroître leur confiance en elles et amène un sentiment d’inclusion par le biais de l’entre-soi féminin. Les jeunes filles sont encadrées par des professionnelles de la branche afin d’avoir des modèles féminins.



Dans ce cadre, la Haute École et École Supérieure de Travail Social a été sollicitée pour un travail de recherche. Cette dernière questionne les enjeux et les impacts de la non-mixité sur les choix de formation des jeunes filles, en prenant en considération leurs discours et leurs représentations sur les métiers dits « masculins » et sur leurs compétences relativement à ces domaines. Au-delà de ce questionnement, ce projet a également pour objectif de sensibiliser les jeunes filles à envisager des voies de formation plus technique, et de leur montrer qu’elles en sont capables. Par ailleurs, l’idée des camps est également de les encourager à se sentir légitime de choisir une voie de formation ou un métier technique dans le futur.



Le principe des camps « Girls@HES » est de proposer des camps non-mixtes (informatique, entreprenariat et technologie du vivant) et des camps mixtes (le camp technique) à des jeunes âgés entre 10 et 14 ans. Mais est-ce que la non-mixité sensibilise réellement les filles à envisager des métiers techniques en favorisant la confiance en elles ?



Depuis la mise en place des camps en 2018, deux types d’évaluations ont été effectuées auprès des jeunes qui ont entre 10 et 14 ans : une évaluation globale du camp, soumise le dernier jour (qualité du camp, accompagnement, apprentissages, etc.) ; une évaluation des compétences des participant.e.s, du début à la fin du camp. Cette première analyse, fondée essentiellement sur des données quantiatives, n’a pas ou peu permis de comprendre dans le détail le point de vue des jeunes filles elles-mêmes. Dans ce sens, la méthodologie de recherche a donc été redirigée pour s’investir d’avantage dans une méthodologie qualitative, ceci afin de cerner en profondeur les représentations du public cible.



De ce fait, depuis 2021, en plus des deux types d’évaluations globales soumises au cours du camps, des observations directes ont été effectuées ainsi que des entretiens individuels des participant∙e∙s afin de donner la parole aux jeunes filles concernées. Cette récolte de données qualitatives a permis de centrer davantage l’analyse sur le point de vue des jeunes filles, et donc de mieux comprendre leurs représentations de ces domaines techniques, ainsi que de leurs propres capacités à s’y engager. Ces entretiens individuels ont relevé d’une part l’importance du contexte non mixte pour faire émerger chez les jeunes filles des compétences qui resteraient invisibles dans un contexte mixte, d’autre part l’importance de l’entre-soi féminin et du rôle des modèles féminins dans la formation des métiers dits masculins.



Pour cette communication, nous souhaitons revenir sur l’analyse des camps Girls@HES 2021, et tout particulièrement sur la question de la non-mixité. Loin de s’imposer par évidence comme un outil favorable en termes d’égalité de genre, (Talpin, 2018) la non-mixité peut s’avérer être un vecteur favorable à la confiance en elles des jeunes filles et donc sur leurs représentations de leurs compétences. Dans ce sens, des camps non mixtes tels que ceux-ci permettront, sur le long terme, à favoriser l’inclusion des femmes dans des milieux professionnels conçus comme plutôt masculins. De ce fait, le développement d’une visée inclusive dans l’éducation et la formation parait indispensable à l’heure actuelle pour permettre un choix de formation non genré. En donnant la parole aux usagères au travers des entretiens (ici les jeunes filles ayant participé aux camps non-mixtes et aux camps mixtes), ces dernières transmettent leur parole d’expertes autour de leurs représentations des camps et de leurs compétences.



Comme le stipule François Aballéa, si le travail social représente de nos jours un métier relationnel au service des personnes ou groupe de personnes, il s’intéresse également aux processus qui rendent ces derniers vulnérables ou désaffiliés dans des contextes donnés. Dans cette perspective, les camps mixtes rendent les jeunes filles vulnérables car ils ne favorisent pas le sentiment de confiance en elles, ni ne leur permettent d’évoluer sur leurs compétences. Concrètement, l’analyse des entretiens a fait ressortir des attitudes de retrait lorsque les garçons sont présents, une crainte du regard des autres, une ambiance de groupe délétère avec des bagarres entre les participants masculins, une auto-évaluation négative des jeunes filles, et l’émergence de rapports de force.



Dans le cadre du Congrès, nous reviendrons sur les résultats des analyses, et questionnerons la prise en compte de la parole des usagères sur leurs représentations des camps non-mixtes. Nous nous pencherons également sur comment cette prise en compte de l’invisible, permettrait justement de rendre ces questions de non-mixité, et de contexte d’entre-soi féminin favorable, visibles dans l’aménagement des classes mixtes ou dans les politiques sociales des dix dernières années. En effet, comment justifier, à l’heure de l’égalité des genres, des chances, des salaires, un concept de formation incluant la non-mixité ?



Nous reviendrons également sur l’importance du maintien de l’organisation non-mixte de ces camps. La reconnaissance de l’expertise des usagères, par l’analyse des représentations, nous permet justement de mettre en avant la non-mixité comme un outil favorisant l’émergence de leurs compétences et leur permettant sur le long terme un choix de formation non-genrée. Ce savoir d’« usagères-expertes » impacte également les professionnels de l’éducation et de la formation. En effet, à la création d’un entre soi féminin s’ajoute également l’importance des modèles féminins dans les formations techniques. Par ailleurs, ces camps non-mixtes, par la prise en compte de la parole des jeunes filles, participent à la réflexion sur le processus de formation des métiers techniques. Les modèles de formation deviendront plus inclusifs et égalitaires ; le but final étant que les jeunes se sentent capables et légitimes de débuter une formation dite « masculine ».

Résumé en Anglais

In this paper, we would like to return to the evaluation of the 2021 camps, Girls@HES, and in particular to the non-mixed nature of youth camps as a means of promoting the inclusion of women in professional environments that are considered to be rather male. Therefore, the development of an inclusive approach to education and training seems to be essential at the moment to allow for a gender-neutral choice of training. By giving a voice to the users (in this case, the girls who participated in the non mixed camps and the mixed camps), the latter give us their expert opinion on their representations of the camps and their skills. In concrete terms, we have observed attitudes of withdrawal when boys are present, a fear of the look of others, a deleterious group atmosphere with fights between male participants, a negative self-evaluation of the girls, and the emergence of power relationships. In this sense, taking into account what female users have to say about their representations of non mixed camps makes it possible to make visible what was invisible, not taken into account in the planning of mixed classes or in the social policies of the last ten years. Indeed, how can we justify, at a time of gender equality, equal opportunities and salaries, a training concept that is perceived as a return to non-mixing?